Africa-Press – Côte d’Ivoire. Sciences et Avenir: Vous avez notamment travaillé sur la construction du plaisir alimentaire chez l’enfant. Qu’est-ce que cela vous a appris?
Lucile Marty : Principalement que les enfants ayant le plus de connaissances nutritionnelles ou qui considèrent l’alimentation prioritairement par le prisme de la nutrition ne sont pas nécessairement préservés de manger moins d’aliments sucrés ou très salés… Nous avons notamment mené une expérience où il était demandé à des enfants âgés de 6 à 11 ans de classer des d’aliments dans quatre boîtes différentes “C’est miam !“, “C’est beurk !“, “Ça fait grossir !“ et “Ça donne des forces !“. Cela nous a permis de constituer deux groupes. Celui des enfants ayant plutôt un rapport hédonique à l’alimentation, plutôt tourné vers le plaisir donc. Et un autre ayant un rapport plus nutritionnel. Et parallèlement, nous leur demandions de choisir des aliments pour leur goûter, des fruits ou bien des aliments gras et sucrés.
L’hédonique versus le nutritionnel
Ce que nous avons constaté c’est que dans le groupe “hédonique“, les enfants avaient tendance à opter pour des goûters panachés, constitués à la fois de friandises grasses et sucrés mais aussi de fruits. En revanche, dans le groupe “nutritionnel“, le choix se portait préférentiellement vers des aliments gras et sucrés.
C’est plutôt contre-intuitif comme résultat !
Totalement. On pense que dire aux enfants: « tel aliment est bon pour la santé » augmenterait leur attirance et leur assurer que tel autre fait grossir tendrait à la diminuer. Sauf qu’en réalité, la santé sur le long terme, cela ne leur évoque rien. Ce type d’injonction aurait plutôt tendance à créer une mauvaise association dans leur cerveau. Du type: « Donc, quand ce sont des aliments que j’aime, on me dit que ça fait grossir. Et quand je n’en ai pas envie, on me dit que c’est bon pour ma santé ». En revanche, pour les enfants ayant un rapport très hédonique avec la nourriture, tourné vers le plaisir sensoriel, leur choix se portera peut-être sur du gras et du sucre mais également vers le frais et les fruits, pour constituer au final une palette bien plus large.
Les trois leviers pour une autre alimentation
Quantité de recherches dans mon équipe ont montré que plus le répertoire de l’enfant est ouvert avant ses deux ans, plus il aura tendance à manger varié une fois atteint l’âge adulte.
Il existe trois leviers importants pour apprendre à aimer autre chose que le gras et le sucré. Premièrement, le levier sensoriel via l’exposition répété à des arômes et des saveurs nouvelles et ça commence in utero. Par exemple, il a été montré que l’exposition à un arôme d’anis durant la grossesse donnera des enfant qui, dès leur naissance, auront une appétence pour cet arôme.
Ensuite l’aspect psychosocial, l’histoire que l’on raconte, et ça, le marketing et la publicité l’utilisent beaucoup et l’ont parfaitement compris en associant leurs produits à des héros toujours super sympas. Et enfin, la dimension interpersonnelle, passer du temps ensemble à table et consommer des aliments dans un contexte positif. Mais, ça aussi est détourné par l’industrie, puisque finalement, les contextes positifs comme les anniversaires sont systématiquement associés à des bonbons et des gâteaux. Il vaudrait mieux utiliser ces leviers pour apprendre à manger des plats végétariens, plus de légumineuses et plus de fruits.
Naturellement programmés pour la malbouffe
Pourquoi les humains sont-ils instinctivement attirés par ce qui est gras et sucré?
Parce que ce sont des marqueurs sensoriels gustatifs de l’énergie. Évolutivement parlant, nous sommes programmés à prendre plaisir à consommer des aliments qui vont garantir notre survie et nous apporter de l’énergie. A l’inverse, on rejette naturellement l’amertume associée à des plantes pouvant être empoisonnées. Sauf que l’on voit bien que depuis un demi-siècle, dans nos sociétés modernes, on a assisté à un renversement total de ces valeurs.
Devant la surabondance d’aliments gras et sucrés, cette attirance innée qui était un avantage évolutif est devenue un handicap puisque cela nous pousse à consommer des aliments responsables d’une surcharge pondérale, de diabètes et de maladies cardiovasculaires. Comme si on n’avait pas évolué assez vite par rapport à l’évolution de notre environnement alimentaire. Même constat avec notre consommation de viande. En France, si l’on suit les recommandations médicales, il faudrait la diviser par deux.
Les fausses croyances autour de la viande
Mais, pour de multiples raisons, c’est un objectif que nous avons beaucoup de mal à atteindre. Il existe beaucoup de clichés autour de la consommation de viande et notamment la fausse croyance selon laquelle les enfants doivent en manger pour être en bonne santé et assurer leurs besoins en bonnes protéines.
En fait, cela va totalement à l’encontre des simulations que certains de mes collègues ont pu faire lorsqu’ils modélisent les aliments bons pour la santé. Dans notre pays, nous consommons en moyenne 50% de plus de protéines par rapport à nos besoins.
Selon une série d’études publiées récemment, les produits ultra-transformés constituent une réelle menace pour la santé.
Un autre effet de ce renversement des valeurs que vous évoquiez?
En plus d’être délétère pour la santé à force de transformations industrielles, d’ajouts d’additifs, de conservateurs, d’antibiotiques, cette nourriture moderne a un autre effet, celui de déconnecter totalement le consommateur de son alimentation et de lui faire perdre ce que l’on appelle la littératie alimentaire.
Retrouver le plaisir de manger et de préparer à manger
C’est-à-dire la connaissance de ce qu’il mange, dans quelles conditions ça a poussé, comment cela a été produit. Ainsi que des compétences en matière de préparation des repas, lui permettant de conserver son autonomie et d’avoir un regard critique sur nos systèmes alimentaires.
Comprendre d’où provient ce que l’on mange et connaître l’histoire derrière le produit, est une composante essentielle du plaisir alimentaire. En plus du plaisir de la commensalité, de préparer et de manger ensemble.
Dans un contexte de dérèglement climatique, quel futur se dessine pour notre alimentation?
L’Ademe, l’agence de la transition écologique, a élaboré plusieurs scénarios pour l’horizon 2050. En fonction des choix de société qui seront effectuées, les impacts sur l’alimentation seront très différents.
Vers un scénario « Soleil vert »?
Pour parvenir à la neutralité carbone, l’un de ces scénarios baptisé « Technologies vertes » table sur une optimisation technologique et une spécialisation des systèmes alimentaires visant à se reposer sur les industries agroalimentaires pour nous fournir ce dont nous aurons besoin.
La question serait donc: se dirige-t-on tout droit vers une organisation à la « Soleil Vert » (film d’anticipation de Richard Fleischer de 1973 où l’humanité se nourrit d’un produit synthétique fourni par les gouvernements, ndlr)? Ou, au contraire, emprunterons-nous d’autres types de scénarios comme celui baptisé “Génération frugale“?
Ce dernier mise plutôt sur une prise de conscience de l’impact de nos systèmes alimentaires sur la santé et sur l’environnement. Il s’appuie sur une re-territorialisation de la production et une reconnexion des citoyens par des des circuits courts, avec pour impact de redonner de la valeur à l’alimentation. Et quand je dis « valeur », c’est d’accepter d’y passer plus de temps, de ne plus considérer cela comme une corvée, pour, au final, y retrouver du plaisir.
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