Africa-Press – Côte d’Ivoire. Un gramme de sol contient plusieurs milliards de micro-organismes, en particulier plusieurs dizaines de millions de cellules de champignons. Visuellement, ceux-ci n’ont que peu à voir avec les cèpes, chanterelles et autres lactaires qui sortent des sols à l’automne. C’est que les champignons représentent bien plus que les 5000 tonnes cueillies tous les ans dans les forêts et prairies françaises.
Dans la classification du vivant, on les appelle les mycètes. Depuis 1969, ils sont reconnus comme un “règne”, à l’égal des plantes et des animaux. Mais moins de 10 % produisent des structures complexes à pied et chapeau. La plupart des champignons sont en réalité microscopiques, à l’échelle de la cellule pour les levures par exemple. Et très mal connus ! Jusqu’ici en tout cas, car le premier “Atlas français des champignons du sol” vient tout juste d’être publié (éd. Biotope).
C’est une fidèle photographie du monde de la “fonge” que viennent en effet de fournir les spécialistes de l’écologie microbienne des sols des laboratoires d’agroécologie de l’Institut national de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Dijon et de la surveillance des sols de l’Inrae d’Orléans. Cette somme détaille la densité et la diversité des 270 ordres (en l’état actuel des connaissances puisqu’on en découvre de nouveaux tous les mois) qui composent le règne des mycètes. Et l’une comme l’autre sont exceptionnelles, si bien que selon les dernières évaluations, le sol renferme 59 % de la biodiversité totale de notre planète.
“Les stratégies de reproduction et de dispersion des champignons sont aussi diverses qu’ingénieuses”
Le rôle des champignons est essentiel: recyclage de la matière organique, stabilité de la structure des sols, développement des plantes, régénération de la fertilité, dépollution… Sans cet univers dont l’astrophysicien Hubert Reeves disait qu’il était plus divers, riche et abondant que toutes les étoiles du ciel, il n’y aurait tout simplement pas de vie sur cette planète.
“Sexuées, asexuées, mélange des deux, les stratégies de reproduction et de dispersion des champignons sont aussi diverses qu’ingénieuses, rappelle Philippe Silar, professeur de génétique et de mycologie à l’Université Paris Cité. Et ils produisent par milliards des spores qui n’ont pas d’autre fonction que la dispersion. ” En moyenne, chaque mètre cube d’air de l’atmosphère contient 20.000 spores !
L’ensemble des milieux terrestres est donc colonisé par des milliers d’espèces invisibles qui s’adaptent au climat, à la composition géochimique du sol, aux plantes déjà présentes et aux perturbations que les terrains peuvent connaître, comme le labour. Et leurs modes de vie sont très différents. Les mycorhiziens ont besoin des plantes pour entamer une symbiose, où le végétal fournit les sucres obtenus par photosynthèse contre des éléments minéraux et de l’eau que le champignon peut aller chercher beaucoup plus loin dans le sol que les racines. Les saprophytes vivent, eux, de la dégradation de la matière organique et du bois. Les champignons aident les plantes à vivre et à mourir…
La génomique a révolutionné l’observation des sols
Difficile donc d’appréhender la grande biodiversité et l’abondance de ces milliards de mycéliums, ces filaments de quelques dizaines de micromètres qui colonisent les premiers centimètres des sols. Pour arriver à un atlas, il a fallu la conjonction de deux facteurs. Le premier, ce sont les progrès immenses accomplis dans les technologies au service de la science. “La génomique a complètement révolutionné l’observation des sols, a rappelé Francis Martin, chercheur émérite à l’Inrae de Nancy, lors de la présentation de l’atlas au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Avec le séquençage d’un type d’ADN extrait du sol, l’ADN ribosomique ou ADNr, il est possible d’inventorier les espèces présentes et leur abondance sans altérer l’écosystème. Désormais, en séquençant les ADNr, on peut savoir qui est présent, et en séquençant les ARN messagers, on peut mesurer l’expression de leurs gènes, c’est-à-dire leur activité. ”
Ces ADN peuvent ainsi être comparés avec les 5000 génomes de champignons séquencés (sur 100.000 décrits par la science) qui sont en accès libre au Joint Genome Institute (JGI) du département de l’Énergie des États-Unis. Avant la révolution génomique, les chercheurs en étaient réduits à des analyses très vagues d’échantillons de sols prélevés par des tarières qui détruisaient les fins réseaux des mycéliums.
Le deuxième facteur, c’est la création en 2000 du Réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS). Ce réseau constitue une structure unique au monde de surveillance de la couche superficielle de la terre de France. L’Hexagone a ainsi une responsabilité particulière: il ne représente que 0,3 % de la surface terrestre mais son territoire est le troisième au monde pour son hétérogénéité environnementale (derrière la Chine et le Brésil) avec 18 grands types de sols, huit climats et une immense variété d’occupation des terres.
Pour prendre en compte toute cette richesse pédologique, l’atlas distingue dix types d’habitat fongique, des sols très acides des forêts sous climat océanique aux sols alcalins de grandes cultures, vignes et vergers sous climat méditerranéen. Tous les sols ont révélé la présence de champignons.
Les scientifiques ont d’abord cherché à estimer la densité en mycélium à partir du nombre de copies d’ADN extrait de chaque placette du RMQS. “La densité moyenne dans les sols français est de 320 millions de copies d’ADNr par gramme de sol [et autant d’individus, ndlr] , révèle Christophe Djemiel, l’un des six auteurs et coordinateur de l’atlas. Cependant, de fortes disparités peuvent être observées, allant de 3,1 millions à 1,5 milliard de copies d’ADNr par gramme de sol. ” Ces valeurs extrêmes proviennent de sols forestiers: en Gironde pour la plus faible densité, et dans le département du Gard pour la plus élevée.
Un maillage fin du territoire
Depuis 2000, le Réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS) est constitué de 2240 sites permettant de couvrir le territoire français, selon une maille de 16 km de côté. Ces placettes sont visitées tous les quinze ans pour en suivre l’évolution. La deuxième campagne de prélèvement est donc en cours. L’analyse porte sur les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols. Une première campagne a déjà permis de décrire les contaminations de neuf polluants métalliques comme le cadmium, le cobalt ou encore le cuivre. Le RMQS a également permis d’établir qu’en France, les 30 premiers centimètres de sol recelaient 3,2 milliards de tonnes de carbone provenant de la décomposition des végétaux. Pour suivre l’évolution des sols, l’Inrae d’Orléans est chargé de conserver les échantillons en chambres froides. Elles abritent aujourd’hui 30 tonnes de terres diverses.
Une plus forte densité fongique dans les sols forestiers
La densité fongique maximale correspond à des sols de texture argileuse et équilibrée, riches en matière organique facilement décomposable. “Les sols sous couvert forestier et les sols de prairie, représentant des écosystèmes naturels et semi-naturels, hébergent en moyenne une plus forte densité de champignons que ceux sous grandes cultures ou vignes et vergers “, poursuit Christophe Djemiel. Ceci peut s’expliquer en partie par des teneurs plus élevées en carbone organique dans les sols de prairie et de forêt par rapport aux sols de grande culture ou de vigne et verger.
Certaines pratiques agricoles nuisent à leur abondance. Il en est ainsi du travail intensif du sol qui détruit les habitats des champignons ; de la fertilisation par des engrais chimiques au détriment d’apports organiques ; de l’ajout de pesticides comme les antifongiques. On trouve également moins de champignons quand il n’y a pas de couverture végétale permanente, par exemple dans les vignes non enherbées.
Davantage d’espèces dans les terres de grandes cultures
Mais la quantité n’est pas le seul critère d’importance: la diversité l’est tout autant. Les espèces sont regroupées en unités taxonomiques opérationnelles (UTO), c’est-à-dire des assemblages de classes de champignons. Les chercheurs ont ainsi différencié plus de 136.000 UTO différentes ! En moyenne sur chaque site, ils ont trouvé 1454 classes. Les terres des vignes et vergers ainsi que celles des forêts sont moins variées que celles des prairies et de grandes cultures.
“À cela, une raison: les sols qui subissent peu ou pas de perturbations humaines sont stables et présentent donc un nombre limité de niches écologiques, tandis que les sols modérément perturbés fournissent des lieux de vie très différents qui favorisent l’installation d’un plus grand nombre d’espèces “, précise Lionel Ranjard, directeur de recherche à l’Inrae Dijon. Mais une trop forte perturbation comme les labours, le maintien des sols sans couvert végétal et l’usage des antifongiques font que les vignes présentent la plus faible biodiversité.
Quelles sont ces classes ? Parmi les innombrables qui caractérisent les champignons, en voici trois exemples. Les sordariomycètes sont des ascomycètes, c’est-à-dire qu’ils se reproduisent à partir de petits réservoirs à spores, les asques. Ce sont des mycéliums filamenteux que l’on retrouve dans la totalité des sols français, et malheureusement pour l’essentiel dans les terres de grandes cultures, de vignes et de vergers. Car dans cette classe, on trouve les Fusarium responsables de la fusariose, maladie affectant les céréales, Claviceps purpurea ou “ergot de seigle” producteur de l’acide lysergique, principe actif du LSD, ou encore Ophiostoma ulmi, responsable de la graphiose qui a quasiment fait disparaître l’orme du paysage français au 20e siècle. En moyenne, 17 % des ADN retrouvés dans les sols français appartiennent aux sordariomycètes.
Une symbiose entre mycéliums filamenteux et algues
Les tremellomycètes sont quant à eux des levures, c’est-à-dire des champignons unicellulaires dont l’un des représentants emblématiques est Cryptococcus, responsable de la cryptococcose, la première affection fongique au monde touchant les animaux en général, et les humains en particulier (méningite à cryptocoque). Ils sont présents dans tous les sols de France, mais plus abondants dans ceux de grandes cultures. Ils représentent en moyenne 11,79 % des populations. Enfin, les gloméromycètes sont, eux aussi, présents partout, et c’est heureux. Ces mycéliums filamenteux très rustiques sont vraisemblablement ceux qui ont aidé les algues à conquérir les continents, en les aidant par mycorhize à trouver les éléments minéraux présents dans le sol, il y a environ 500 millions d’années.
Cet atlas ouvre d’immenses perspectives. “On sait désormais où se trouvent les différentes classes de champignons, la prochaine étape sera de caractériser leurs fonctions ” ambitionne Francis Martin. L’objectif est de comprendre la vie intime des habitants du sol, leurs rôles respectifs dans la fertilité de la couche ultime de la croûte terrestre, les interactions entre les pathogènes et leurs prédateurs. Pour, in fine, donner naissance à un usage raisonné et respectueux de la terre nourricière.
La liste rouge des champignons en voie de disparition
Soixante ans après la première liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) consacrée aux mammifères, les champignons ont eu droit à leur première évaluation française, symbole du désintérêt pour ce règne. Publié en mai, ce travail mené par l’UICN et le Muséum national d’histoire naturelle s’est penché sur le sort de 319 espèces de bolets, de lactaires et de tricholomes que l’on trouve à l’automne principalement dans nos forêts. Douze espèces ont été considérées comme menacées et 16 quasi menacées.
C’est le cas du lactaire jaune et lilas Lactarius flavopalustris, au chapeau modeste de 3 à 5 cm de diamètre, qu’on ne trouve que dans une tourbière du Jura et au bord d’un ruisselet des Alpes. Mais à cet endroit, l’espèce n’a plus été revue depuis 2000 du fait d’un terrassement pour une piste de ski. Le bolet de plomb Imperator torosus, qui croît sous les hêtres et les chênes en sol drainant, se fait plus rare du fait de l’exploitation forestière. Le tricholome équestre des chênes Tricholoma chrysophyllum n’est plus présent que sur quatre sites, après qu’une coupe rase d’une pinède a détruit l’une de ses dernières placettes.
Ainsi, la destruction de leur habitat, notamment forestier, et le changement climatique expliquent ces risques de disparition. Mais, l’UICN le reconnaît, les données sont insuffisantes et ne reflètent pas l’état actuel des populations de champignons. D’autant qu’aucune espèce ne fait l’objet d’un programme de conservation et de protection.
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