Africa-Press – Djibouti. L’image est frappante: dans l’immense salle de l’Assemblée générale des Nations Unies, à New York, où défilent tour à tour chefs d’État et de gouvernement des 193 pays membres, s’assoit le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh. Son pays, moins d’un million d’habitants, n’occupe qu’un minuscule point sur la carte du monde. Et pourtant, sa voix compte. Dans un contexte de tensions multiples – guerres, dérèglement climatique, montée des inégalités –, la présence de Djibouti rappelle une vérité souvent négligée: les « petits États », lorsqu’ils occupent des positions géographiques stratégiques et adoptent des politiques diplomatiques habiles, deviennent des acteurs aux responsabilités globales.
La singularité de Djibouti se résume notablement en une donnée: sa géographie. À la pointe de la Corne de l’Afrique, en face du Yémen, le pays contrôle l’accès au détroit de Bab el-Mandeb, passage obligé entre l’océan Indien et la Méditerranée via le canal de Suez. Près de 10% du commerce maritime mondial y transite, dont une large part des approvisionnements énergétiques vers l’Europe et l’Asie. Cette réalité fait de Djibouti un maillon essentiel de la chaîne économique mondiale.
Consciente de cet atout, la République de Djibouti a su transformer sa position en pivot de la sécurité maritime. À la faveur de la lutte contre la piraterie dans la décennie 2010, elle est devenue une plateforme militaire internationale unique, accueillant sur son sol les bases de puissances aussi diverses que les États-Unis, la France, la Chine ou le Japon. Pour ces nations, Djibouti est un avant-poste indispensable. Pour Djibouti, c’est l’assurance d’une reconnaissance internationale et d’une capacité à exercer une influence bien supérieure à son poids démographique.
Une stabilité précieuse dans une région fragile
Le contraste est saisissant avec son environnement immédiat. Alors que la Somalie demeure instable, que l’Éthiopie peine à dépasser ses tensions internes et que le Yémen continue de s’enliser dans le conflit, Djibouti a préservé une stabilité politique rare dans la Corne de l’Afrique. Cet équilibre est précieux, non seulement pour sa population mais aussi pour les partenaires internationaux soucieux de sécuriser la région.
C’est sur cette base que le président Guelleh entend défendre, à New York, une vision de la Corne de l’Afrique non pas comme une périphérie en crise, mais comme un espace stratégique qu’il faut intégrer aux grandes dynamiques de gouvernance mondiale. Les conflits armés, les migrations climatiques, la sécurité des flux maritimes sont des enjeux locaux aux conséquences planétaires.
Une voix qui compte dans le multilatéralisme
À l’occasion de cette 80e session de l’Assemblée générale, Djibouti ne vient donc pas seulement présenter ses préoccupations nationales. Le président Guelleh est attendu sur plusieurs dossiers: la stabilisation régionale, l’accueil des réfugiés, la lutte contre le terrorisme ou encore la régulation de nouvelles menaces, à commencer par les dilemmes éthiques de l’intelligence artificielle dans le domaine sécuritaire. Autant de thèmes qui montrent que, malgré sa taille, Djibouti se projette sur l’agenda global.
La rencontre bilatérale prévue entre le chef de l’État et le Secrétaire général António Guterres symbolise cette posture. Ce dialogue ne se limitera pas à des aspects locaux: il vise à rappeler que le sort de Djibouti et de la Corne de l’Afrique s’inscrit dans celui du commerce international, de la gestion des crises humanitaires et de l’avenir même du multilatéralisme. Car si les grandes puissances dominent la tribune de l’ONU, ce sont souvent les États stratégiques de plus petite dimension qui en incarnent le meilleur esprit: celui d’une coopération où chaque voix, quelle que soit sa taille, est entendue.
Djibouti est un cas d’école de ce phénomène que les experts appellent le « poids disproportionné » des petits États stratégiques. Comme Singapour en Asie du Sud-Est ou le Qatar au Moyen-Orient, il démontre qu’il est possible de transformer une vulnérabilité géographique en un atout diplomatique. La clé réside dans une combinaison subtile: stabilité interne, lisibilité des choix politiques, et capacité à incarner une vision régionale au sein des enceintes multilatérales.
En prenant part activement à l’Assemblée générale, Djibouti affirme que son rôle n’est pas seulement celui d’un spectateur. Il est celui d’un acteur dont l’importance, loin d’être marginale, est au contraire au cœur des nouvelles logiques de puissance.
À l’heure où l’ONU célèbre ses 80 ans d’existence, cette tribune rappelle que la robustesse du multilatéralisme dépend précisément de l’engagement de ces États-pivot. Leur voix est garante d’un équilibre plus inclusif, capable de dépasser la seule logique des grandes puissances.
Djibouti, par la voix de son président, ne prononce pas un simple discours cette semaine à New York. Il envoie un signal stratégique: dans un monde interdépendant, aucun défi global ne peut être relevé sans la contribution active de ces petites nations, gardiennes silencieuses des équilibres vitaux du commerce, de la sécurité et des flux humains.
Source: adi
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