Quand l’Ukraine fait les yeux doux à l’Afrique

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Quand l’Ukraine fait les yeux doux à l’Afrique
Quand l’Ukraine fait les yeux doux à l’Afrique

Fred Harter – pour The Africa Report

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Kiev mène une offensive diplomatique sur le continent en ouvrant des ambassades, en faisant don de céréales et même en déployant des forces spéciales sur le continent. Son but ? Obtenir de nouveaux soutiens face à Moscou.

L’Ukraine a inauguré ce mois-ci une série de nouvelles représentations diplomatiques en Côte d’Ivoire, en RDC, au Mozambique et au Botswana. D’autres sont prévues au Ghana et au Rwanda. « Une nouvelle page brillante s’écrit dans l’histoire des relations entre l’Ukraine [et] l’Afrique », a déclaré l’envoyé spécial de l’Ukraine pour le continent, Maksym Subkh, lors de l’inauguration de la nouvelle ambassade à Abidjan, le 11 avril. Maksym Subkh en a profité pour souligner l’impact de la guerre avec la Russie sur les économies africaines. « Cette guerre peut sembler très lointaine. Mais l’augmentation catastrophique des prix des denrées alimentaires pèse sur la vie de millions de familles africaines », a-t-il insisté.

Un choc pour l’Ukraine

Quelques jours après le début de l’invasion en février 2022, les pays membres de l’ONU avaient été appelés à voter un texte exigeant le retrait de la Russie du territoire ukrainien. La plupart des pays africains avaient fait le choix de l’abstention, un vrai choc pour l’Ukraine et ses alliés.

La plupart des pays ont voté pour, mais 25 des 55 pays africains se sont abstenus ou n’ont pas participé au vote, ce qui représente de loin la proportion la plus élevée de toutes les régions qui ont refusé de condamner la Russie. « L’invasion russe constituait une violation tellement flagrante de la charte des Nations unies qu’il paraissait évident qu’elle serait condamnée par le reste du monde, résume Murithi Mutiga, directeur pour l’Afrique à l’International Crisis Group. [Les Ukrainiens] n’ont pas compris l’attitude de la plupart des pays du continent, qui étaient majoritairement favorables au non-alignement. » D’où l’entreprise de séduction dans laquelle s’est lancée Kiev ces derniers mois.

Cette neutralité affichée n’est pourtant pas surprenante. Elle est, d’une certaine manière, le fruit de la guerre froide. À l’époque, certains dirigeants africains ont tenté de ne pas se laisser entraîner dans la compétition entre les États-Unis et l’Union soviétique. Mais la rivalité entre Washington et Moscou a alimenté des conflits dévastateurs en Éthiopie, en Somalie, en Angola, au Mozambique et ailleurs, et des millions de personnes y ont perdu la vie. « La guerre froide a été froide dans les pays occidentaux développés, mais elle a été très chaude dans certaines régions d’Afrique. C’est pour cela que la tendance au non-alignement y est encore forte, explique Murithi Mutiga. C’est une façon de se protéger contre la concurrence des grandes puissances. »

Des milliers de tonnes de céréales

Pour gagner davantage de soutiens en Afrique, l’Ukraine a fait don de dizaines de milliers de tonnes de céréales à des pays dont beaucoup souffraient de la flambée des prix des carburants et des denrées alimentaires consécutive à l’invasion de la Russie. La dernière livraison, suffisante pour nourrir deux millions de personnes pendant un mois, est arrivée courant avril au Soudan, annoncée à la presse par une société de relations publiques.

L’Ukraine a également invité des journalistes africains à visiter Kiev et son ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, s’est rendu à plusieurs reprises sur le continent. Lors d’une visite en Éthiopie l’année dernière, il a admis que l’Ukraine avait trop longtemps fait preuve « d’inertie » à l’égard de l’Afrique, mais a promis une nouvelle ère de relations « mutuellement bénéfiques » fondées sur le commerce, la technologie et l’énergie. Il a également rappelé que son pays avait déjà envoyé des ingénieurs en Afrique et accueillait autrefois des étudiants africains. « Nous ne devons pas oublier l’importance de l’Afrique pour l’Ukraine, et l’importance de l’Ukraine pour l’Afrique », a-t-il insisté.

« Beaucoup de vos ancêtres sont passés par là »

Toujours désireux de rallier à sa cause, le président Volodymyr Zelensky a, lui, établi un parallèle entre la lutte de l’Ukraine contre la Russie et les guerres d’indépendance en Afrique. Usant de la même rhétorique, il avait déjà déclaré à un groupe de journalistes africains l’année dernière que « la Russie [était] un colonisateur qui veut détruire notre État ». Avant d’ajouter: « Beaucoup de vos ancêtres sont passés par là. »

Par ailleurs, l’Ukraine pourrait également apporter un soutien militaire à certains pays. Plusieurs éléments indiquent ainsi que ses forces se trouvent au Soudan, où elles aident l’armée restée fidèle à Abdel Fattah al-Burhane face aux Forces de soutien rapide (FSR) ralliées au commandant Mohamed Hamdane Daglo (dit Hemetti), qui ont l’appui du groupe mercenaire russe Wagner.

Bien sûr, la Russie n’est pas en reste: elle promet des céréales gratuites, distribue des centaines de bourses d’études et joue sur ses liens historiques avec l’Afrique, n’hésitant pas à rappeler le soutien que l’Union soviétique a apporté aux mouvements indépendantistes. À bien des égards, elle a une longueur d’avance sur l’Ukraine, d’autant qu’elle a déployé ses mercenaires en Centrafrique ou au Mali. Début 2024, des soldats russes sont arrivés au Burkina Faso, quelques mois seulement après que la junte au pouvoir à Ouagadougou a poussé vers la sortie les soldats français. Ce mois-ci, c’est au Niger que des formateurs militaires russes ont débarqué.

Pas le bon argument ?

La Russie a également utilisé son droit de veto pour protéger certains régimes au Conseil de sécurité des Nations unies. Selon Murithi Mutiga, cette « approche opportuniste et peu coûteuse » consistant à combiner soutien diplomatique et soutien militaire à petite échelle « donne de grands résultats ».

Cela compromet-il les chances de l’Ukraine de se faire de nouveaux alliés sur le continent ? « Si sa stratégie consiste à se présenter comme faisant partie d’une alliance démocratique mondiale, je ne suis pas sûr qu’elle soit couronnée de succès, conclut Cameron Hudson, chercheur principal au Centre d’études stratégiques et internationales. Ces arguments n’ont pas beaucoup de poids à l’heure actuelle en Afrique. »

Source: JeuneAfrique

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