Tiémoko Meyliet Koné, la surprise du chef

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Tiémoko Meyliet Koné, la surprise du chef
Tiémoko Meyliet Koné, la surprise du chef

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Durant les premiers jours de mars, Alassane Ouattara a déplacé le cœur du pouvoir d’une dizaine de mètres. Il a troqué ses bureaux situés dans l’enceinte du palais érigé sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny contre ceux d’un immeuble moderne, dont la façade vitrée doit se lire « comme une partition de musique, avec des vibrations variant selon l’angle de vue ou la lumière », selon les mots de son architecte, Pierre Fakhoury, un des intimes du chef de l’État ivoirien. Ce « vaste miroir sur lequel se reflètent la ville et le ciel », dénommé « L’Esplanade », a vu le jour au moment où Alassane Ouattara réorganisait son dispositif.

S’il préside pour le moment le Conseil des ministres dans la salle des pas perdus, située dans l’ancien palais, le chef de l’État réunit dans ce nouveau bâtiment le Conseil national de sécurité autour d’une grande table ovale. Installé au troisième étage, il dispose d’une vue imprenable sur le port d’Abidjan et sur une partie du quartier du Plateau.

Hyperactif
Nommé vice-président un peu plus d’un mois après ce déménagement, Tiémoko Meyliet Koné occupe dans cet immeuble une place de choix. Au deuxième étage, son bureau se trouve précisément au-dessous de celui du chef de l’État. En Conseil des ministres, lors du Conseil national de sécurité, il siège à sa droite.

En cette deuxième semaine d’août, alors que les Ivoiriens se remettent doucement des célébrations du 62e anniversaire de l’indépendance, l’ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est au four et au moulin. À peine le temps d’aller se reposer quelques heures à Assinie, la station balnéaire proche d’Abidjan où il possède une maison construite il y a deux ans, le voici aux commandes. Le président étant en vacances, comme une partie du gouvernement, et le Premier ministre en déplacement à Odienné, dans le nord-ouest du pays, c’est lui qui tient la barre.

Semaines de travail chargées au bureau et rendez-vous le week-end à sa résidence, dans le quartier huppé de « Beverly Hills », commune de Cocody… Depuis sa prise de fonctions, le 20 avril, le deuxième personnage de l’État n’arrête pas une seconde, au point que le quotidien de sa famille s’en trouve un peu perturbé. Ne l’ayant pas suivi précédemment à Dakar, siège de la BCEAO, elle est en effet peu habituée à cette confusion entre vie professionnelle et vie privée. « À la BCEAO, il était le premier arrivé et le dernier parti. Le week-end, son bureau était submergé de parapheurs », assure l’un de ses collaborateurs.

Tiémoko Meyliet Koné a fêté son 73e anniversaire dans un nouveau costume, un de ceux qu’il ne s’attendait peut-être plus à porter. En août 2020, ce technocrate rigoureux avait été reconduit pour un deuxième mandat à la tête de la BCEAO, une institution qui l’a profondément marqué, comme certains de ses collaborateurs – sa garde rapprochée –, qui l’ont suivi de Dakar à Abidjan et continuent de l’appeler « gouverneur ».

Aux yeux du chef de l’État, échaudé par l’expérience Daniel Kablan Duncan, qui démissionna en juillet 2020, cette nomination répond à des objectifs précis : se décharger de certaines tâches de représentation, épauler Patrick Achi et avoir à ses côtés un homme d’expérience et de confiance.

En duo avec Achi
Le nouveau vice-président a l’avantage de bien connaître le Premier ministre. Ils ont été dans le même gouvernement, en 2010, et ont déjà travaillé ensemble, notamment à la préparation de la réforme du franc CFA, annoncée en décembre 2019 à Abidjan par Alassane Ouattara et Emmanuel Macron.

« Son arrivée a énormément soulagé Patrick Achi. Meyliet Koné est un homme de décision, d’entreprise. Il joue auprès du Premier ministre un rôle de coach. Il le pousse à aller loin. C’est un bon tandem, qui, pour le moment, satisfait tous les acteurs du pouvoir », assure un intime d’Alassane Ouattara.

« C’est un homme modéré, pondéré et compétent qui libère le président et le Premier ministre de certaines obligations. Avec Achi, il y a pour le moment un bon partage des tâches », analyse un diplomate en poste à Abidjan.

Meyliet Koné et ADO se parlent quotidiennement et se voient au moins trois fois par semaine. Avant chaque conseil des ministres, tous les dossiers passent désormais entre les mains du vice-président. Ce dernier est régulièrement mis en avant par le chef de l’État. Le 7 juillet, il a même représenté la Côte d’Ivoire à Dakar lors de l’assemblée annuelle de la Banque africaine de développement (BAD) aux côtés de plusieurs présidents : le Sénégalais Macky Sall, le Congolais Denis Sassou Nguesso, le Libérien George Weah, le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embaló.

Quelques semaines plus tôt, à Abidjan, il avait participé à un débat avec Macky Sall et le Nigérien Mohamed Bazoum, organisé dans le cadre de l’Africa CEO Forum. Si, ce jour-là, ses talents d’orateur n’ont pas sauté aux yeux, au premier rang, un spectateur de choix en la personne d’Alassane Ouattara écoutait attentivement la prestation de son cadet.

Ado, un « grand frère »
Entre les deux hommes, la relation dépasse le simple cadre professionnel ou partisan. Ils se connaissent depuis plus de cinquante ans. Leur rencontre s’était faite grâce à un frère cadet d’Alassane Ouattara aujourd’hui décédé, avec qui Meyliet était ami. « ADO est un peu son grand frère. C’est lui qui lui a suggéré de faire des études d’économie, et non d’agronomie comme il l’envisageait », raconte un vieil ami du vice-président. Meyliet suit alors le conseil de son aîné en intégrant la filière sciences économiques de l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody.

À l’issue de ses études, puis après des passages au centre de formation de la BCEAO et à l’institut du FMI, à Washington, Meyliet Koné se voit proposer trois offres d’emploi. Il choisit celle de la BCEAO, la moins intéressante sur le plan financier. À ses proches, étonnés, il dit ressentir le besoin de participer à une réflexion sur les économies régionales. Au sein de l’instance financière, il occupera presque tous les postes. Entamée à Abidjan, comme directeur national de la Banque en Côte d’Ivoire, sa carrière l’amène ensuite à Dakar, où il devient conseiller spécial du gouverneur, Charles Konan Banny.

En 1993, le décès de Félix Houphouët-Boigny marque le début de la traversée du désert d’Alassane Ouattara. Victime d’une tentative d’assassinat, vie en exil dans l’opposition… Pendant cette période difficile que connaît ADO, Koné est l’un des seuls à qui ADO, souvent accompagné de son frère Gaoussou, rend visite lorsqu’il se déplace à Dakar.

À 58 ans, âge auquel les fonctionnaires de la BCEAO partent à la retraite, Tiémoko Meyliet Koné revient à Abidjan. Il souhaite se consacrer à la création d’un cabinet de conseil pour les PME ivoiriennes quand Guillaume Soro le sollicite. Nous sommes en 2007, au moment où le jeune chef rebelle devient Premier ministre. Sur les conseils de Cardosi Koné (aujourd’hui député de Ferkessédougou, ville d’où est originaire le père de Meyliet Koné) et sur la recommandation d’Alassane Ouattara, Soro en fait son directeur de cabinet. Les deux hommes n’ont néanmoins jamais été très proches.

Ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat dans le deuxième gouvernement Soro, il est rappelé aux côtés d’Alassane Ouattara lors l’accession au pouvoir de ce dernier, en 2011. Le président le nomme conseiller spécial chargé des Finances avant d’en faire son candidat au poste de gouverneur de la BCEAO, après la démission de Henri Dacoury-Tabley.

Salsa endiablée
Pendant la décennie qu’il a passée à la tête de l’institution, Tiémoko Meyliet Koné s’est constitué un impressionnant carnet d’adresses. Mais, contrairement à Charles Konan Banny, qui recevait beaucoup, lui a mené une vie discrète. « C’est un homme simple, qui a inculqué à ses enfants l’art de la discrétion. C’est un vrai patriarche. Tout tourne autour de lui », raconte un ami de la famille.

Réservé, peu expansif, austère, diront certains, le banquier se montre plutôt affable en privé et sait parfois amuser la galerie. Ses proches assurent que, malgré sa démarche aujourd’hui légèrement chancelante, il fut un grand sportif. Joueur de golf, il a une passion méconnue pour la moto – il enfourcha sa première « bécane » pendant ses études. Curieux, il peut s’intéresser à l’aéronautique comme, lors de ses rares moments de temps libre, regarder des émissions de la chaîne National Geographic. Ce père de famille est ancré dans la tradition sénoufo, langue qu’il parle comme le malinké. À Tarifé, petite ville du nord de la Côte d’Ivoire d’où sa mère est originaire, il possède un complexe hôtelier et un ranch. Il y est un important producteur de mangues.

Qui peut croire que, lors du cocktail organisé le 3 juin à Dakar pour fêter son départ de la BCEAO, il a entamé quelques pas de salsa endiablés ? Tiémoko Meyliet Koné est un très bon danseur… qui cache bien son jeu. Jamais rien ne transparaît. Ses larges épaules et son léger embonpoint laissent imaginer une certaine rondeur. Mais sa solide poignée de main et son regard intense montrent qu’il n’hésite pas à trancher. En apparence imperméable au tapage médiatique, il a souvent pesté contre la manière dont la presse traitait la question du franc CFA.

Immédiatement après sa nomination à la vice-présidence, les proches de Ouattara ont précisé qu’il ne fallait pas pour autant voir en lui un dauphin du chef de l’État. Ils en font même un anti-Duncan – ce dernier avait vu dans sa nomination un tremplin pour la présidentielle de 2020. Bien que Tiémoko Meyliet Koné connaisse plusieurs acteurs politiques majeurs comme Laurent Gbagbo, qu’il a rencontré pendant ses études, il n’est pas issu du monde politique et ne passe pas pour un ambitieux. « Il ne faut pas le sous-estimer. Aujourd’hui, toutes les cartes sont sur la table. Meyliet fait partie des options. Tout dépendra de l’état de santé du patron et de la situation sous-régionale », nuance-t-on dans l’entourage d’Alassane Ouattara. Du deuxième au troisième étage, il n’y a que quelques marches à gravir.

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