Africa-Press – Côte d’Ivoire. ENTRETIEN. C’était presque il y a un mois. Le décollage de Starliner devait initialement avoir lieu le 6 mai. De reports en reports, il a été une nouvelle fois ajourné samedi 1er juin 2024. Selon la NASA, il pourrait, cette fois, se tenir mercredi 5 juin. La société Boeing est le fabricant de ce vaisseau qui doit être propulsé dans l’espace par la fusée Atlas V de ULA (United Launch Alliance). Cet acteur historique de l’exploration spatiale, dont le nom est actuellement associé à de nombreuses déconvenues dans le domaine des vols aériens commerciaux, joue gros dans ce lancement impliquant deux astronautes, les vétérans Butch Wilmore et Suni Williams. Dans un entretien avec Sciences et Avenir, le chercheur et doctorant en science politique Brian Kalafatian de l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD), université Lyon III, revient sur une mission hautement délicate où Boeing joue sa réputation et peut-être son avenir.
Sciences et Avenir: Le lancement aura lieu bien que la fuite d’hélium n’a pas été réparée. Cette décision paraît a priori étonnante: l’est-elle tant que cela ?
Brian Kalafatian: La sécurité des astronautes, outre la perception du risque inhérent à toute mission spatiale, est un prérequis fondamental du cahier des charges des programmes publics aux États-Unis.
En 2022, la question de la sécurité du système Starliner avait été soulevée à plusieurs par l’Aerospace Safety Advisory Panel de la NASA, qui avait notamment mis en avant des problématiques de sécurité et plaidé pour un report des essais.
« Les enjeux sont importants pour Boeing »
Dans le cas actuel, précisément, la fuite d’hélium n’est pas jugée comme critique, et une potentielle aggravation ne mettrait pas en danger les astronautes ou les infrastructures selon les communiqués récents.
Outre la présence de deux astronautes dans la capsule, le vol est également dédié à la qualification du Starliner dans le cadre de la livraison d’une habilitation qui permettrait au moyen de transport de desservir la Station Spatiale Internationale.
Les enjeux sont importants pour Boeing, qui bien que la manne financière du contrat n’engage pas sa survie, espère redorer son blason auprès des investisseurs et de l’opinion publique. Ils sont moindres pour les États-Unis: bien que séduits par l’idée d’obtenir une redondance capacitaire en matière d’accès à l’orbite basse, ils possèdent déjà une indépendance stratégique vis-à-vis de la Russie. Une indépendance enviée par les États européens.
Si la question de la sécurité des astronautes et des infrastructures reste au centre des préoccupations des programmes publics nationaux, cela n’est pas forcément le cas des programmes commerciaux, qui s’appuient depuis la mise en place en 2004 de la learning period sur la notion de consentement au risque des personnels envoyés. Cette dernière vise à contraindre politiquement le pouvoir de régulation de la FAA en matière de vols habités commerciaux afin de permettre une évolution industrielle forte et rapide de ce milieu.
Boeing, en tant que fabricant d’avions, connaît de nombreuses déconvenues ces derniers mois. On est tenté de faire un lien avec le retard au démarrage de Starliner. Mais les activités de « Boeing-aéronautique » et « Boeing-aérospatial » ne sont-elles pas bien distinctes, voire hermétiques l’une par rapport à l’autre ?
Il faut dans un premier temps décoreller la construction d’avions de celle de systèmes spatiaux, qui appartiennent à deux segments commerciaux différents: Boeing Commercial Airplanes (BCA) et Boeing Defense, Space & Security (BDS).
Dans ce cadre, les lignes de production, les circuits de financement ainsi que les enjeux diffèrent fortement, rendant difficile une comparaison nette et précise entre les deux filiales de l’entreprise. Pour autant, les enjeux industriels restent liés au regard de l’opinion publique, qui peine à faire la distinction entre les différents maillons des chaînes du milieu aérospatial, tant au niveau des lanceurs que de la capsule, ou que des chaînes de conception des systèmes aériens et des opérateurs qui ont la charge de leur maintenance.
« Aéronautique et spatial, une certaine porosité subsiste entre les différentes filiales du groupe Boeing »
Cependant, une certaine porosité systémique et organisationnelle subsiste entre les différentes filiales du groupe, qui conservent des stratégies et des fonctionnements communs. Côtée en bourse sous le seul nom de The Boeing Company, l’industrie a une relation forte aux financements gouvernementaux et à la commande publique, représentant près de 40% de ses revenus totaux sur l’exercice 2023, principalement répartis sur la filiale Defense, Space & Security.
Une perte de crédibilité sur le segment commercial entraînerait probablement une chute en bourse, sans pour autant remettre totalement en question la centralité de l’entreprise dans le cadre de la fourniture de systèmes auprès du gouvernement américain.
Même en cas de succès de ce lancement, Starliner peut-il rattraper le retard sur SpaceX, et devenir, à l’égal de Dragon, le taxi des Américains pour l’ISS ?
L’approche des deux industries est différente, et ne semblent pas être en concurrence directe: là où Boeing pourrait souhaiter se limiter aux six vols achetés par l’agence spatiale américaine, dans le cadre d’un programme notamment réalisé afin de diversifier ses apports, l’entreprise SpaceX a souhaité faire de la fourniture de services son modèle économique central.
La question de la concurrence pourra se poser dans l’hypothèse où Boeing souhaiterait s’inscrire durablement dans la fourniture de services à l’orbite basse, notamment vers de futures stations commerciales.
Les deux visions des besoins spatiaux développées par ces deux entreprises cristallisent les profondes mutations qui traversent actuellement le milieu spatial, et des conceptions différentes des nouveaux enjeux ce domaine. Pour autant, ces deux approches ne sont pas pour autant antinomiques: la fourniture de systèmes et de services restent toutes deux au centre des besoins gouvernementaux et privés en matière d’activités spatiales.
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