Banques Africaines Vers Dubaï et Riyad au Lieu de Londres

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Banques Africaines Vers Dubaï et Riyad au Lieu de Londres
Banques Africaines Vers Dubaï et Riyad au Lieu de Londres

Mathieu Galtier

Africa-Press – Djibouti. DIFC et KAFD supplantent désormais Wall Street et la City. Cette révolution géographique reflète la réorientation des flux commerciaux et financiers vers les marchés du Moyen-Orient.

Pour les banquiers africains anglophones, Wall Street et la City sont en passe d’être remplacés par les acronymes DIFC (Dubaï International Finance Center) et KAFD (King Abdullah Finance District). Ces deux centres financiers basés respectivement à Dubaï et Riyad sont les « place to be » du moment, comme en témoigne l’annonce récente de trois grands établissements du continent qui s’installent, ou renforcent leur présence, sur place. Alors que le sud-africain Absa Bank et le kényan Equity Bank ouvriront en début d’année 2026 un bureau au Dubaï International Financial Center, aux Émirats arabes unis, le nigérian United Bank for Africa – déjà présent à DIFC – installera un bureau d’ici à la fin de l’année au King Abdullah Financial District en Arabie saoudite.

« La logique première de ces banques est de suivre les clients dans leurs ambitions de développement. Si les grandes entreprises vendent au Moyen-Orient, vous y allez », explique Frédéric Boutet, directeur associé au BCG (Boston Consulting Group), spécialiste de l’Afrique. Depuis 2016, les importations africaines à destination du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui réunit l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Koweït, Oman et le Qatar augmentent plus vite que dans n’importe quelle autre région du monde: +145 %, contre +100 % pour la Chine et +70 % pour l’Union européenne, par exemple. Sur la même période, ce sont les pays d’Afrique anglophones qui ont profité le plus – hors Égypte et Maroc – de ces importations, ce qui explique pourquoi ce sont davantage les banques de cette zone qui s’installent dans le Golfe, comparé aux groupes panafricains francophones.

Dubaï, porte d’entrée vers les marchés mondiaux

Pour Equity Bank, seizième groupe bancaire du continent selon le dernier classement Jeune Afrique des 300 Champions de la finance, sa présence à Dubaï s’inscrit « dans le plan stratégique du groupe qui vise à développer des chaînes de valeur sur ses marchés d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale, en connectant ces chaînes de valeur africaines aux marchés mondiaux, dans lesquels les Émirats arabes unis servent de porte d’entrée cruciale. » James Mwangui, le dirigeant d’Equity Bank, comme ses confrères Tony Elumelu pour UBA et Kenny Fihla (Absa Bank), a compris que pour développer le secteur des grandes entreprises (corporate) – principale source de revenus pour les banques – il fallait être présent dans la Péninsule arabique, là où leurs principaux clients trouvent des débouchés dans les secteurs stratégiques de l’énergie, de l’agriculture et des mines. Des marchés, à fort potentiel, où, sans surprise, les banques kényane, sud-africaine et nigériane sont très bien placées.

Même si [les banques internationales] sont présentes dans le Golfe, elles ne peuvent plus parcourir le corridor de bout en bout. Cela laisse aux banques africaines la possibilité d’intervenir.

Le 8 juillet, le holding émirati NG9 a conclu un accord avec les autorités de RDC – où Equity Bank et UBA sont bien installées – pour le financement d’une raffinerie de cuivre et de cobalt. En mai, dans le cadre d’une entente entre l’Arabie saoudite et l’Afrique du Sud, la société énergétique saoudienne ACWA s’est engagée à investir 7 milliards de rands (environ 378 millions de dollars) dans des projets hydrauliques et énergétiques sur les cinq prochaines années. Les banques africaines installées dans le Golfe pourraient alors participer comme coarrangeurs.

Les banques africaines profitent du retrait des acteurs internationaux

Pour Tijsbert Creemers-Chaturvedi, directeur associé en charge de la practice financial services en Afrique pour le BCG, les grandes banques africaines sont très bien placées pour couvrir toutes les étapes de la consolidation de ce hub financier: « Nous constatons que les banques à dimension mondiale ont quelques difficultés à maintenir leur présence en Afrique. BNP Paribas, Standard Chartered ou encore Société générale ont fermé des filiales. Même si elles sont présentes dans le Golfe, elles ne peuvent plus parcourir le corridor de bout en bout. Cela laisse aux banques africaines la possibilité d’intervenir. » Du côté des grandes banques internationales, l’Afrique continue de présenter beaucoup de risques géopolitiques, ou de change. Par conséquent, elles laissent « une part équitable sur ces marchés » aux banques continentales, selon Creemers-Chaturvedi.

Les pays du Golfe ont aussi l’avantage d’être plus ouverts à la diversification de leur financement que leurs rivaux américains et chinois. Dans son rapport « Rising Gulf investments in Africa unlocking opportunities and navigating challenges », Afreximbank note ainsi que « les investissements du CCG se concentrent sur la sécurité des ressources et la diversification économique, tandis que les investissements américains privilégient les initiatives de développement et les défis énergétiques. La stratégie chinoise repose principalement sur l’initiative Belt and Road, qui vise l’expansion des marchés et l’acquisition de ressources pour stimuler la connectivité et les échanges commerciaux en Asie et en Afrique ».

Dans la région, les banques africaines ont donc encore plus à gagner que seulement suivre leurs clients. Elles ont des flux financiers à capter car les pays du Moyen-Orient ne font pas qu’importer, ils investissent énormément. Entre 2012 et 2022, le CCG a injecté 100 milliards de dollars sur le continent. Entre 2022 et 2023, ses investissements ont atteint 113 milliards de dollars, plus que la décennie précédente. Et dans les cinq prochaines années, ils pourraient tourner autour de 20 à 30 milliards de dollars annuellement.

La diaspora, une nouvelle niche à exploiter

Si personne ne s’attend à ce que les banques africaines viennent concurrencer les banques locales en captant des clients locaux, ces installations ouvrent toutefois une autre niche, à ne pas négliger: celle de la diaspora. Les transferts de fonds provenant du Moyen-Orient ont, en 2023, représenté 27 % du total contre 23 % en provenance d’Europe occidentale. Les envois d’argent des pays du CCG vers le Kenya ont dépassé les 3 milliards de dollars américains, « renforçant considérablement les réserves de change », précise le rapport d’Afreximbank.

Enfin, à Dubaï International Finance Center ou à King Abdullah Finance District, les banques africaines cherchent à se frotter à ce qui se fait de mieux en termes d’outils de finances structurées, indispensables si elles veulent un jour devenir les arrangeurs principaux et teneurs de livres dans les grands projets structurants du continent, aujourd’hui trustés par les banques internationales.

« Les banques africaines peuvent trouver à DIFC un environnement optimal pour créer des SPV [special purpose vehicle, ou fonds commun de créances] permettant de structurer des portefeuilles de créances, de titriser des flux commerciaux, ou de monter des fonds de dette en bénéficiant d’un guichet unique d’investisseurs institutionnels, de family offices [structures de gestion patrimoniale constituées par de grandes fortunes africaines ou du Golfe] et de plateformes de compliance à la pointe », explique Moustafa Mourouvaye, CEO de Brweidge, société spécialisée en finance structurée à l’intersection des marchés africains, asiatiques et du Golfe, pour qui la cause est entendue: « Une partie décisive de la finance africaine se joue désormais à Dubaï, dans un dialogue Est-Ouest où la rapidité, la robustesse juridique et la profondeur de marché redessinent les routes du capital. »

Source: JeuneAfrique

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