Depuis 3800 ans, l’humain est le principal responsable de l’érosion dans les Alpes

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Depuis 3800 ans, l’humain est le principal responsable de l’érosion dans les Alpes
Depuis 3800 ans, l’humain est le principal responsable de l’érosion dans les Alpes

Africa-Press – Côte d’Ivoire. C’est à une délicate recherche en responsabilités que se sont adonnés les chercheurs du laboratoire Environnements, dynamiques et territoires de montagne (Edytem, CNRS, université Savoie Mont-Blanc) en collaboration avec l’Institut de physique du globe. Qui de l’humain ou du climat est le principal responsable de l’érosion des sols alpins ?

Depuis 3800 ans, l’être humain est plus fort que le climat

À partir de carottages effectués dans les sédiments du lac du Bourget et d’échantillonnages dans ses deux principaux affluents, le Rhône et l’Arve, d’analyses des pollens et des résidus d’ADN anciens conservés dans des petits lacs de montagne et à l’aide d’une bonne dose de mathématiques, cette équipe est arrivée à un résultat stupéfiant que vient de publier Nature Communications: depuis 3800 ans, l’être humain est plus fort que le climat !

L’érosion est un phénomène continu qui altère les roches et lessive les sols qui sont entraînés dans le réseau hydrographique. À l’échelle des 10.000 dernières années considérées par l’étude, il a deux principaux moteurs. L’un est naturel, c’est le travail de l’eau, du vent, des glaces. L’autre est humain: c’est la dégradation des sols par leur exploitation et leur mise à nu qui accélère les causes naturelles. “Un massif montagneux est un bon terrain d’observation car la topographie accélère les transports de matériaux et présente donc un taux d’érosion plus élevé plus facile à mesurer, explique William Rapuc, chercheur à Edytem et à l’université de Durham (Royaume-Uni) et l’un des auteurs de l’article.

Réceptacle des 5000 km2 d’un bassin versant s’étendant du haut du mont Blanc à 4805,59 mètres jusqu’à 252 mètres d’altitude, le lac du Bourget accumule la mémoire de l’érosion par le ruissellement des pentes et les apports du Rhône et de l’Arve.

Le point de départ de cette aventure, c’est donc cette plateforme de carottage qui en juin 2018 et 2019 pendant un mois au total, en plein centre du lac et au droit de la confluence avec le Rhône, a prélevé par 145 mètres de fonds au total 56,5 mètres de sédiments sous forme de carottes de 2 mètres de long. “Cela correspond à environ 10.000 ans de dépôts”, précise William Rapuc.

Une comparaison fine de l’érosion des zones vierges de toute activité avec celles exploitées par l’Homme

Il est impossible à partir de ce seul élément de faire la différence entre une érosion d’origine climatique et celle causée par l’humain. Mais les chercheurs ont eu l’idée de découper le bassin versant du lac du Bourget en deux parties. Une partie où les activités humaines n’ont pas eu d’effet sur l’érosion qui peut donc être considérée comme dépendante entièrement de l’effet des précipitations, du vent, et des avancées/retraits des glaciers. Cette région correspond à la partie englacée du massif du Mont-Blanc, au-delà de 2300 mètres et jusqu’au sommet. L’autre partie correspond au reste du bassin versant où le climat et les activités humaines ont pu influencer l’érosion au cours du temps.

Dans cette région non englacée, trois zones ont été définies: la plaine entre 250 et 850 mètres, la moyenne montagne entre 850 et 2000 mètres et la haute montagne au-delà de 2000 mètres, altitudes les plus hautes où de l’activité humaine ancienne a été détectée. L’idée a donc été de comparer les zones non englacées qui ont connu l’activité de l’humain avec les régions englacées des sommets. “Pour cela, nous avons mesuré la composition isotopique en néodyme des sédiments du lac du Bourget et réalisé un modèle permettant de connaitre la contribution des deux régions (englacé et non englacé) du bassin versant au cours du temps”, précise William Rapuc.

Dans un premier temps, les chercheurs ont calé les vitesses d’érosion de la zone englacée sur celles des zones inférieures. Ils ont pu ainsi construire une courbe théorique d’érosion où ne seraient intervenus que les effets du climat. Puis ils ont comparé cette courbe avec ce que leur révélait l’analyse des sédiments du lac. “Et là, nous avons constaté un écart très conséquent entre la courbe théorique d’érosion naturelle et ce qui était réellement advenu, poursuit William Rapuc. À partir de 3800 ans, l’érosion augmente à une vitesse deux fois supérieure à notre courbe théorique. Nous avons ainsi pu mesurer l’ampleur de l’action humaine sur le milieu.”

Une érosion deux fois plus intense signe en effet un impact fort sur l’écosystème montagnard alors que le nombre d’humains et la taille de leurs troupeaux étaient vraisemblablement très faibles à l’époque.

Une étude de la “zone critique” qui révèle l’empreinte de l’humain

Dans des travaux antérieurs, le laboratoire Edytem a reconstitué l’évolution de l’occupation humaine dans la région. À partir de l’ADN et de pollens anciens prélevés dans des carottes de sédiments des lacs de montagne (comme Anterne, Verneyt, Savine), les chercheurs ont pu retracer la présence de troupeaux dès l’âge du bronze tandis que des pollens de plantin, de céréales et d’arbres fruitiers signent l’arrivée de l’agriculture. Et ce sont dans la haute montagne, au-dessus de 2000 mètres que l’on trouve en premier ces traces.

“Les Hommes sont d’abord montés très haut pour développer leur activité parce qu’à ces altitudes, il est plus facile de défricher et d’ouvrir les espaces pour faire paître des troupeaux”, assure William Rapuc. Les Hommes et leurs troupeaux sont ainsi restés dans cet étage de haute altitude jusqu’à la chute de l’empire romain où la vitesse d’érosion décroît fortement. A partir du Moyen Âge, ce sont les zones de moyenne altitude et de plaine qui commencent à être plus massivement utilisées par l’Homme. Les taux d’érosion amorcent leur décroissance à la fin du petit âge glaciaire, vers 1850. L’exode rural commence. Les humains désertent les hautes vallées du massif. La végétation reprend ses droits. Les arbres reconquièrent les pentes. Une évolution toujours en cours aujourd’hui.

Edytem est un des laboratoires qui s’intéresse à l’étude de la “zone critique”, cet espace de quelques centaines de mètres entre les premières couches de l’atmosphère et la composition géologique des sols et leurs nappes phréatiques. Là où se concentre la vie. Le sol et son érosion sont donc des sujets centraux de ce nouveau domaine: ils sont des acteurs essentiels des grands cycles géochimiques (carbone, phosphore, azote) et le substrat qui permet aux plantes de pousser et aux animaux (dont les humains) de se nourrir.

Depuis quelques décennies, l’action de l’humain sur son milieu vital est ainsi questionnée, notamment pour les impacts destructeurs de son activité. Depuis le début des années 2000, le monde scientifique estime ainsi que la Terre a changé d’ère géologique, quittant l’holocène pour entrer dans l’anthropocène. Les auteurs de l’article pensent donc que ce changement d’ère serait bien plus ancien que la révolution industrielle du 19e siècle. Il y a 3800 ans déjà, l’humain modifiait profondément son milieu.

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