Invention de l’arc composite par Égyptiens et Scythes

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Invention de l'arc composite par Égyptiens et Scythes
Invention de l'arc composite par Égyptiens et Scythes

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Pour chasser – et tuer –, les humains se sont équipés dès le Paléolithique d’armes qui sont autant d’outils de précision. L’arc en représente un exemple redoutable tant sous sa forme simple que sous sa forme composite. Dans cette variante, la branche n’est pas seulement constituée de bois, mais aussi de corne et de tendons, ce qui augmente ses capacités et la rend d’autant plus efficace.

On a longtemps associé l’arc composite à la Mésopotamie et daté son origine du 4e millénaire avant notre ère, mais un chercheur de l’University College of London, Gabriel Saffa, a passé en revue toute la littérature scientifique sur l’objet pour mettre en évidence qu’il a souvent été confondu avec d’autres formes d’arcs. Il estime ainsi qu’il n’a pu apparaître que deux millénaires plus tard et que sa diffusion rapide est très certainement liée à d’autres innovations culturelles et technologiques majeures de la fin de l’âge du bronze: la domestication du cheval, l’équitation et le char à roues à rayons.

Qui a inventé l’arc composite, l’arme des Égyptiens et des Scythes?

Si l’arc est si effrayant, c’est parce que sa configuration en fait le premier système à projectile capable de stocker de l’énergie, et l’arc composite en est une variante encore plus puissante. Dans l’arc simple, la branche n’est fabriquée qu’à partir d’un seul matériau: le bois, tandis que dans l’arc composite elle combine un noyau en bois, des plaques de corne dans la partie qui fait face à l’archer et une couche de tendon sur la face externe, le tout assemblé avec de la colle. La corne et le tendon étant pour l’une plus résistante, pour l’autre plus élastique que le bois, les arcs composites peuvent être plus courts et plus légers que les arcs simples.

Ainsi « les branches légères, très flexibles et recourbées de l’arc composite stockent plus d’énergie potentielle et sont plus efficaces pour transférer cette énergie à la flèche (sous forme d’énergie cinétique) que l’arc simple, expose Gabriel Saffa dans le Journal of Archaeological Method and Theory. Par conséquent, les flèches tirées à partir d’un arc composite possèdent une énergie cinétique supérieure à celles tirées à partir d’un arc simple de même puissance. »

Ceci explique pourquoi l’arc composite a dominé la technologie militaire jusqu’à l’apparition des armes à feu, et même après, puisque ces dernières n’ont atteint des performances comparables qu’au milieu du 19e siècle.

Quand et où ce type d’arme est-il apparu?

Mais on ne sait toujours pas exactement quand et où ce type d’arme est apparu. Comme les arcs sont réalisés en matière organique, ils se conservent mal, et il n’est donc pas facile d’en retracer l’histoire pas à pas. L’étude rappelle que l’on pensait jusqu’à présent que l’arc composite était apparu à plusieurs endroits géographiquement distincts, là où l’on ne trouvait pas assez de bois pour fabriquer des arcs simples, c’est-à-dire dans des régions de steppe ou de toundra. Les exemples les plus anciens en seraient ainsi des tiges de bois très fines mises au jour en Sibérie et datées d’environ 3000 avant notre ère. Mais sans courbure aucune et sans lien avec un autre matériau, elles ne semblent pas constituer des preuves probantes aux yeux de Gabriel Saffa.

Confusion entre arc composite et arc à double convexité

Les sources iconographiques ont également été mal interprétées, poursuit le chercheur, qui met en évidence une autre confusion, cette fois entre arc composite et arc à double convexité. Il faut un œil aguerri pour bien saisir ces nuances sur des pétroglyphes et des bas-reliefs usés par le temps ! Le critère différentiel réside dans la manière dont l’arme est tenue: la poignée est profondément incurvée vers l’archer, de même que les extrémités recourbées, qui pointent vers lui.

Les plus anciennes traces de cette variante d’arc simple ont été identifiées sur des gravures rupestres prénéolithiques en Arabie saoudite, datées d’environ 8000 avant notre ère.

Les Hyksôs ont importé les arcs composites en Égypte

Autre exemple, bien plus attesté: l’assemblage d’arcs trouvé dans la nécropole de Thèbes, en Égypte, la plupart provenant de la tombe du pharaon Toutankhamon et datant d’environ 1600 avant notre ère. Ces spécimens très différents les uns des autres sont des arcs composites dits angulaires. Dans cette variante, la branche est courbée vers l’intérieur au niveau de la poignée (par action de la vapeur).

Cette forme a été adoptée par les Égyptiens à la fin de la deuxième période intermédiaire sous le règne des Hyksôs, peuple sémitique originaire du nord du Levant qui a sans doute importé ces armes de régions plus septentrionales (Anatolie ou Mésopotamie). Gabriel Saffa présume qu’il pourrait par exemple s’agir de butins de guerre spoliés aux Hittites ou aux Assyriens.

Une transmission d’ouest en est, vers la Chine

Le site où le plus grand nombre d’arcs composites a jamais été trouvé se situe sur l’ancienne Route de la soie, dans le nord-est du Xinjiang actuel, en Chine. Plus de 100 arcs ont été mis au jour à Yanghai, de même que dans des nécropoles voisines relevant de la culture Subeshi, qui s’est développée entre 1300 avant notre ère et 200 de notre ère environ. Le plus ancien artefact daté mesurait 20 centimètres de long, il avait encore gardé un morceau de corde en cuir ; il s’agit très certainement d’un arc angulaire, comme les autres trouvés in situ. Mais comme ceux retrouvés en Égypte, ces artefacts sont uniques dans leur conception, c’est-à-dire dans l’alternance entre matériaux (corne-bois-tendon), dans la section des branches qui peut être ronde, ovale ou presque triangulaire, dans les encochements pour fixer la corde, etc.

Pour Gabriel Saffa, ces similitudes entre arcs égyptiens et arcs Subeshi n’est pas un hasard, malgré l’éloignement: « cela suggère fortement qu’ils partagent une origine commune, analyse-t-il. L’âge plus récent des arcs composites datés de Yanghai par rapport à ceux d’Égypte suggère une transmission d’ouest en est, tandis que la présence de multiples caractéristiques uniques dans les arcs de Yanghai, indiquant une évolution, suggère que cette transmission s’est probablement produite avant la fin du deuxième millénaire avant notre ère. »

Deux origines géographiques probables

On peut en déduire deux origines géographiques probables: le Proche-Orient ou bien les steppes russes, ce qui signifie que « dans les deux cas, l’arc composite est probablement apparu dans les steppes au cours de la première moitié du deuxième millénaire avant notre ère, à peu près à la même époque que son apparition dans l’Égypte antique », poursuit le chercheur. Aussitôt inventé, l’arc composite s’est donc répandu comme l’éclair à travers l’Eurasie, tout comme trois innovations culturelles de la même période: le cheval domestique, l’équitation et le char à roues à rayons.

Cette diffusion coïncide avec des vagues de migration depuis les steppes occidentales vers l’Asie orientale (le Xinjiang en particulier) par des populations génétiquement liées aux cultures Andronovo et Srubnaya, considérées comme les premières ayant parlé des langues indo-iraniennes, la branche la plus importante de la famille des langues indo-européennes. Il est donc envisageable que ces populations aient « joué un rôle central dans la transmission vers l’est de la technologie composite au cours de l’âge du bronze tardif et que leurs descendants associés aux cultures archéologiques dites scythes, aient contribué au développement de la conception des arcs composites, aboutissant à l’arc de style scythe, très caractéristique », note Gabriel Saffa.

Les Scythes ont donné à l’arc composite sa forme caractéristique

De la même manière, il est important de constater que l’arrivée des chevaux de la lignée DOM2 (l’ancêtre du cheval domestique), originaire de la Volga, dans la région du Xinjiang coïncide, chronologiquement parlant, avec l’introduction de l’arc composite, au milieu du 2e millénaire avant notre ère. Mais contrairement à ce que l’on a pu penser, l’arc composite n’a pas été intentionnellement inventé pour pouvoir guerroyer à cheval, remarque le chercheur. D’ailleurs les premières formes d’équitation ne semblent pas du tout adaptées au combat à cheval et les cavaliers représentés dans l’imagerie ne portent ni arc, ni autre forme d’équipement militaire.

Mais il est vrai que ce sont surtout les groupes nomades, tels les Pazyryks ou les Scythes, qui ont développé l’arc composite à partir du modèle angulaire entre 900 et 300 avant notre ère, en lui donnant sa forme compacte et doublement incurvée, qui est parfaitement adaptée au combat à cheval. Le plus ancien spécimen connu a été trouvé en Ukraine et il date d’environ 800 avant notre ère.

L’auteur reconnaît cependant que les conclusions de cette étude demandent à être complétées par de nouvelles preuves recueillies sur des sites essentiels: ceux précisément où l’arc composite est censé avoir été inventé, c’est-à-dire les steppes d’Europe orientale et d’Asie centrale.

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