Comment capter et stocker le CO2

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Comment capter et stocker le CO2
Comment capter et stocker le CO2

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Le 25 août 2025, le navire Northern Pioneer a livré ses premiers mètres cubes de CO2 au terminal d’Øygarden, une île à l’ouest de la Norvège. Le gaz liquéfié a ensuite été acheminé par un pipeline jusqu’à 110 km au large, avant d’être injecté à 2600 m de profondeur sous la mer du Nord. Porté et financé par l’État norvégien, mais aussi par des acteurs privés (Equinor, Shell et TotalEnergies), le projet Northern Lights d’enfouissement de CO2 démarre avec une capacité annuelle de 1,5 million de tonnes. Une quantité bien modeste comparée aux 40 milliards de tonnes émises par les activités humaines chaque année.

Néanmoins, c’est une première: jamais encore une infrastructure de stockage n’avait été ouverte à des expéditeurs venus de plusieurs pays européens. Si ce CO2 stocké provient de deux sites pilotes norvégiens (une cimenterie à Brevik et une usine de déchets à Oslo), des accords commerciaux ont été conclus avec les Pays-Bas, le Danemark, et la Suède. Northern Lights devrait donc rapidement monter en régime, avec 5 millions de tonnes annuelles en 2028.

À bas bruit, mais à marche forcée, le procédé de captage et de stockage de CO2 (CCS pour carbon capture and storage) se déploie. Selon le Global CCS Institute, 65 installations de captage et de stockage sont déjà opérationnelles dans le monde, représentant une capacité de 57 millions de tonnes de CO2 par an. Et plus de 600 projets sont en développement. Un verrou technologique aurait-il sauté pour permettre tout à coup cette floraison de projets? « Les procédés de captage ont commencé à se développer aux débuts des années 2010, et ils sont mûrs depuis quelque temps déjà « , relativise Florent Guillou, expert du captage à l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen). Pour lui, le moteur de cet emballement est ailleurs.

Si le captage et le stockage de CO2 accélèrent aujourd’hui, c’est surtout grâce à la mise en place d’une réglementation internationale, notamment européenne. « Du Green Deal et son objectif de neutralité carbone en 2050 au Net Zero Industrial Act [adopté le 29 juin 2024, il vise à renforcer la production de technologies propres au sein de l’Union européenne], cela pose les bases d’un cadre pour que les industriels puissent investir.  » Les objectifs fixés par ces différents engagements sont de 450 millions de tonnes de CO2 stockées pour l’Europe, 5 à 6 milliards de tonnes à l’échelle mondiale à l’horizon 2050. « C’est 12 % des rejets mondiaux actuels, rappelle Florent Guillou. On voit donc que le CCS n’est qu’un volet de la décarbonation de l’industrie, et qu’il ne suffira pas. »

De fait, le premier levier pour limiter les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie reste la sobriété énergétique. Pour les besoins incompressibles, le recours aux énergies bas carbone (renouvelable, nucléaire) est nécessaire. Et en bout de chaîne, le captage et le stockage pour les industries dont la production de CO2 demeure inévitable. « Mais ce levier-là est le plus cher, les industriels ont donc intérêt à actionner d’abord les autres « , note l’expert. Plusieurs techniques sont d’ores et déjà disponibles.

Plusieurs techniques de captage disponibles
LA POSTCOMBUSTION, la technique plus répandue, est installée en sortie de cheminée. Les fumées passent dans une colonne de lavage où des solvants chimiques à base d’amines (dérivés de l’ammoniac), fixent le CO2. Le gaz capté est récupéré par chauffage de la solution aminée, ce qui permet au passage de régénérer le solvant. Elle est facilement adaptable sur les installations existantes, un peu comme un plug & play, mais coûteuse en énergie à cause de l’étape de chauffe. Toutefois, des gains d’efficacité sont possibles. L’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen) assure ainsi avoir réussi à réduire d’environ 30 % la consommation d’énergie par rapport aux amines de première génération, grâce notamment à un nouveau solvant.

LA PRÉCOMBUSTION « est pertinente pour les industries qui produisent de l’hydrogène ou de l’ammoniac « , indique Florian Guillou, expert du captage à l’Ifpen. En effet, pour fabriquer ces gaz, on part d’un hydrocarbure (gaz naturel, charbon ou biomasse) que l’on transforme en gaz de synthèse (CO + H2). Ce mélange est ensuite enrichi en hydrogène. Le monoxyde de carbone réagit avec la vapeur d’eau pour donner du CO2 et de l’H2. Le CO2 concentré et sous pression peut être séparé – soit par l’utilisation de solvants physiques, soit par adsorption sur solides, ou encore avec des membranes – tandis que l’hydrogène peut être brûlé ou utilisé comme matière première. Là encore, le coût reste élevé du fait de la consommation d’énergie.

L’OXYCOMBUSTION consiste à brûler le combustible non pas à l’air mais à l’oxygène pur, ce qui produit des fumées presque uniquement composées de CO2 et de vapeur d’eau. Il suffit donc de condenser l’eau pour récupérer du CO2 pur. C’est intéressant pour les cimenteries, dont un tiers du CO2 émis provient de la combustion. « L’idée est séduisante, mais cela nécessite des installations très spécifiques, moins facilement adaptables qu’un procédé de postcombustion « , souligne l’expert. constitue une piste intéressante pour condenser les fumées à très basse température.

En France, Air Liquide s’est imposé comme pionnier, avec des technologies déjà déployées depuis dix ans à l’échelle industrielle sur son site de Port-Jérôme (Normandie). Mais de nouveaux acteurs cherchent à bousculer le secteur. C’est le cas de la start-up lyonnaise Revcoo par exemple, fondée en 2019, qui développe un démonstrateur industriel de captage cryogénique. Elle mise sur des solutions plus modulaires, conçues pour s’adapter à des sites de taille moyenne. « La cryogénie est prometteuse, mais elle consomme de l’électricité. Elle doit donc être plutôt réservée à des pays dont le mix énergétique est largement décarboné « , conclut Florent Guillou.

Le captage direct dans l’air, une technique coûteuse

Un procédé se distingue particulièrement: le captage direct dans l’air (DAC). Avec seulement 0,04 % de CO2, l’atmosphère est une source extrêmement diluée. Or, plus le CO2 est dilué, plus le capter est coûteux. « L’atmosphère est 250 fois moins concentrée en CO2 que les fumées industrielles. On ne va pas dépenser 250 fois plus d’énergie pour le piéger, mais tout de même entre trois et cinq fois plus « , constate Florent Guillou.

Avec des estimations allant jusqu’à 1000 euros le coût d’extraction d’une tonne de CO2, le captage direct dans l’air peut-il trouver son modèle économique? « Il y a une place, affirme-t-il. Les premiers clients ont été les géants du numérique, les Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft], prêts à payer plusieurs centaines de dollars la tonne pour compenser leurs émissions et afficher un bilan net zéro avec le système des crédits carbone.  » Mais à l’autre bout du spectre, les petits émetteurs peuvent aussi y trouver leur compte. « Pour certains, il est plus cher de capter leur propre CO2 que d’acheter un crédit carbone issu du DAC ou d’autres sources.  »

Des réservoirs rocheux pouvant accueillir et retenir le CO2

Deux approches technologiques dominent aujourd’hui. La voie liquide, portée par la société canadienne Carbon Engineering, repose sur une solution alcaline qui fixe le CO2 de l’air sous forme de carbonates, ensuite décomposés à haute température (environ 900 °C) pour libérer du CO2 pur. L’autre est la voie solide, développée par la start-up suisse Climeworks: elle utilise des matériaux adsorbants qui captent le CO2 à la surface, puis le relâchent lors d’un cycle de chauffage à basse température (autour de 100 °C).

La première approche est testée à grande échelle avec le projet Stratos, au Texas (États-Unis). La seconde, moins gourmande en énergie, fonctionne en unités modulaires, comme Orca ouverte en 2021 (objectif: 4000 t par an) et Mammoth en 2024 (40.000 t par an), en Islande. « Climeworks pourrait monter à 400.000 t par an à l’horizon 2030 avec le projet Cypress, si celui-ci n’est pas remis en cause par la nouvelle administration américaine « , indique Florent Guillou.

Mais capter le CO2 n’est qu’une moitié de l’équation. Pour qu’il serve réellement à réduire les émissions, encore faut-il l’acheminer et l’enfouir de façon sûre et durable. C’est tout l’enjeu de la seconde étape du captage direct dans l’air: le stockage géologique. « Un bon site d’enfouissement doit répondre à deux critères principaux, explique Thomas Le Guénan, ingénieur de recherche au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). D’abord une roche ‘réservoir’, suffisamment poreuse et perméable pour accueillir le gaz et permettre son injection à débit industriel. Ensuite, une roche ‘couverture’, imperméable et continue, qui assure le confinement et empêche toute remontée du CO2.  »

Ces réservoirs n’ont rien à voir avec de vastes cavités souterraines. Ils ressemblent davantage à des « éponges rocheuses »: des grès ou calcaires sédimentaires dont 15 à 20 % du volume est constitué de pores microscopiques, saturés d’eau salée. « À l’œil nu, on ne verrait rien, pourtant ces roches peuvent accueillir de grandes quantités de CO2 « , détaille Thomas Le Guénan. Pour garantir la sécurité et optimiser le stockage, on privilégie une injection au-delà de 800 à 1000 m de profondeur, où la pression et la température maintiennent le CO2 à l’état dit supercritique: un fluide dense, occupant 30 fois moins de volume qu’à la surface. Cette profondeur évite aussi tout conflit avec les nappes d’eau potable.

Ces caractéristiques se retrouvent dans deux grands types de réservoirs. Les gisements épuisés de pétrole ou de gaz présentent un avantage évident: ils ont déjà prouvé leur capacité à retenir des fluides pendant des millions d’années, et les données accumulées par l’industrie pétrolière offrent une connaissance fine de leur géologie. Viennent ensuite les aquifères salins profonds, des formations rocheuses saturées en eau saumâtre, abondantes dans les bassins sédimentaires. Leur potentiel de stockage est immense, mais ils demandent plus de caractérisation, car ces structures sont moins bien connues que les réservoirs exploités pour les hydrocarbures.

Il reste à assurer la pérennité du stockage. Le risque de fuite est maximal pendant la phase d’injection, quand la pression est la plus élevée. Ensuite, les mécanismes comme la dissolution ou la minéralisation du CO2 renforcent la sécurité à long terme. « On ne se contente pas d’injecter et de refermer le puits, précise Thomas Le Guénan. On met en place tout un dispositif de suivi, avec des capteurs de pression et de sismicité, des contrôles géochimiques et parfois même des observations sismiques en 3D, afin de vérifier que le CO2 reste bien confiné.  »

Mais au-delà des considérations techniques, l’économie demeure le nerf de la guerre pour pérenniser le captage et le stockage du CO2. « Pour un industriel, la question n’est pas seulement de savoir si la technologie est disponible, mais si elle coûte moins cher que de continuer à émettre et à payer « , résume Paula Coussy, experte de l’économie carbone à l’Ifpen. Depuis 2005, le système européen d’échange de quotas d’émission, le « marché carbone », fixe un plafond d’émissions par périodes appelées phases. Actuellement, le système est dans sa phase 4, allant de 2021 à 2030. Dans ce cadre, les industriels concernés (énergie, sidérurgie, ciment, chimie…) reçoivent ou achètent des droits d’émettre du CO2. En septembre 2025, ces quotas s’achetaient autour de 78 euros la tonne.

En Islande, injecter le CO2 dans du basalte

Stocker chaque année 3 millions de tonnes de carbone dans le basalte islandais: telle est l’ambition du projet Coda Terminal mené par la société Carbfix à Straumsvík, au sud-ouest de la terre des geysers. Le CO2 est capté soit localement en sortie d’usines, de fonderies, etc., soit ailleurs en Europe et transporté sous forme liquide par navire vers l’Islande. Le procédé consiste à dissoudre le CO2 dans de l’eau, puis à injecter le mélange en profondeur dans un basalte perméable, jeune et réactif, qui libère rapidement les composés (calcium, magnésium, fer…) nécessaires à la minéralisation du CO2 en carbonates stables en moins de deux ans. Le dispositif, dont la construction débute cette année, devrait atteindre sa pleine puissance après 2030. L’abondance de sources d’énergie géothermique en Islande doit permettre de réaliser ces opérations avec une empreinte carbone faible.

Le coût des opérations, une donnée majeure

Dès lors, l’équation semble simple: l’entrepreneur doit comparer le coût du captage et du stockage de CO2 au prix des droits à émettre qu’il devra payer sur plusieurs années. Là où cela se complique, c’est que chaque projet repose sur un modèle économique spécifique, dépendant de la filière, des volumes à capter, de la proximité d’un site de stockage et de la possibilité de mutualiser les infrastructures avec d’autres industriels…

Sachant que les investissements et les coûts opératoires sont lourds et s’échelonnent au moins sur une vingtaine d’années, les acteurs économiques sont un peu dans le brouillard car ils ignorent combien vaudra la tonne de CO2 dans 20 ans. Seule certitude: « Aujourd’hui, la chaîne CCS reste plus chère que le coût d’achat des droits d’émettre, note Paula Coussy. Et cela, même si le prix de la tonne doit atteindre les 200 euros d’ici à 10-15 ans.  »

Si le captage et le stockage de CO2 ne peuvent pas tout, ils demeurent la seule façon de traiter les émissions inévitables pour des années encore. Reste à voir si les sociétés seront prêtes à investir suffisamment, et surtout au rythme imposé par les changements du climat, pour accompagner les acteurs industriels.

Quelle limite pour le stockage géologique du CO2?

Une étude parue dans Nature en septembre dernier fixe une limite planétaire « prudente » au stockage géologique du carbone: environ 1460 milliards de tonnes de CO2, soit bien moins que les estimations retenues jusque-là, qui vont de 10.000 à 40.000 milliards de tonnes. L’étude conclut que l’enfouissement du carbone n’offrirait qu’une marge de manœuvre limitée pour inverser le réchauffement, au mieux 0,7 °C. « La démarche des auteurs met utilement en lumière que le sous-sol n’est pas infini. Mais ils retiennent des hypothèses très restrictives qui réduisent fortement le potentiel « , nuance Thomas Le Guénan (BRGM).

Par exemple, l’étude écarte d’emblée les sites situés à plus de 2500 m de profondeur. Or, le projet norvégien Northern Lights, qui a commencé à injecter du CO2 à 2600 m sous la mer du Nord, démontre que de tels stockages sont techniquement et géologiquement viables. De son côté, l’ingénieur de recherche a participé à l’étude Evastoco2, commandée par la Direction générale de l’énergie et du climat et rendue en février dernier, qui a estimé les capacités de stockage de la France hexagonale à 4,8 milliards de tonnes (en comptant les eaux territoriales), avec donc des critères différents. « Nous avons déterminé un potentiel physique qui repose sur la quantité de réservoirs, la résistance des roches à la pression d’injection, etc. L’étude parue dans Nature prend davantage en compte les aspects socio-économiques, d’acceptation du public notamment, qui existent aussi mais qui sont plus subjectifs ».

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