Africa-Press – Côte d’Ivoire. Site touristique magnétique, Pompéi est avant tout un champ de fouilles qui continue de livrer de fabuleuses découvertes, au point que l’on peut se demander si ce que l’on croit savoir du destin de la cité romaine peut être réellement gravé dans le marbre. Non, pas vraiment, répond l’avant-dernière entrée du journal de bord des fouilles de Pompéi de l’année 2024, publié par le Parc archéologique de Pompéi. En effet, comme pour enfoncer le clou, son directeur, Gabriel Zuchtriegel, signe avec trois autres chercheurs une série d’articles réinterrogeant le moment clé qui a scellé le destin de ses habitants. Car au cours de l’Histoire, différentes propositions ont été avancées pour dater l’éruption du Vésuve. Laquelle est la bonne ? Et d’ailleurs l’archéologie est-elle en mesure de le déterminer ?
Quelle est la date réelle de la destruction de Pompéi ?
Le Vésuve a enseveli Pompéi, Herculanum et Stabies en l’an 79 de notre ère, il n’y a pas de doute à ce sujet. Mais quel jour exactement ? Le 24 août, le 24 octobre, le 1er novembre ou bien le 23 novembre ? Ces quatre propositions ne sont que les plus plausibles parmi toutes celles qui ont été avancées au fil des recherches. Mais comment les départager ?
Il faut d’abord retracer l’origine de ces datations, répond Gabriel Zuchtriegel. La tradition littéraire indique le 24 août: c’est la date notée dans ses lettres par Pline le Jeune, témoin direct de la catastrophe. Les deux hypothèses plaçant l’éruption en novembre reposeraient sur une mauvaise lecture des manuscrits du récit plinien, confondant neuvième (le 24 août est le neuvième jour avant les calendes – c’est-à-dire le premier jour – de septembre) et novembre. Quant au 24 octobre, c’est la date la plus récemment retenue, mais « elle n’a aucune base documentaire », rappelle l’actuel directeur du Parc archéologique. De fait « toutes les dates, à l’exception du 24 août, sont de pures inventions qui n’ont aucun fondement dans la tradition manuscrite », ajoute-t-il.
En été ou en automne ?
Pourtant, les découvertes archéobotaniques vont dans le sens d’une date tardive, laissant entendre que le Vésuve se serait réveillé en automne. Hypothèse que corrobore un autre texte antique, l’Histoire romaine de Dion Cassius (163-235), qui indique que Pompéi a été ensevelie pendant la période du phthinopōron (terme grec qui désigne la fin de l’arrière-saison), c’est-à-dire en automne. D’autres éléments comme des pièces de monnaie, des textiles épais et des braseros semblent confirmer la saison.
Alors été ou automne, août ou octobre ? Il semble a priori que ce soit cette alternative qui doive être résolue, nous avertissent les chercheurs italiens dans leur journal de bord – mais il se pourrait aussi bien qu’il s’agisse d’une illusion !
Quand commence l’automne romain ?
On ne cesse de le rappeler: en archéologie, c’est le contexte qui prime – aussi bien sur le lieu de la découverte que dans l’interprétation. Il faut donc se garder de penser en termes contemporains, et coller le plus possible à la réalité quotidienne de l’époque analysée. En l’occurrence, exclure le 24 août parce qu’il se situerait en été et valider le 24 octobre comme date plus pausible puisqu’elle correspond à l’automne serait une erreur. Car les saisons antiques n’ont rien à voir avec les nôtres !
Ainsi les calendriers agricoles du 1er siècle de notre ère et du siècle précédent indiquent que « l’automne commence dans les dix premiers jours d’août et s’achève dans les dix premiers jours de novembre », nous apprend Gabriel Zuchtriegel. Voilà qui rebat les cartes et mène à réexaminer les preuves concrètes en dehors des textes.
Repartir des preuves concrètes
Les auteurs entreprennent ainsi de passer en revue les preuves trouvées sur le terrain susceptibles de contribuer à une datation de l’éruption. Outre les données archéobotaniques, il s’agit en premier lieu d’une inscription au charbon de bois identifiée dans la Maison du Jardin (Casa del Giardino). Découverte en 2018 sous l’égide de Massimo Osanna, ancien directeur du Parc archéologique, elle indique la date du 17 octobre, sans préciser l’année, ce qui a renforcé l’hypothèse du 24 octobre.
L’inscription au charbon de bois n’est pas décisive
Une étude archéoexpérimentale suffit cependant à invalider son interprétation. Étant donné la nature supposément éphémère de ce genre d’inscription, on avait en effet déduit qu’elle datait forcément de l’année 79, car, selon le communiqué de presse de l’époque, il « semble improbable qu’elle ait pu être réalisée en octobre de l’an 78 de notre ère ou de quelque année précédente ».
Mais en réalité, une inscription réalisée dans des conditions similaires au même endroit – un mur de l’atrium de la Maison du Jardin, abrité par un toit – est restée quasiment inchangée pendant presque une année (entre le 17 octobre 2023 et le 24 août 2024). Malgré quelques détériorations, « l’inscription est parfaitement lisible dix mois après sa création », constatent les chercheurs. Cette démonstration permet d’écarter cette fausse preuve, puisque « l’on ne peut exclure que l’inscription ait été faite le 17 octobre 78 ap. J.-C., soit un peu plus de dix mois avant la date plinienne de l’éruption », concluent-ils.
Une pièce de monnaie sème le trouble
Une preuve numismatique a semblé un temps apporter la solution à l’énigme de la datation de l’éruption: selon une première analyse, un denier d’argent trouvé dans la Maison du Bracelet d’or (Casa del Bracciale d’oro) se référait à la quinzième acclamation de l’empereur Titus (39-81), qui s’est produite après le 8 septembre 79. Mais un examen plus approfondi a révélé par la suite une erreur de lecture, puisque la titulature inscrite sur le denier est la quatorzième et non la quinzième. Ce qui fait remonter la pièce à juillet ou août 79 et l’écarte comme preuve contre la possibilité du 24 août.
Des pêches et des châtaignes dans la même couche de sol
Quant aux nombreuses espèces végétales retrouvées dans la couche de sol correspondant à l’année 79, elles ne contribuent pas vraiment à éclairer le tableau, puisque leur variété génère plutôt « une certaine confusion, surtout lorsqu’on essaie de placer chaque découverte dans sa saison de référence à l’époque actuelle », poursuivent les chercheurs.
En se basant sur les données issues du Laboratoire de recherche appliquée du Parc archéologique de Pompéi, où les analyses sont toujours en cours, on peut distinguer diverses espèces présentes à l’époque: des noyaux de pêches en premier lieu, mais aussi des écorces de châtaignes. Or force est de constater que « la première symbolise l’été et la seconde l’automne, alors que dans les niveaux de 79 ap. J.-C., on les trouve ensemble ».
Cette simultanéité, déroutante à première vue, peut cependant s’expliquer si l’on tient compte de la grande variété existant au sein d’une même espèce. Il existait ainsi dès l’Antiquité des variétés de pêches mûrissant après l’automne et des châtaignes à maturation précoce. Pêches et châtaignes ne sont donc pas plus décisives que l’inscription de la Maison du Jardin pour déterminer la saison de l’éruption.
Il n’existe aucune preuve archéologique de la date de l’éruption
Ces considérations amènent donc les auteurs à conclure que rien à l’heure actuelle, mis à part les textes, ne prouve la date exacte de la destruction de Pompéi. Transmise par la tradition littéraire, la date plinienne est toutefois la plus probable, puisque « toutes les autres sont le résultat de malentendus, de suppositions et d’interprétations erronées tout à fait récentes ». Et comme cette publication tend à le démontrer, la date du 24 août n’est pas en contradiction avec l’Histoire romaine de Dion Cassius qui place l’éruption en automne, puisque cette saison commençait au début du mois d’août à l’époque romaine.
Une mission pour l’archéologie du 21e siècle
Pour les auteurs, l’énigme de la datation de la destruction de Pompéi invite ainsi les archéologues à repenser l’agriculture et le climat du 1er siècle de notre ère. Les connaissances actuelles reposent certes sur des traités agronomiques écrits par d’illustres auteurs: Columelle, Pline ou Varron. Mais ces auteurs antiques vivaient-ils au plus près des coutumes locales, adaptées à un terrain variable selon la géographie et les microclimats ? On peut en douter.
C’est pourquoi la mise en évidence des preuves de la datation exacte de la destruction de Pompéi relève encore d’une mission à accomplir, et c’est tout le mérite de cette série d’articles que de remettre à plat l’état des connaissances actuelles sans trancher de manière définitive – même si la date du 24 août est privilégiée, car rien jusqu’à présent ne l’infirme.
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