Africa-Press – Côte d’Ivoire. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) devait enfin sortir de la crise. Tout était prêt, samedi 16 décembre, pour que l’ancien parti unique ivoirien, devenu la principale force d’opposition au président Alassane Ouattara, se choisisse un nouveau chef à l’occasion de son 8e congrès. Une salle de l’hôtel Ivoire, à Abidjan, le plus prestigieux établissement du pays, était réservée. Les bus chargés de convoyer des centaines de militants venus de tout le pays avaient pris la route vers la capitale économique. Ces derniers jours, même les rivalités entre cadres semblaient plus feutrées.
Mais alors qu’il ne restait plus que deux prétendants à la succession d’Henri Konan Bédié, mort le 1er août – le maire de Cocody, Jean-Marc Yacé, et l’ex-directeur général du Crédit Suisse et petit-neveu de l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, Tidjane Thiam –, la justice a ordonné « la suspension et le report du congrès » à quelques heures de son ouverture, invoquant des risques de « trouble à l’ordre public ».
Une assignation en référé a été envoyée au siège du PDCI vendredi à 15 h 30, selon la justice. Bien que la direction du parti assure ne l’avoir jamais reçue, la rumeur d’une annulation a commencé à circuler dans la soirée, confirmée par une fuite à 2 heures du matin, lorsque les forces de l’ordre ont reçu l’ordre de se déployer près du siège du parti et sur le lieu du congrès.
« Des marionnettes »
Près de 6 300 congressistes, selon la direction du PDCI, se sont ainsi retrouvés bloqués par un dispositif sécuritaire de plusieurs centaines de gendarmes autour de l’hôtel Ivoire et de la maison du PDCI, située à quelques rues de là. Toute la matinée, Jean-Marc Yacé et Tidjane Thiam ont multiplié les appels au calme devant les militants, qui ont finalement été renvoyés chez eux aux frais du parti. « Nous ne sommes pas dans un pays démocratique, s’emporte un haut cadre du parti. Ce qui s’est passé est la faute de certains d’entre nous, en interne, qui ont été manipulés par le pouvoir en place. »
Ces critiques visent deux hommes : Christophe Blesson et Mathieu Ourah Affroumou, militants de la section du PDCI de Yopougon. Selon la décision de justice rendue par Aminata Touré, la présidente du tribunal de première instance d’Abidjan, MM. Blesson et Affroumou auraient déposé une plainte signalant que la liste des congressistes publiée par le PDCI « ne contient pas les noms de nombreux congressistes qui pourtant remplissent toutes les conditions statutaires pour participer au congrès », y compris le nom de M. Blesson lui-même.
« Ils n’étaient pas à jour de leurs cotisations, c’est pour ça qu’ils n’étaient pas sur la liste, justifie le membre du parti cité plus haut. Mais ce ne sont que des marionnettes, et nous savons qui est derrière. » Aucun cadre ne se risque à prononcer le nom de Maurice Kakou Guikahué. Le directeur de campagne de ce dernier, Isak Adi, n’a cessé de clamer qu’il n’était « ni de près ni de loin impliqué dans cette situation ».
Mais les réseaux sociaux du PDCI épinglent le vice-président de la formation. Son nom et sa photo, comme ceux des deux plaignants, circulent accompagnés de l’image d’une pomme grignotée par un ver, ou d’un portrait du fondateur du PDCI, l’ancien président Félix Houphouët-Boigny, affichant une mine affligée. La revanche de Maurice Guikahué ?
Secrétaire exécutif historique du parti, Maurice Kakou Guikahué, 72 ans, s’était porté candidat à la présidence du PDCI avant que sa candidature soit invalidée par le comité électoral, selon ses dires, en raison de la procédure de contrôle judiciaire qui le visait depuis les violences survenues lors de la crise postélectorale de 2020. Une affirmation contestée par la direction du parti.
La mesure de contrôle avait été levée la semaine dernière, faisant déjà naître des accusations de collusion avec le pouvoir. Mais Maurice Guikahué avait finalement annoncé lundi « prendre acte de l’élimination injuste » de sa candidature, tout en assurant qu’il ne saisirait pas la justice contre son parti.
Reste que son nom est bien mentionné dans la décision de justice rendue par Aminata Touré. Alors qu’il « remplissait toutes les conditions », indique l’ordonnance dans la partie consacrée à l’exposé du litige, Maurice Guikahué « s’est vu dénier le droit d’être candidat au motif qu’il a été placé sous contrôle judiciaire après sa mise en liberté provisoire suite à des faits non infractionnels ».
Des militants n’ont pas manqué non plus de rappeler que l’avocat des plaignants, Me Alphonse Van, était l’associé d’un autre avocat du PDCI, Me Emile Suy Bi, très proche de Maurice Guikahué. Sans compter que Christophe Blesson avait déjà protesté contre l’éviction de M. Guikahué le 7 décembre, et dénoncé, au nom des congressistes PDCI de Yopougon, « une forfaiture qui vise à imposer à la tête du parti une personnalité choisie seulement par la direction intérimaire », c’est-à-dire Tidjane Thiam. Congrès reporté à une date indéterminée
Dans l’entourage de ce dernier, qui partait archi-favori pour ce scrutin, on dénonce « une décision complètement disproportionnée ». « Depuis quand deux militants peuvent-ils faire annuler un congrès entier ? », fait mine de s’interroger un proche. D’aucuns dénoncent même une machination du pouvoir pour amonceler les obstacles devant Tidjane Thiam, qui a déjà annoncé son intention d’être candidat à l’élection présidentielle de 2025, afin de lui faire perdre du temps dans sa stratégie de conquête du pouvoir.
Un bureau politique a été convoqué en urgence pour décider de la nouvelle date du congrès. L’intérim assuré par Alphonse Cowppli-Bony devrait, selon les textes du parti, prendre fin avant le 2 février. Mais les grands événements politiques seront vraisemblablement ajournés pendant la Coupe d’Afrique des nations, qui se déroulera du 13 janvier au 11 février 2024. Ce qui reporte à la fin du mois de février, voire au mois de mars la tenue du congrès extraordinaire du PDCI. Date à laquelle Thierry Tanoh et Jean-Louis Billon, qui n’avaient pas pu déposer leur candidature en novembre et avaient dénoncé dans une déclaration conjointe le 12 décembre « l’opacité » du scrutin, auront atteint les 10 ans d’ancienneté au bureau politique nécessaires pour prétendre à la présidence du parti. Et pourront ajouter deux nouveaux camps à cette guerre de succession.
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