Albert Einstein: Le Doute Comme Source de Génie

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Albert Einstein: Le Doute Comme Source de Génie
Albert Einstein: Le Doute Comme Source de Génie

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Quiconque n’a jamais commis d’erreur n’a jamais rien tenté de nouveau.  » Cette phrase figure parmi les nombreuses citations attribuées à Albert Einstein qui s’étalent dans les mèmes des réseaux sociaux aussi bien que sur les tee-shirts, mugs… Mais on ne mesure pas toujours combien cette maxime apocryphe (on ne la trouve nulle part dans ses écrits, ni citée par une source fiable) s’applique au plus célèbre physicien de l’histoire !

On peut même gager qu’il aurait approuvé cette autre citation (authentique celle-là), signée d’un génie de la même stature, le Français Alexandre Grothendieck, que l’on a même surnommé « l’Einstein des mathématiques »: « Craindre l’erreur et craindre la vérité est une seule et même chose. Celui qui craint de se tromper est impuissant à découvrir. C’est quand nous craignons de nous tromper que l’erreur qui est en nous se fait immuable comme un roc.  »

Alors que prend fin une « année Einstein » riche en anniversaires (70 ans de sa mort en 1955 ; 120 ans de « l’année miraculeuse » 1905 et de ses quatre articles révolutionnaires ; 110 ans, enfin, de la relativité générale), le génie excentrique n’a rien perdu de son aura légendaire. Rappelons que durant la seule année 1905, il avait remis en question l’immuabilité de l’espace et du temps avec sa théorie de la relativité restreinte, démontré l’existence des atomes par le mouvement brownien (mouvements imprévisibles de petites particules elles-mêmes entraînées par l’agitation des molécules invisibles), donné un coup d’envoi décisif à la physique quantique en expliquant l’effet photoélectrique (propriété de certains métaux d’émettre un courant électrique sous l’effet de la lumière) et établi l’équivalence entre énergie et matière (la fameuse équation E = mc2).

Puis, après avoir connu de son vivant une des plus éclatantes confirmations jamais apportées à une théorie scientifique (la relativité générale) lors de l’éclipse de 1919, avec la mesure de la déviation au voisinage du Soleil de rayons lumineux en provenance d’étoiles lointaines, il avait acquis un rang de quasi-prophète de la physique par les nombreuses confirmations posthumes de ses brillantes intuitions. Laser, lentilles et ondes gravitationnelles ou autres trous noirs – on semble n’avoir jamais fini de s’écrier: « Le vieil Albert avait raison !  »

L’importance de l’erreur et surtout de l’errance

Pourtant, son parcours illustre bien à quel point il est aussi important de savoir se tromper, ou au moins d’en courir le risque, si l’on veut avancer dans la quête de vérité qui a été la grande passion de sa vie. Car dans son cheminement scientifique (nous laisserons de côté sa vie privée, qui a elle aussi ses zones d’ombre), les erreurs et autres errements n’ont pas manqué. Souvent dans le mouvement même où il énonçait l’une de ses idées visionnaires, parfois en marge ou en contrepoint de ces grandes réussites. Chacune nous en apprend un peu plus sur cette icône incontestée de la science – et peut même paradoxalement ajouter à son aura en la teintant de cette touche d’humanité qui lui sied si bien.

Lorsqu’il prit son poste en 1933 à l’Institut d’études avancées de Princeton (États-Unis), où il devait rester jusqu’à la fin de sa vie, on demanda à Einstein de quel équipement il avait besoin. Selon son biographe Denis Brian, il aurait répondu: « Un bureau ou une table, une chaise, du papier et des crayons, et aussi une grande corbeille à papier pour que je puisse y jeter toutes mes erreurs.  » Son esprit anticonformiste empruntait en effet volontiers des chemins de traverse pour résoudre les énigmes théoriques qui le hantaient. En particulier, pendant les dix ans qui séparèrent le triomphe de la relativité restreinte en 1905 et la découverte des équations de champ de la relativité générale fin 1915. Ce cheminement tortueux illustre bien l’importance de l’erreur dans toute grande découverte. Ou plutôt de l’errance, cette faculté d’explorer les pistes les plus aventureuses, de tester les idées parfois les plus « folles ».

Ses successeurs lui ont souvent donné raison contre lui-même

Et Einstein ne craignait pas de s’aventurer ainsi dans l’inconnu, quitte à penser contre lui-même, à remettre en question ce que ses propres théories avaient établi comme un dogme intouchable. Comme il l’écrivait en 1945 à un de ses correspondants, « une personne scientifique ne comprendra jamais pourquoi elle doit croire à des opinions simplement parce qu’elles sont écrites dans un certain livre. En outre elle ne croira jamais que les résultats de ses propres tentatives sont définitifs.  »

Prenons l’exemple d’un de ses apports théoriques majeurs, établi par la théorie de la relativité restreinte: la vitesse de la lumière (dans le vide) est une constante universelle, notée c. Rien ne peut l’altérer, ni les mouvements de sa source, ni sa longueur d’onde, ni les contorsions que lui imprime l’espace-temps. Pourtant dès 1911, un savant iconoclaste avait déjà imaginé la possibilité d’une vitesse de la lumière variable. Et ce frondeur n’était autre qu’un certain… Albert Einstein ! Alors qu’il cherchait désespérément à faire entrer la gravitation dans le cadre de sa relativité (qui était alors restreinte aux mouvements linéaires uniformes, soumis à aucune force ni accélération), il envisagea en effet que la lumière puisse être accélérée par la matière-énergie (dont il avait démontré l’équivalence en 1905 dans la célébrissime formule E = mc2).

Face à ce travail exploratoire, son collaborateur et biographe Banesh Hoffmann avait reculé d’horreur, y voyant une « hérésie  » ! Et même si cette tentative a très vite été reléguée dans le secret de ses tiroirs et les oubliettes de l’histoire, l’idée a resurgi chez d’autres chercheurs aventureux, avides de spéculations audacieuses.

Une constante qui ne l’est peut-être pas

Après avoir brièvement envisagé la possibilité théorique d’une vitesse variable de la lumière, Einstein a rapidement abandonné cette piste. Mais son idée ne tomba pas totalement dans l’oubli: reprise en 1957 sous une forme plus élaborée par l’Américain Robert Dicke, cette hypothèse baptisée VVL (pour « vitesse variable de la lumière ») a été envisagée par la suite par plusieurs cosmologistes. Elle permettait en effet d’expliquer le « problème de l’horizon »: pourquoi des régions du cosmos qui auraient dû être isolées les unes des autres après le Big Bang présentent-elles une parfaite uniformité thermique?

Selon le modèle d’une expansion « simple », celle-ci aurait en effet été trop rapide pour rendre compte d’une telle homogénéité. Contre la théorie qui fut alors privilégiée, celle de l’inflation, qui postulait sans l’expliquer une expansion d’abord plus lente, puis ultrarapide, des chercheurs ont alors imaginé que la lumière se déplaçait plus vite dans la prime jeunesse de l’Univers, permettant ainsi les échanges thermiques (dont la vitesse limite est celle de la lumière).

Le Portugais João Magueijo, qui a défendu cette théorie et l’a vulgarisée en 2003 dans son livre « Plus vite que la lumière », proposait encore en 2016 de la soumettre au verdict des images du fond diffus cosmologique obtenues par le satellite Planck. Cette théorie VVL reste certes marginale et n’a encore été validée par aucune observation, mais elle offre un bel exemple de l’audace sans laquelle la science ne peut avancer.

Ce ne fut pourtant pas le plus souvent par excès d’audace que pêcha le grand scientifique. C’est au contraire une prudence excessive et un manque de confiance dans la validité de ses propres doctrines qui le firent passer à côté de plusieurs découvertes majeures, en reculant devant les incroyables conséquences de ses théories. Mais ici ses successeurs lui ont souvent donné raison… contre lui-même, comme dans le cas des trous noirs – dont l’existence, qui avait pourtant été déduite de ses équations, lui paraissait inconcevable – ou des ondes gravitationnelles, ces oscillations qui font onduler la trame même de l’espace-temps, provoquées par d’énormes cataclysmes cosmiques (comme justement la collision de deux trous noirs), mais si infimes qu’il a fallu des trésors d’ingéniosité et un appareillage ultrasophistiqué, l’interféromètre Ligo, pour les détecter pour la première fois en 2015.

Un attachement farouche au déterminisme causal

Alors qu’il mûrissait la relativité générale, Einstein commit une autre erreur qui aurait pu avoir des répercussions désastreuses sur son destin de génie. Il est toujours hasardeux de spéculer sur les uchronies, ces scénarios où l’histoire dévie de son cours, mais imaginez un peu: si un temps trop nuageux n’avait pas empêché une première observation, celle de l’éclipse solaire au Brésil en 1912 ; et si la Première Guerre mondiale n’avait pas contrarié les projets d’une seconde expédition en Crimée en 1914 et retardé la mise à l’épreuve de la relativité, les prédictions d’Einstein seraient passées complètement à côté !

Les premiers calculs qu’il avait effectués en 1911 de la déviation de rayons lumineux au voisinage du Soleil avaient en effet sous-estimé de moitié cet effet de la courbure de l’espace-temps par la matière-énergie, sorte de « mirage gravitationnel » (on parle aussi d’un effet de « lentille gravitationnelle », car les étoiles observées autour du Soleil semblent plus éloignées les unes des autres que lorsque leur lumière n’est pas déviée). Contraint d’attendre que l’armistice de 1918 ait laissé de nouveau la voie libre aux expéditions internationales, le physicien eut le temps de rectifier à la hausse sa prédiction, qui se trouva confirmée avec éclat en 1919 par l’expédition d’Arthur Eddington au large des côtes du Gabon. Il avait en effet eu dans l’intervalle tout le temps d’affiner ses calculs.

L’art de se tromper consiste parfois à se tromper assez tôt… et à faire confiance aux aléas de l’existence ! On peut aussi se demander si le refus d’Einstein d’accepter l’évolution de la mécanique quantique (qui régit le comportement des particules et à laquelle le savant a largement contribué) vers une théorie probabiliste et son attachement farouche au déterminisme causal peuvent être comptés parmi ses « erreurs », ou si cet entêtement était au contraire une marque de lucidité et de probité. Car si l’avenir a opposé à Einstein un cinglant démenti expérimental dans le cas du « paradoxe EPR », la compréhension profonde de la physique quantique reste un défi pour l’entendement humain.

Que l’avenir lui ait donné tort ou raison malgré lui, ces erreurs n’occultent en rien la gloire de ses succès, le génie de ses découvertes, le pouvoir prédictif impressionnant de ses théories, mais dressent un portrait plus riche du savant échevelé. Certaines ont ouvert des pistes prometteuses, d’autres renaissent de leurs cendres sous une forme parfois inattendue, mais une chose est sûre: les erreurs d’Einstein ont encore de beaux jours devant elles !

Les dates marquantes
1900: Après des études à l’École polytechnique fédérale de Zurich (Suisse), il obtient son diplôme d’enseignement en physique et mathématiques.

1905: Lors de cette « année miraculeuse », il publie quatre articles majeurs sur l’effet photoélectrique, le mouvement brownien, la relativité restreinte et la relation « E = mc2 ».

1915: En poste à l’université de Berlin (Allemagne), il présente les équations de champ de la relativité générale après des années de travail.

1919: La confirmation expérimentale de la relativité générale, lors d’une éclipse solaire, fait la une des journaux. Einstein devient une célébrité mondiale.

1921: Il obtient le prix Nobel de physique pour ses contributions à la physique théorique et, spécialement, pour sa découverte de la loi de l’effet photoélectrique.

1933: Face à la montée du nazisme il fuit l’Allemagne pour s’installer aux États-Unis, à l’Institut d’études avancées de Princeton

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