Alain Aka – à Abidjan
Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’armée ivoirienne a été contrainte, ces dernières années, de se professionnaliser et de se moderniser. Un long processus qui a, entre autres, abouti à l’annonce par Alassane Ouattara de la rétrocession du camp du 43e Bataillon d’infanterie de la marine française.
Nous pouvons être fiers de notre armée, dont la modernisation est désormais effective », a déclaré Alassane Ouattara lors de ses vœux à la nation pour 2025. Le ton est désormais à la confiance. Surtout, en annonçant la rétrocession du camp du 43e Bataillon d’infanterie de la marine française (Bima) aux Forces armées de Côte d’Ivoire (Faci) dès janvier 2025, le président a surpris. Sept ans plus tôt, en 2017, face aux mutineries qui avaient secoué le pays, il évoquait la nécessité de « transformer l’armée en une force véritablement républicaine » et de « restaurer la discipline ».
Entre ces deux allocutions, c’est toute une institution qui s’est reconstruite. De la loi de programmation militaire (2016-2020) aux départs volontaires organisés, en passant par la modernisation des équipements, l’armée ivoirienne a connu une profonde mutation.
Réconcilier des adversaires
En mai 1990, l’armée, alors organisée sur le modèle des circonscriptions hérité de la période coloniale, connaît sa première grande mutinerie. « C’était une armée à deux vitesses », explique un témoin de cette période. « Les appelés, qui constituaient la majorité des effectifs, vivaient dans des conditions précaires, sans perspective d’avenir une fois leur service terminé, » poursuit-il.
Face à la création d’une milice parallèle, les « Loubards », des soldats de rang se mutinent. Le président Félix Houphouët-Boigny les reçoit et choisit d’accéder à leurs revendications, notamment leur intégration permanente dans l’armée. Une décision qui modifie profondément la structure de l’institution militaire. « À partir de ce moment-là, l’armée consacrait 85 % de son budget au paiement des salaires, ne laissant que 15 % pour le fonctionnement et l’équipement », souligne notre témoin.
La crise post-électorale de 2010-2011 va forcer l’institution à se réinventer. L’armée se retrouve alors divisée entre les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et les Forces armées des forces nouvelles (FAFN). « Nous devions non seulement reconstruire une armée, mais aussi réconcilier des hommes qui s’étaient affrontés », explique un officier supérieur impliqué dans le processus.
L’épreuve des mutineries
En 2011, la fusion des forces pose problème. Comment intégrer 13 000 ex-rebelles au sein d’une armée qui compte alors 23 000 hommes ? Dès son discours du Nouvel An, Alassane Ouattara tient à rassurer. « Chaque Ivoirien peut vaquer tranquillement à ses occupations, en dépit de quelques dérapages de certains éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire [FRCI]. Nous avons pris des mesures énergiques à cet égard, notamment la création d’une police militaire. »
Les chiffres témoignent de l’ampleur de la tâche. « Près de 10 000 hommes ont été désarmés. Nous mettons tout en œuvre pour assurer leur réinsertion économique et sociale », précise alors le chef de l’État. Dans le seul district d’Abidjan, 5 000 emplois sont créés pour les ex-combattants.
Les mutineries de 2017 mettent à l’épreuve cette transformation. Face à des soldats réclamant d’importantes primes de 12 millions de francs CFA (18 000 euros), le gouvernement doit repenser sa stratégie. À la fin de 2017, environ 1 000 militaires quittent l’armée dans le cadre d’un plan de départs volontaires. L’objectif est de rééquilibrer une institution qui ne comptait alors pas moins de 15 000 sous-officiers, bien au-delà des standards internationaux recommandant entre 20 % et 30 % de sous-officiers.
La transformation de l’armée ivoirienne s’articule autour de trois axes majeurs: la restauration de la discipline avec la création d’une police militaire et le renforcement de la chaîne de commandement ; la modernisation des infrastructures, via la réhabilitation des casernes et des camps militaires, ainsi que l’amélioration des conditions de vie des soldats ; l’accompagnement des carrières avec la mise en place du Bureau d’accompagnement à la reconversion des militaires (Barm). Cette structure développe des programmes de formation et de reconversion.
441,6 milliards de F CFA pour la Défense
Créé en 2018, le Barm accompagne les militaires dans leur transition vers la vie civile. « Notre mission est double, explique le colonel Aké-Danho, chef du bureau. Nous devons à la fois préparer les départs volontaires et offrir des perspectives de seconde carrière aux militaires en fin de service. »
Cette structure a ainsi développé des partenariats avec le secteur privé et les centres de formation professionnelle. En 2024, plus de 500 militaires ont bénéficié de formations, principalement dans l’agriculture, l’élevage et l’entrepreneuriat. 70 % des bénéficiaires ont créé leur entreprise ou trouvé un emploi stable dans les six mois suivant leur reconversion. Une initiative qui contribue à changer l’image de l’institution et à rassurer les jeunes recrues sur leur avenir post-armée.
Sur les 2 828 bénéficiaires inscrits, 2 220 sont partis volontairement et 607 ont atteint l’âge de la retraite. Un décret a ouvert des possibilités d’intégration dans les douanes, les affaires maritimes et les eaux et forêts, permettant à 246 militaires d’intégrer la fonction publique. « La reconversion n’est pas qu’une question administrative, souligne le colonel Jérôme Bouadi, premier chef du Barm. C’est aussi un enjeu de société. Un militaire bien reconverti devient un ambassadeur de la paix dans le civil. »
Adopté à l’unanimité par la Commission des affaires économiques et financières (CAEF) de l’Assemblée nationale, le budget du ministère de la Défense pour 2024 s’élève à 399,25 milliards de F CFA (environ 609 millions d’euros). Il se répartit en trois programmes principaux. L’administration générale représente 124,46 milliards de F CFA (31,2 % du total). La défense nationale constitue le poste le plus important avec 168,59 milliards de F CFA (42,2 %), tandis que la sécurité, assurée par la gendarmerie nationale, dispose de 106,20 milliards de F CFA (26,6 %).
Pour 2025, le budget atteint 441,6 milliards de F CFA. Une hausse significative qui vise particulièrement le renforcement des capacités de surveillance des frontières et l’acquisition de nouveaux équipements face aux menaces sécuritaires croissantes dans la région du Sahel. La rétrocession du camp du 43e Bima, rebaptisé camp Général Ouattara Thomas d’Aquin, symbolise ce nouvel élan.
Source: JeuneAfrique
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