Jean-Marc Lalo, architecte des nouveaux cinémas d’Afrique

17
Jean-Marc Lalo, architecte des nouveaux cinémas d’Afrique
Jean-Marc Lalo, architecte des nouveaux cinémas d’Afrique

Africa-PressCôte d’Ivoire. « Je suis avec Abderrahmane Sissako, il veut retaper un cinéma à Bamako, t’es partant ? » L’architecte français Jean-Marc Lalo se souvient encore du coup de fil de Claude-Eric Poiroux, fondateur du réseau de salles indépendantes Europa Cinémas. C’était en 2007. Il venait d’achever au Maroc la réhabilitation de l’ancien cinéma le Rif, rebaptisé la cinémathèque de Tanger. Et n’avait qu’une hâte, repartir.

Une semaine plus tard, il se retrouve dans la capitale malienne, dans les locaux désaffectés du Soudan Ciné. Construite dans les années 1960, cette salle avait fermé quinze ans plus tôt, victime de la concurrence de la télévision et de la vidéo. Le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako ambitionnait de lui redonner son lustre passé.

Les premières consultations démarrent, une souscription est lancée pour lever des fonds. Les vieux fauteuils de la grande salle sont mis en vente, à 5 000 euros l’unité. Las, la guerre civile qui commence en 2012 précipite le pays dans le chaos. Le projet tombe dans les limbes.

C’est l’un des rares regrets de Jean-Marc Lalo, 58 ans, qui compte à son actif la rénovation ou construction de quatre cinémas à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et un établissement, le Guimbi, à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, dont l’ouverture est prévue en octobre. A l’étude également, la création de neuf salles dans un nouveau quartier des Berges du lac, à Tunis.

Relancer la machine à rêve

Jamais ce Niçois jovial et modeste n’avait imaginé devenir l’un des artisans des nouveaux cinémas d’Afrique. Après avoir travaillé dans une entreprise de construction en qualité de métreur, contrôleur de gestion puis ingénieur travaux, Jean-Marc Lalo a repris ses études à l’âge de 32 ans pour devenir architecte. En 2001, il ouvre sa propre agence et réalise l’espace du Plateau-Frac Ile-de-France, un centre d’art à Paris.

L’année suivante, il est recruté pour réaménager le cinéma Ariana à Kaboul, juste après l’intervention américaine en Afghanistan. Cette expérience de terrain lui sera très précieuse en Afrique, où Jean-Marc Lalo aborde chaque chantier « comme une aventure humaine ».

Sur le sujet, il est intarissable. « Dans ce continent, le cinéma a longtemps été en plein air, c’était une fête, détaille-t-il. Les gens parlaient pendant les films, il y avait des buvettes où ils allaient se rafraîchir pendant la séance. C’était tout sauf une salle obscure et silencieuse. » Mais, peu à peu, le public déserte. Les loyers deviennent trop chers pour les exploitants. L’arrivée des DVD finit d’asphyxier les derniers cinémas qui tentaient de surnager.

Il y a bien sûr des idéalistes, qui tentent de relancer la machine à rêve. Mais leur enthousiasme est souvent douché par des montages financiers compliqués et des taux d’emprunt importants, de l’ordre parfois de 17 %. Corrélés à la capacité de lever des fonds, les temps de chantier sont fatalement longs, d’une dizaine d’années au bas mot.

« Un gros gâchis »

Difficile de trouver aussi sur place des matériaux conformes aux normes internationales, notamment des fauteuils ignifugés, souvent importés d’Europe. Une fois ouvert, les taux de fréquentation restent modestes.

Quant aux donneurs d’ordre, ils se révèlent parfois versatiles. En 2010, Jean-Marc Lalo est ainsi sollicité pour construire un cinéma dans un espace commercial de Dakar, à côté de l’hôtel Radisson Blu érigé par le groupe Teyliom, propriété de l’homme d’affaires sénégalais Yerim Habib Sow.

Jean-Marc Lalo est d’abord excité. Un jeune entrepreneur, qui s’entoure de talents africains formés dans les meilleures universités du monde, et de surcroît veut créer un cinéma dans un complexe commercial, ça ne court pas les rues. Mais le chantier subit les humeurs du promoteur qui arbitre selon ses priorités du moment. Voilà trois ans, Jean-Marc Lalo claque la porte : « Un gros gâchis. »

L’expérience avec le groupe ivoirien Majestic sera autrement plus probante. En 2016, l’architecte réhabilite une salle au plafond mouluré rouge rococo au sein de l’hôtel Ivoire, à Abidjan. Suivront trois autres cinémas dans la capitale ivoirienne, adossés à des centres commerciaux.

« Offrir un lieu de vie »

Au Burkina Faso, c’est dans un restaurant de Bobo-Dioulasso que Jean-Marc Lalo a couché, sur un coin de nappe, le dessin de la voûte métallique d’inspiration sahélienne qui vient aujourd’hui envelopper le bâtiment du cinéma Guimbi. Le projet remonte à 2013. Au Festival de Cannes, lors d’une conférence d’Europa Cinémas, l’architecte rencontre Berni Goldblat. Le réalisateur helvético-burkinabé rêve de faire revivre cette salle mythique, inaugurée en 1957, à la veille de l’indépendance et laissée à l’abandon depuis 2005.

Le financement est un vrai chemin de croix. Il faut montrer patte blanche auprès de l’Agence française de développement, inquiète de la viabilité économique et de la pertinence sociétale du projet. Au bout de deux ans et demi, Berni Glodblat parvient à lever 600 000 euros de fonds publics européens, auxquels s’ajoutent quelque 800 000 euros de manne privée.

Jean-Marc Lalo voit grand, malgré les prévisions prudentes de 250 000 spectateurs par an : un espace de projection extérieur en gradin de 250 places, deux salles intérieures, un restaurant, un centre de ressources sur le cinéma niché sur un toit végétalisé qui, une fois loué, permettra de dégager des revenus complémentaires.

L’architecte le sait, une programmation, même de blockbusters, ne suffit pas à faire venir le public local. « Pour que les gens acceptent de quitter leurs canapés et leur télé pour se rendre jusqu’au cinéma, explique-t-il, il faut leur offrir un lieu de vie. »

Une méthode : l’imprégnation

Jean-Marc Lalo a beau s’être taillé une réputation d’orfèvre en la matière, il peine encore à se défaire du syndrome de l’imposteur. Sa hantise ? Que ses constructions soient jugées hors sol, illégitimes, décalées, des « projets de Blanc français ». Pour se prémunir des chausse-trapes, il a une méthode : l’imprégnation. « La première chose que je fais, explique-t-il, c’est aller dans les cafés et les lieux urbains, pour humer la ville, comprendre comment les gens se l’approprient sentir les codes. »

Puis vient le stade de la maturation des premiers ressentis dont il a appris à méfier, « car s’y mêlent beaucoup de naïveté et de projection ». Voire de maladresse. A l’emplacement du cinéma Guimbi se trouvait ainsi un marché de femmes qu’il fallait déplacer d’un bloc pour lancer le chantier. Le sujet est délicat, voire inflammable, tant cette petite économie informelle est un maillon crucial du tissu social.

Un jour où Jean-Marc Lalo déambule parmi les commerçantes, une femme l’interpelle. « Vous faites quoi au juste ici ? » Aussitôt l’architecte sort son iPad, explicite le projet à grand renfort de simulation. Autour de lui, le cercle grossit, les femmes du quartier semblent conquises.

Quelque temps plus tard, en forant la terre pour trouver une source d’irrigation, les ouvriers découvrent un gisement d’eau si important qu’un projet de fontaine est mis à l’étude. « Dans le quartier, la relation avec le cinéma a soudain changé », sourit Jean-Marc Lalo, satisfait que le cinéma Guimbi soit à la fois un objet de fierté locale et d’utilité publique.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here