« Chacun apporte sa pierre » : quand musées français et africains œuvrent main dans la main

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« Chacun apporte sa pierre » : quand musées français et africains œuvrent main dans la main
« Chacun apporte sa pierre » : quand musées français et africains œuvrent main dans la main

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Plus qu’une invite, c’était une injonction, aimable mais ferme. Le 20 octobre, lors d’un cocktail organisé à l’Elysée à l’occasion de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), après avoir énuméré quelques artistes africains exposés à Paris, salué les galeristes de la première heure qui défendent cette scène comme les nouveaux arrivants, Emmanuel Macron a exhorté les responsables d’institutions à renforcer leurs liens avec l’Afrique, avant de lâcher en anglais, devant un parterre international : « Africa is so important for us ! »

Franck Paris, son conseiller Afrique, le confirme : « Le président saisit chaque opportunité pour encourager nos opérateurs culturels à s’engager avec des opérateurs ou artistes africains, en insistant à chaque fois sur la dimension partenariale, conformément à l’esprit de la saison “Africa2020” et à la méthodologie prônée par [sa commissaire] N’Goné Fall. »

Laurent Le Bon, nouveau président du centre Pompidou, a entendu la leçon. « Je veux insister, car c’est le sens de notre histoire, sur l’Afrique, que nous avons négligée ces dernières années, a-t-il déclaré le 21 octobre lors de sa première conférence de presse. Je crois que fondamentalement, il est impossible d’aller implanter des centres Pompidou en Afrique, ça n’a pas de sens. En revanche, une politique de partenariats renouvelée, oui. »

Restaurer « l’importance de l’Afrique dans l’histoire de l’art »

Alors qu’il était directeur du musée Picasso Paris, Laurent Le Bon avait organisé en 2017 une exposition du peintre espagnol au musée Mohammed-VI d’art moderne et contemporain, à Rabat. Il envisageait aussi d’exposer, fin 2019, une trentaine d’œuvres du maître andalou au Musée des civilisations de Côte d’Ivoire, à Abidjan, avec le concours du Quai-Branly.

C’est finalement à Dakar, au Musée des civilisations noires (MCN), que se tiendra cette exposition, à partir du 1er avril 2022. Avec au passage un changement de taille : il n’est plus question de parachuter Pablo Picasso en Afrique, mais d’organiser une exposition en coproduction. Le projet « Picasso à Dakar, 1972-2022 » explorera, en une trentaine de pièces, les correspondances entre l’œuvre du maître du cubisme et des objets d’art africain.

En 1972, déjà, Picasso avait fait l’objet d’une exposition au Musée dynamique de Dakar. Mais à l’époque, précise Hélène Joubert, co-commissaire de l’exposition, « il n’y avait pas eu de prêt des musées français ». Cette fois-ci, outre le musée Picasso, deux autres institutions sont autour de la table : le Quai-Branly, qui enverra quatorze objets africains, et le musée Théodore-Monod d’art africain, abrité au sein de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, qui prête une demi-douzaine d’œuvres ainsi que des documents. « L’exposition restaure l’importance de l’Afrique dans l’histoire de l’art, se réjouit Malik Ndiaye, jeune directeur du musée Théodore-Monod. Le centre devient Dakar et non pas Paris, Londres ou New York. »

L’exposition pose ainsi les bases d’un nouveau mode de collaboration entre musées français et africains, qui ne passe plus par une simple circulation des expositions ou des prêts d’œuvres. « On a travaillé ensemble sur le concept et les choix d’œuvres, sans qu’un point de vue ne soit imposé, confie Hamady Bocoum, directeur du MCN. Il ne s’agit pas d’une exposition clés en mains ou d’un copié-collé. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. »

« Depuis quelque temps, les relations se sont rééquilibrées »

Depuis un an et demi, le Grand Palais-Réunion des musées nationaux (RMN), à Paris, planche pour sa part sur l’exposition « 1966 Dakar Paris », prévue pour la réouverture du site après travaux, en 2025. Un groupe de recherche a été mis en place, constitué notamment d’émissaires du Philadelphia Museum of Art (Etats-Unis), de Koyo Kouoh, directrice du musée Zeitz d’art contemporain d’Afrique, au Cap (Afrique du Sud), de Pap Ndiaye, directeur général du Palais de la Porte dorée, à Paris, et de Malik Ndiaye, du musée Théodore-Monod.

Son point de départ ? Une reconstruction critique de l’exposition « Art nègre », qui, après s’être tenue à Dakar dans le cadre du premier Festival mondial des arts nègres, en 1966, avait été présentée dans les galeries nationales du Grand Palais. L’accrochage confrontait des objets rituels africains avec des œuvres de Picasso, Atlan ou Modigliani. « L’Afrique, dans ce dialogue, n’est pas restée muette, n’est pas venue les mains vides », écrivait alors le président sénégalais Léopold Sedar Senghor en préface du catalogue de l’exposition, posant, voilà six décennies, les prémices d’un dialogue culturel qui a tardé à se concrétiser.

« L’exposition “Dakar Paris” n’est pas tombée du ciel »

, observe Chris Dercon, patron du Grand Palais-RMN, qui depuis longtemps regarde du côté de l’Afrique, notamment sous l’impulsion de son ami, feu le commissaire d’exposition nigérian Okwui Enwezor. « Tout un monde de la culture prend le continent africain très au sérieux. C’était peut-être un monde parallèle, il fallait juste attendre qu’il puisse prendre le pouvoir pour changer le cours des musées. »

Malik Ndiaye le reconnaît, une « nouvelle ère » s’ouvre : « Longtemps, mes collègues se sont plaints d’un certain paternalisme. Depuis quelque temps, les relations se sont rééquilibrées, on n’est pas dans une coopération unilatérale. Les projets ne naissent pas en Europe et ne sont pas balancés en Afrique. »

Le développement d’équipements aux normes internationales, tels que le MCN ou le Musée des cultures contemporaines Adama-Toungara, à Abidjan, y a largement contribué. « Un nouveau mode de fonctionnement était dans les tuyaux lors de la conférence internationale de préfiguration du MCN organisée en 2016 », décrypte Hamady Bocoum, rappelant ce principe : « On ne reçoit pas ce qu’on ne désire pas. » Un principe d’autant plus viable que le musée a désormais « l’embarras du choix dans les partenaires ».

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