Les chevaux préhistoriques américains ont-ils été victimes du réchauffement climatique ?

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Les chevaux préhistoriques américains ont-ils été victimes du réchauffement climatique ?
Les chevaux préhistoriques américains ont-ils été victimes du réchauffement climatique ?

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Quelle notion associe-t-on le plus incontestablement au cheval? La liberté bien sûr, celle de galoper en groupe sans être limité à un enclos ni connaitre les frontières. Il n’est donc pas étonnant que ce soit cette même notion qui nourrisse la conception autochtone de la « Nation du Cheval », à l’instar de toute forme de vie. Selon les Lakotas, le vivant est non seulement toujours en mouvement, mais il se déplace en interdépendance. Ce concept biologique dénommé yutaŋ’kil sert de base, avec des analyses génomiques et isotopiques, à une étude qui fait la couverture du magazine Science du 15 mai 2025.

Cherchant à retracer la manière dont les chevaux ont réagi aux changements environnementaux des 50.000 dernières années, marquées par une glaciation suivie d’un redoux, l’équipe de chercheurs, dirigée par le Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse, et incluant 18 scientifiques des premières Nations américaines, arrive à la conclusion que les chevaux ont circulé entre Amérique et Eurasie à plusieurs reprises au cours du Pléistocène grâce au pont terrestre de la Béringie. Comme ces migrations ont pris fin en raison du réchauffement climatique, contribuant au déclin des chevaux au nord du continent américain, l’étude tisse un parallèle avec la situation qui se profile, invitant à en anticiper les conséquences.

Les chevaux préhistoriques américains ont-ils été victimes du réchauffement climatique?

Le cheval est une espèce de la famille des Équidés, originaire d’Amérique du Nord. Il est présent dans la mémoire orale des peuples autochtones qui racontent l’avoir toujours connu et vécu avec lui, au point de le considérer comme une Nation à part entière. La disparition de l’espèce sur le continent à la fin du Pléistocène, il y a 11.700 ans, comme celle de nombreux représentants de la mégafaune américaine, suscite l’interrogation depuis des décennies, certains en attribuant la responsabilité au rôle destructeur de l’humain, qui aurait épuisé les ressources animales en pratiquant la chasse à outrance. Un argument démenti par les descendants des peuples qui ont côtoyé l’espèce aux temps préhistoriques, et que l’étude aujourd’hui publiée dans la revue Science vient également mettre à mal.

La glaciation a permis la circulation entre Amérique et Eurasie

La fin du Pléistocène est marquée par une glaciation entre 33.000 et 14.000 avant notre ère, le climat se réchauffant ensuite jusqu’à 8000 avant notre ère. Ces variations de température ont eu une incidence à la fois sur le niveau de la mer et sur le biotope, impliquant la possibilité de circuler d’un continent à l’autre au niveau du détroit de Béring. « Au cours de la dernière période froide, la baisse du niveau de la mer a permis la dispersion vers et hors de l’Amérique du Nord via le pont terrestre exposé, bien que les nappes glaciaires aient limité les mouvements vers les latitudes américaines inférieures, expliquent les auteurs. Lorsque le climat s’est réchauffé, la fonte de la calotte glaciaire a ouvert le corridor libre de glace vers l’Amérique médio-continentale et a submergé le pont terrestre, formant le détroit de Béring, qui reste une barrière à la dispersion des espèces terrestres. »

L’habitat s’est également modifié en raison de ce redoux, avec des conséquences importantes pour la mégafaune, poursuivent-ils: « la steppe-toundra glaciaire s’est fragmentée en toundra marécageuse, en zones arbustives, en zones humides et en forêts boréales, qui sont des habitats moins favorables pour certaines espèces de la mégafaune. »

Des fossiles bien conservés dans les sols gelés de la Béringie

La Béringie – la partie continentale qui formait lors de la glaciation un pont terrestre reliant le Yukon (au nord-ouest du Canada), l’Alaska (le plus septentrional des États-Unis) et le nord-est de l’Asie – représente donc un espace clé pour comprendre la dynamique de la mégafaune au cours du Pléistocène. Les fossiles bien conservés y sont nombreux, de l’espèce Equus en particulier. Les chercheurs, en respectant les protocoles des Nations autochtones participant à l’étude – Nations Lakota, Okanagan, Blackfoot, Dene’ (Athabascan) et Iñupiaq –, ont séquencé le génome de 67 fossiles issus de Béringie, de Sibérie et d’Amérique du Nord, en les comparant à une centaine de génomes représentant toutes les lignées connues de chevaux.

L’objectif étant de suivre non seulement la dispersion génétique, mais aussi l’évolution de l’habitat et du régime alimentaire de ces chevaux au cours du Pléistocène supérieur (et plus spécifiquement à partir de -48.000, car le carbone 14 n’est pas décelable au-delà), ils ont intégré à leurs données des dates radiocarbone et des mesures des isotopes stables du carbone et de l’azote provenant du collagène des chevaux fossiles.

Les chevaux ont circulé dans les deux sens

Les résultats sont étonnants, puisqu’ils indiquent que les chevaux ont traversé le pont terrestre de la Béringie dans les deux sens. Les analyses génétiques révèlent en effet la présence de deux principaux groupes distincts parmi les fossiles américains. « Le premier s’étendait du sud des calottes glaciaires continentales (les 48 États américains actuels) jusqu’à l’est de la Béringie en passant par le corridor libre de glace », indiquent les auteurs ; il comprend des fossiles très anciens trouvés en Chine et en Russie, ce qui signifie que le cheval, originaire d’Amérique, s’est déplacé vers l’Eurasie il y a plus de 50.000 ans. Le deuxième groupe correspond à des spécimens issus du nord-ouest de la Béringie orientale, apparentés à des individus trouvés dans le nord-est de la Sibérie, « témoignant d’une migration vers l’Amérique antérieure à 46.800 ans », selon les chercheurs.

Des mélanges qui se produisent en plusieurs temps

Ils détectent par ailleurs dans le second groupe des liens entre des spécimens de Sibérie et d’Amérique du Nord qui démontrent que la dispersion s’est produite à maintes reprises depuis la Sibérie vers l’Amérique, où les chevaux se sont ensuite mélangés à la lignée principale. Un schéma similaire d’ascendance multiple est également décelé dans l’autre sens, avec des chevaux venus d’Amérique dont on retrouve des traces génétiques chez des individus eurasiens, en Sibérie, en Russie, et jusqu’en Ibérie !

Le sol trop humide empêchait le pâturage

Les analyses isotopiques révèlent ensuite l’effet néfaste du réchauffement climatique sur les chevaux piégés sur le continent américain, une fois le pont terrestre submergé, car l’environnement caractérisé par une augmentation de l’humidité du sol, en raison de la fonte des glaciers, leur était moins favorable. « Le remplacement de la steppe-toundra glaciaire, qui est un habitat idéal pour les chevaux, par une toundra marécageuse ou des forêts a réduit la mobilité, fragmenté les habitats et limité la disponibilité de la nourriture », soulignent les chercheurs.

Comme pour d’autres espèces de la mégafaune américaine, cette modification du biotope impliquant la réduction du pâturage a eu des répercussions directes sur la démographie, « expliquant le déclin des fossiles de chevaux et d’autres grands herbivores lors de la transition entre Pléistocène et Holocène ». En revanche, d’autres espèces, comme l’élan et le wapiti, ont bénéficié de l’extension de la forêt boréale.

Des voies de circulation qui correspondent aux savoirs autochtones

Si ces résultats ont surpris les chercheurs occidentaux, ils correspondent à plusieurs notions autochtones qui n’envisagent pas le vivant comme enfermé dans des frontières géographiques, mais comme des organismes en perpétuel mouvement et dépendant directement de l’habitat pour leur survie. L’un des co-auteurs, Wilson Justin, gardien du savoir du clan Alth’setnay des Dénés (Athabascans) d’Alaska, rappelle ainsi la piste connue sous le nom de « Sentier de l’homme médecine », qui reliait la Mongolie, la Sibérie, l’Alaska, le Canada et se ramifiait jusqu’au territoire maya.

Les chercheurs autochtones se réfèrent également au principe vital lakota du yutaŋ’kil, ainsi défini par le chef Harold Left Heron: « Nous considérons les corps individuels comme des écosystèmes équilibrés abritant une diversité de formes de vie, y compris microbiennes. Lorsque la survie devient difficile, les formes de vie dont la relation est affectée tendent la main à d’autres formes de vie apparentées, mais différentes, afin de préserver la durabilité. Le fait de s’unir améliore leur capacité non seulement à survivre, mais aussi à s’épanouir. Ce processus, appelé yutaŋ’kil, combine et diversifie génétiquement la vie pour assurer un flux et un reflux en s’adaptant et en réagissant aux conditions changeantes. »

Il est nécessaire de préserver des corridors écologiques

Les résultats obtenus ne contribuent pas seulement à expliquer l’extinction de la fin du Pléistocène, ils permettent aussi aux chercheurs de proposer une forme d’action écologique qui s’appuie sur un autre principe lakota, celui du mitakuye oyasin, selon lequel « la survie d’une espèce dépend de ses relations avec d’autres formes de vie au sein d’un habitat partagé et interdépendant ». Lorsque cet habitat se modifie, les espèces se déplacent. Et puisque le réchauffement climatique actuellement en cours aura d’inévitables conséquences sur la faune américaine, cette étude permet de mettre en évidence combien il importe d’anticiper des modes d’action respectueux de la dynamique propre aux espèces concernées.

Ainsi, selon l’analyse des chercheurs autochtones, « les tentatives visant à préserver les espèces de mégafaune telles qu’elles étaient génétiquement à un moment précis ne tiennent pas compte de cette diversité complexe d’alliances avec d’autres formes de vie et ont peu de chances de renforcer la durabilité. À l’inverse, assurer le mouvement de la vie par des corridors physiques reliant une diversité d’habitats permet à la vie de s’adapter et de survivre dans des conditions environnementales changeantes. »

Autrement dit, si l’on veut préserver la biodiversité existante, il importe de conserver des corridors écologiques et non d’enfermer les espèces dans l’environnement qui leur serait actuellement le plus favorable. C’est seulement en laissant les organismes se disperser librement et se mélanger que l’on maintiendra la vie qu’ils contribuent à sans cesse recréer.

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