Théo du Couëdic
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Dans la capitale économique ivoirienne, l’arrivée des VTC aura contribué à rajeunir le parc automobile, qui a désormais un train d’avance sur les autres capitales de la sous-région. Qu’en sera-t-il pour Dakar, qui lui emboîte le pas ?
Les femmes et les hommes d’affaires qui font la navette entre Dakar et Abidjan arrivent généralement au même constat. « En Côte d’Ivoire, tu n’attends que deux ou trois minutes après avoir commandé ton VTC, ce sont souvent des voitures neuves, confortables, équipées d’une clim. Au Sénégal, pour le moment, ce n’est vraiment pas le même standing », témoigne un consultant dans une société internationale.
Sur ce sujet, comme bien d’autres, la principale ville de Côte d’Ivoire a un coup d’avance sur sa rivale sénégalaise. La plateforme russe Yango s’y est implanté début 2018 – soit quatre ans avant Dakar –, contrariant les ambitions d’acteurs locaux comme AfricaLab ou TaxiJet, qui ont depuis cessé leurs activités. Yango domine aujourd’hui le marché devant le géant américain Uber, arrivé en décembre 2019, ainsi que la start-up française Heetch, présente depuis mars 2022. Et l’annonce, ce 12 décembre, d’un investissement substantiel de 300 millions de dollars dans le pays devrait conforter cette large avance.
Cadre juridique : avantage Abidjan
Passé une période de flou juridique, le gouvernement ivoirien a publié un décret, le 15 décembre 2021, pour mettre de l’ordre dans le secteur, en distinguant les propriétaires de flottes – certains possèdent jusqu’à 1 000 véhicules –, les gestionnaires, les chauffeurs, et enfin les sociétés de VTC qui assurent l’interface des courses via leurs applications respectives.
Visites techniques, licences, assurances, protection des données… Tout est désormais balisé, du moins sur le papier. « Chacun a ses responsabilités, avec des textes dédiés, mais leur application ne se fait pas sans difficultés », estime Marjorie Saint-Lot, à la tête d’Uber au Ghana et en Côte d’Ivoire, qui voit tout de même le verre à moitié plein : « Lorsque nous sommes arrivés sur le marché, moins d’un véhicule sur trois était à jour sur sa visite technique. Aujourd’hui, sans, c’est pratiquement impossible de circuler à Abidjan… Le VTC a permis d’accélérer la mise en conformité du transport de manière générale », estime-t-elle.
Si le marché du VTC a pu se développer à cette vitesse, c’est également lié à un contexte politique et économique favorable. En 2018, le gouvernement ivoirien a rapporté l’âge limite des véhicules d’occasion importés de huit à cinq ans, tout en supprimant les droits d’accise (impôts indirects) sur l’achat de véhicules neufs de moins de 13 chevaux. Ces mesures ont incité de nombreux entrepreneurs à investir dans des véhicules neufs pour ensuite les exploiter – par le biais de taxis ou de services VTC –, contribuant ainsi à rajeunir le parc automobile d’Abidjan.
Le marché dakarois, plus modeste en matière de superficie et de taille de population, n’a réussi à attirer Yango qu’en décembre 2021. Il a été suivi par Heetch, puis par la start-up algérienne Yassir. Si aucun cadre législatif clair n’encadre pour le moment leurs activités, l’une des difficultés rencontrées par ces trois acteurs réside dans la vétusté du parc automobile. En moyenne, celui-ci atteint 20 ans.
Dès lors, les sociétés de VTC sont confrontées à une délicate équation : trouver un nombre suffisant de chauffeurs pour répondre à la demande, sans lésiner sur la qualité des véhicules et la formation des chauffeurs, pour coller à l’exigence croissante des clients dakarois. « Les marchés ivoiriens et sénégalais ne sont pas du tout au même stade de développement », estime Martin Hieaux, responsable des opérations pour la business unit d’AutoCheck dédié au VTC, une fintech spécialisée dans le financement automobile qui propose de la location-vente. Il pointe en premier lieu les différences de prix pour l’achat d’un véhicule neuf.
« Dans notre business model, nous préférons acheter des véhicules neufs, mais c’est compliqué de trouver un équilibre à Dakar, car les prix sont environ 20 % plus élevés qu’à Abidjan, du fait de taxes et de droits de douane, avec des délais de livraison rallongés. Or c’est un business model assez serré, il faut que le coût du véhicule soit raisonnable et que ce dernier soit rapidement opérationnel », estime-t-il.
Croissance du marché : des dynamiques qui se rejoignent
Pour notre interlocuteur, un second problème résiderait dans l’absence de cadre légal. « Pour des sociétés qui louent et financent des véhicules, le risque, c’est qu’un chauffeur se fasse immobiliser sa voiture pendant deux semaines, et qu’il ne soit plus, par exemple, en mesure de payer son loyer », poursuit-il
Pour encourager et accélérer les investissements dans le secteur du VTC, et ainsi participer au renouvellement du parc automobile, Pascal Louchelart, vice-président du syndicat qui regroupe les concessionnaires automobiles au Sénégal, préconise pour sa part d’abaisser l’âge d’importation des véhicules de huit à cinq ans, et de supprimer les droits d’accise sur les véhicules de moins de 13 chevaux.
En l’état, l’achat de véhicules neufs n’a pas suivi la même courbe qu’en Côte d’Ivoire. Les ventes n’y ont augmenté que de 5 % entre 2016 et 2022, en passant de 7 015 à 7 397 véhicules neufs, quand celles-ci ont été multipliées par trois entre 2016 et 2023, pour atteindre 28 000 unités cette année, selon les estimations. « Mais le marché est en croissance », assure Pascal Louchelart, qui table sur plus de 8 000 ventes en 2023 : un record.
Au Sénégal, une dynamique semble malgré tout enclenchée. « Le marché des VTC a ouvert de nouvelles opportunités, il va de plus en plus se structurer autour de systèmes de flottes de véhicules, avec des investisseurs et une sous-couche de gestionnaires, comme à Abidjan, où il est courant qu’un propriétaire possède 200 véhicules par exemple », estime Selma Gasc, responsable des opérations pour Heetch en Afrique de l’Ouest.
Développement du secteur : égalité
Une direction empruntée par le Sénégalais Elhadji Falilou Ndaw, directeur général de Ndaw Transport Logistique (NTM), une société initialement positionnée sur la location de bulldozers ou de camions. En 2021, le chef d’entreprise a testé les applications Yango et Heetch, en tant que chauffeur, dans sa voiture personnelle, pour en saisir les subtilités. Il a ensuite investi dans quatorze véhicules et embauché des chauffeurs. Sa société gère maintenant une flotte d’une petite centaine de véhicules neufs, pour le compte d’une poignée d’investisseurs. Il aimerait à terme la faire grandir et lancer sa propre application.
Un autre acteur ambitieux a récemment fait parler de lui sur le marché dakarois : l’application mobile Kai ñu dem, qui met en relation chauffeurs et clients, en proposant différentes gammes de véhicules. « Nous avons investi dans une flotte d’un peu plus de 200 véhicules neufs. La moitié, ce sont des taxis jaune et noir, dotés de licences », explique le cofondateur, Pape Seyni Ndiaye, qui a bénéficié d’un investissement de Mobility 54, un véhicule de capital-risque codétenu par Toyota et CFAO.
« Nos clients savent à quoi s’attendre avec des véhicules en bon état, une clim qui fonctionne et des conducteurs courtois. Et puis, on continue à avoir un meilleur impact écologique et sécuritaire », assure-t-il. La start-up, qui prépare une nouvelle levée de fonds, entend constituer à terme une flotte de 1 000 véhicules, dont une moitié de taxis. « On est encore au tout début, mais à Dakar, on est en train de construire des modèles qui peuvent être répliqués ailleurs. »
En Côte d’Ivoire, le service de VTC ne se cantonne plus à la capitale économique. L’an dernier, la plateforme Yango a passé la vitesse supérieure en déclinant ses activités à Bouaké, à 300 km d’Abidjan. Un observateur attentif du secteur voit Dakar suivre la même direction : « Le marché sénégalais est un peu plus petit que le marché ivoirien, les choses se font souvent en décalé. »
Source: JeuneAfrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press