Africa-Press – Côte d’Ivoire. D’un côté, de très nombreux patients exprimant de fréquentes plaintes. De l’autre, des médecins qui, à la suite des comptes rendus toujours négatifs des examens, assurent qu' »il n’y a rien », que « ce n’est pas grave » et que « c’est dans la tête « . Ainsi tourne le monde du syndrome de l’intestin irritable (SII) ou colopathie fonctionnelle. Résultat: des malades en manque d’écoute et d’empathie, ballottés entre nomadisme médical et errance diagnostique, avec de graves retentissements sur leur qualité de vie. Un patient sur quatre est ainsi atteint d’une forme sévère.
« On sait aujourd’hui que le syndrome de l’intestin irritable n’a rien de psychosomatique, même si les facteurs psychologiques (stress, anxiété) peuvent en accentuer les symptômes. Les causes multiples de cette maladie demeurent partiellement identifiées », précise le Pr Jean-Marc Sabaté, gastro-entérologue à l’hôpital Avicenne, à Bobigny.
Bien qu’il n’existe à ce jour aucun marqueur fiable permettant d’affirmer la maladie, le diagnostic fondé sur un interrogatoire du patient est aisé – le recours à la coloscopie avant 45 ans étant considéré comme inutile. Parfois, en cas de doute, des tests (sanguins, fécaux) permettent d’affirmer l’absence d’inflammation, ce qui permet d’éliminer le diagnostic de Mici et de rassurer les patients. Parfois en vain, ceux-ci étant tentés par la réalisation d’autres tests tels que l’analyse du microbiote, pourtant jugée inutile.
Prudence avec les tests
Proposés par différents laboratoires pour une centaine d’euros voire plus, les tests d’analyse du microbiote sont inutiles, estime la Société nationale française de gastro-entérologie. Aucun consensus scientifique n’a validé à ce jour la notion de microbiote sain. Même prudence avec les tests respiratoires, selon les recommandations récentes du Groupe français de neuro-gastro-entérologie: « Ils analysent des gaz expirés (hydrogène, méthane) après ingestion de glucose, mais leur fiabilité est encore incertaine et leurs conditions de réalisation restent à standardiser », précise le Pr François Mion, des Hospices civils de Lyon.
Des probiotiques pour agir sur la flore intestinale
Bien que la recherche sur le syndrome de l’intestin irritable soit moins active que pour les Mici, les connaissances progressent à petits pas, et différents mécanismes expliquant la survenue des symptômes sont aujourd’hui connus: hypersensibilité intestinale, motricité digestive perturbée, déséquilibre du microbiote (dysbiose), anomalies de la perméabilité intestinale, perturbation du contrôle des messages douloureux…, plusieurs d’entre eux pouvant d’ailleurs être présents chez un même patient. D’où la nécessité de multiplier les approches, en plus du recours aux médicaments (il existe une vingtaine de molécules différentes).
C’est tout l’intérêt des séances d’éducation thérapeutique pratiquées dans certains hôpitaux comme Lyon, Bobigny, Bordeaux, Nice et Rouen. Elles proposent des solutions validées (séances d’hypnose, thérapies cognitivo-comportementales, méthodes de gestion du stress, travail sur les émotions…) qui, en association avec les traitements médicaux, permettent d’obtenir une amélioration dans environ 60 % des cas. Autre possibilité: le recours aux probiotiques pour agir sur la flore intestinale. « Dans ce domaine, les études sérieuses randomisées contre placebo sont assez rares et ceux qui remplissent ces critères ne sont pas nombreux [Smebiocta, Florvis, Kimijea, Alflorex], détaille Jean-Marc Sabaté. Prescrits sous forme de cure, ils peuvent néanmoins aider certains patients. »
Autre sujet au cœur des préoccupations: le contenu des assiettes, scruté de manière parfois obsessionnelle par des malades qui établissent une responsabilité directe entre un aliment en particulier et le déclenchement des symptômes. D’autres se croient, souvent à tort, « allergiques » ou intolérants – en réalité plutôt hypersensibles -au gluten, au lactose, au fructose, etc. Or, au lieu de s’orienter vers une alimentation diversifiée, ils s’imposent des restrictions excessives qui peuvent conduire à des troubles du comportement alimentaire et à des carences.
D’où l’importance d’un accompagnement nutritionnel par une diététicienne. Exemple avec le régime dit sans Fodmaps établi depuis plus de 20 ans par des chercheurs australiens de la Monash University. Les Fodmaps (Fermentable by colonic bacteria oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides and polyols) sont un groupe de sucres présents à l’état naturel dans de très nombreux aliments. Fréquemment mal absorbés chez les patients les plus sensibles, ils sont sources de ballonnement et d’inconfort. Différentes stratégies alternant pauses temporaires puis réintroduction, parfois complexes à gérer, nécessitent ainsi un accompagnement.
120 patients vont tester la greffe fécale
Face aux formes sévères (25 % des cas) du syndrome de l’intestin irritable, souvent rien ne fonctionne. C’est pour ces patients que va bientôt démarrer le premier essai français de transplantation de microbiote fécal. Sans cesse reporté depuis la pandémie de Covid-19, « il sera lancé avant la fin de l’année dans dix centres en France et concernera 120 patients, dont 35 sont déjà sur liste d’attente « , précise Jean-Marc Sabaté, qui coordonnera l’étude.
L’objectif sera de modifier le microbiote des patients après une greffe issue de donneurs ne se plaignant d’aucun symptôme digestif. L’étude prévoit de comparer deux groupes de patients, l’un recevant oralement des capsules (environ 50 en deux prises sur 24 heures, soit l’équivalent de 25 g de selles) confectionnées à partir de selles congelées de donneurs, l’autre une transplantation de microbiote fécal placebo. Les critères de positivité de l’étude s’appuieront sur des questionnaires remplis trois mois après la transplantation pour évaluer son effet sur le nombre de jours passés sans douleurs abdominales ni ballonnements et sur d’éventuelles améliorations du transit (moins de diarrhée ou de constipation).
Autre piste de recherche: la mise au point de médicaments ciblant le système nerveux central plutôt que l’intestin. Des travaux japonais publiés en avril dans la revue British Journal of Pharmacology et menés chez la souris envisagent que des molécules dites agonistes des récepteurs delta morphiniques puissent aider à soulager les symptômes du syndrome de l’intestin irritable. Si la maladie n’est pas que dans la tête, elle se soulage bien en visant l’axe intestin-cerveau.
À l’école du ventre
« J’ai mal depuis 10 ans, j’ai tout essayé », Maelle, 33 ans. « On me répète que c’est dans la tête « , Bernadette, 67 ans. « Je ne mange plus rien, j’ai perdu 10 kg « , Alix, 30 ans. Quelques paroles prononcées lors du tour de table de l’atelier d’éducation thérapeutique proposé par l’École du ventre (hôpital Édouard-Herriot, Lyon) dans le service de gastro-entérologie du Pr François Mion.
Depuis 3 ans, ces rencontres incluant le dispositif dit PEPS (Partenariat et expérience patient en santé) sont proposées en hôpital de jour. Une particularité: la présence d’une « patiente experte » désormais guérie, Alexandra, qui raconte aux participantes son propre parcours semé d’embûches.
De 9 à 17 heures, un médecin formé aux techniques de régulation émotionnelle anime la journée au cours de laquelle plusieurs intervenants se succèdent. D’abord, une séance de méditation pratiquée en groupe par un médecin spécialiste de la douleur. Puis le chef de service (qui a vu auparavant les patients en consultation individuelle) intervient pour parler physiologie et microbiote. Enfin, une diététicienne donne des repères et oriente vers les aliments les plus adaptés en fonction des troubles et des préférences alimentaires de chacune.
Temps d’échanges entre les participantes et la patiente experte, partage d’informations, apprentissage de techniques simples de gestion du stress… sans oublier le repas confectionné par les intervenants (option sans gluten ni lactose possible pour les plus sensibles). Ici, pas de jugement mais de la bienveillance et de l’écoute attentive pour informer, déconstruire les idées reçues et, surtout, rassurer. À l’hôpital Avicenne (Bobigny), une autre démarche, plus individuelle, est proposée. Pendant une journée, les patients rencontrent séparément trois spécialistes (gastro-entérologue, psychologue, diététicienne) avant de recevoir en fin de journée un bilan personnalisé.
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