Africa-Press – Côte d’Ivoire. À quelques mois de la présidentielle d’octobre, notre journaliste est allée prendre le pouls de cette commune de l’ouest de la Côte d’Ivoire, où près de 500 personnes ont été tuées lors de la crise postélectorale de 2010-2011.
À Duékoué, le passé reste imprégné dans les mémoires. « Le pardon, oui, mais on n’oublie pas », m’a confié l’une de mes interlocutrices. Les fosses communes, les maisons abandonnées et les messages de paix accrochés sur un mur du square du centre-ville en sont des rappels permanents. Dans cette ville meurtrie, où des blessés et des proches de victimes cohabitent avec leurs agresseurs, des tensions ressurgissent de temps à autre, pour la plupart liées aux conflits fonciers. Mais, aujourd’hui, tous sont dans une démarche de réconciliation.
Dans le cadre de la série de reportages que je réalise dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, très convoitée avant la présidentielle d’octobre, cette ville était une étape importante. Un retour nécessaire pour y prendre le pouls, alors que Laurent Gbagbo demeure inéligible. Dans ce bastion historique de l’ancien président, son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) avait été célébré. Il s’était d’ailleurs rendu sur place en personne pour exprimer sa compassion et demander que justice soit rendue.
Au fil des ans, Duékoué, située à quelques kilomètres de la frontière avec le Liberia, a été associée dans l’imaginaire collectif à la crise postélectorale de 2010-2011. L’assaut des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) pro-Ouattara, dans le quartier Carrefour tenu à l’époque par l’armée ivoirienne, et des milices pro-Gbagbo, en a été l’un des épisodes les plus sanglants.
Des victimes en attente d’indemnisations
Aujourd’hui, Duékoué est devenue une ville dynamique. Le retour des réfugiés et l’arrivée de nouveaux habitants ont contribué à son agrandissement. En se rapprochant du centre-ville, on aperçoit le mont Péko au loin, qui se dresse dans le parc national où a été arrêté l’un des principaux protagonistes de la crise: Amadé Ouérémi. En janvier 2023, j’avais assisté à son procès en appel, à Abidjan. La justice avait jugé sa requête irrecevable, laquelle n’avait pas été formulée dans les délais légaux.
Amadé Ouérémi reste donc condamné à la prison à vie. Lui qui se présente comme un simple exécutant est le seul à avoir été jugé dans cette affaire. Les victimes, elles, attendent toujours d’être indemnisées. Depuis, l’idée avait germé de me rendre dans cette ville, dont les habitants n’ont rien oublié de ces événements douloureux.
Leaders de la société civile, religieux, chefs traditionnels, ONG, autorités locales… Les actions de sensibilisation pour la cohésion sociale s’y sont multipliées. Le Fonds au profit des victimes, de la CPI, y a clôturé ses activités le 31 mai par l’inauguration d’un mémorial, symbolisant un éléphant qui s’élève.
Quelques jours plus tôt, le 22 mai, le ministère de la Solidarité avait remis à six familles les corps identifiés de leurs proches. Nombreux sont ceux qui ne savent pas où sont enterrés leurs parents. Avec le temps, l’emplacement de l’une des fosses communes est devenu un marché à bétail entre les deux quartiers, Carrefour et Kôkôma.
Mais, d’ici à la présidentielle d’octobre à laquelle, outre Laurent Gbagbo, plusieurs leaders de l’opposition sont inéligibles, l’inquiétude est réelle. Même si l’on se dit que ce qui s’est passé en 2011 ne peut plus arriver. Et même si, lors de la crise électorale de 2020, la ville n’avait pas connu d’incidents. Car, comme me l’ont répété tous les habitants qui ont fait leur cet adage: « Celui qui a vu le lion et celui qui en a seulement entendu parler ne courent pas de la même façon. »
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