Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’apprentissage de plusieurs langues constituerait-il un facteur protecteur au moins aussi important que l’activité physique au regard du vieillissement? Le cerveau des multilingues, bilingues et plus, vieillit moins vite que celui des monolingues, démontrent en effet de nouveaux travaux réalisés sur 27 pays européens, dont la France. Si ces résultats reflètent pour l’instant le vieillissement non pathologique, ils sont probablement pertinents aussi quant à la protection contre les maladies liées au vieillissement. « Les personnes présentant un vieillissement accéléré affichent généralement les mêmes schémas de vulnérabilité qui prédisent les maladies chroniques comme le diabète, la démence ou l’hypertension, tandis que le vieillissement retardé reflète une plus grande résilience et une capacité fonctionnelle préservée », confirme auprès de Sciences et Avenir le neuroscientifique Agustín Ibáñez, qui a dirigé ces travaux internationaux publiés dans la revue Nature Aging.
Deux fois moins de risque de vieillissement accéléré
Les personnes qui utilisent régulièrement une ou plusieurs langues différentes de leur langue maternelle ont deux fois moins de risque de souffrir d’un vieillissement accéléré que les personnes monolingues, calculent les chercheurs en comparant l’âge réel des participants à leur âge biologique et comportemental. Ce dernier, mis au point par la même équipe, repose sur un modèle prédictif basé sur de multiples paramètres à la fois protecteurs (éducation, sexe, mémoire, mobilité, activité physique, etc) et constituant des facteurs de risque (surpoids, consommation d’alcool, troubles du sommeil, diabète et maladies cardiovasculaires, etc). Examinés cette fois au fil du temps, les bénéfices associés au maniement de langues multiples se confirment et montrent même un effet augmenté à mesure que le nombre de langues augmente. Comparés aux monolingues, les bilingues avaient un risque 1,11 fois moindre de développer un vieillissement accéléré, contre 1,25 fois et 1,41 fois moindre pour les trilingues et quadrilingues et plus respectivement.
C’est la première fois que des scientifiques démontrent un lien entre le multilinguisme et le vieillissement accéléré. « Avant notre étude, les preuves établissant un lien entre le multilinguisme et le vieillissement étaient fragmentaires. La plupart des recherches antérieures provenaient d’échantillons cliniques ou de petite taille », commente Agustín Ibáñez. Les présents travaux se basent sur plus de 86.000 personnes âgées en moyenne d’une soixantaine d’années et provenant de 27 pays européens. 3.640 d’entre elles sont françaises.
Les bénéfices biologiques, cognitifs et sociaux du multilinguisme
Si les chercheurs ne savent pas encore formellement expliquer pourquoi l’effet est proportionnel au nombre de langues parlées, ils suspectent plusieurs mécanismes derrière ces bénéfices associés au plurilinguisme. « Les effets protecteurs du multilinguisme sur le vieillissement proviennent probablement de l’interaction entre des mécanismes biologiques, cognitifs et sociaux », développe Agustín Ibáñez.
Biologiquement, l’utilisation de plusieurs langues favorise la neuroplasticité et active de nombreux circuits de contrôle du langage du cerveau qui s’en trouvent renforcés en termes d’efficacité synaptique, myélinisation (un gainage protéique des connexions entre neurones essentiel à leur fonction) et le couplage neurovasculaire (l’ajustement de l’apport en oxygène et nutriments par la circulation sanguine en fonction des besoins neuronaux). « Sur le plan cognitif, la gestion de plusieurs langues impose des exigences constantes en matière de contrôle exécutif, d’attention, d’inhibition et de mémoire de travail, renforçant ainsi les réseaux généraux qui soutiennent la réserve cognitive », complète Agustín Ibáñez. Sur le plan social enfin, le multilinguisme « élargit la communication, la participation sociale et l’intégration culturelle », renforçant la régulation émotionnelle et réduisant l’isolement et le stress et favorisant le bien-être psychologique.
Le multilinguisme, facteur de protection apparemment aussi important que l’activité physique
Si ces travaux ne peuvent pas établir avec certitude que les bénéfices observés chez les multilingues sont bien causés par leur usage de plusieurs langues, les chercheurs estiment le lien de causalité probable. « Nous interprétons ces résultats comme fortement corrélatifs et biologiquement plausibles, bien qu’ils n’établissent pas de causalité », résume Agustín Ibáñez. « Il n’est pas encore tout à fait clair si les effets observés découlent du multilinguisme lui-même ou de facteurs associés (éducation, engagement cognitif ou enrichissement socioculturel). »
Pour le vérifier, il faudra d’autres études examinant par exemple si l’apprentissage de langues supplémentaires à un âge avancé peut ralentir activement le processus de vieillissement. En attendant, les chercheurs concluent que le multilinguisme est un facteur de protection contre le vieillissement accéléré. « Ces effets semblent similaires ou plus importants que d’autres effets protecteurs bien établis, tels que l’exercice physique ou la qualité du sommeil », ajoute le neuroscientifique. Pour que ces effets existent, il faut cependant que ces multiples langues soient activement utilisées plutôt que passivement sues. La manière ou le moment où elles ont été apprises semble en revanche ne pas importer significativement.
« Nous prévoyons d’examiner ces effets dans des conditions neurodégénératives, notamment la maladie d’Alzheimer, la démence frontotemporale et la maladie de Parkinson, afin de déterminer si le multilinguisme confère une résilience contre le vieillissement pathologique », anticipe Agustín Ibáñez. Si cet effet protecteur se confirme, l’apprentissage et l’utilisation de plusieurs langues pourrait, il l’espère, devenir un outil de santé publique peu coûteux et évolutif pour promouvoir la santé cérébrale et réduire le risque de démence.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press





