Mathieu Olivier
Africa-Press – Djibouti. Trois semaines après le coup d’État au Niger, l’hypothèse d’une intervention militaire de la Cedeao reste crédible. Elle pourrait opposer deux chefs d’état-major récemment nommés : le Nigérien Moussa Salaou Barmou et le Nigérian Christopher Gwabin Musa.
Son apparition à la télévision d’État, dans la nuit du 26 au 27 juillet, a fait sensation. Debout, Moussa Salaou Barmou, yeux baissés, ne regarde pas l’objectif de la caméra. Il n’a pris place qu’au second rang des putschistes, comme s’il n’était qu’un gradé ordinaire. Lui, le général au physique bonhomme, puissant et redouté patron des forces spéciales du Niger, n’est pourtant pas dupe : sa décision de s’allier à Abdourahamane Tiani est lourde de conséquences. Peut-être plus que tous les autres militaires présents, il est celui qui crédibilise le coup d’État en cours.
« Tiani a besoin de Barmou »
Contacté par Jeune Afrique lors de cette soirée fatidique, un conseiller du président Mohamed Bazoum l’assure : « Le ralliement de Barmou à Tiani est un gros coup dur ». « Avec la garde présidentielle, qui est à l’origine du putsch, les forces spéciales sont l’unité la mieux armée et la mieux entraînée du pays. Donc, quand on a vu que le général Barmou basculait, on a compris que c’était perdu militairement et que les forces loyalistes ne feraient sans doute pas le poids », explique un autre proche du chef de l’État, toujours retenu en otage.
Depuis, Moussa Salaou Barmou est l’une des pièces maîtresses d’Abdourahamane Tiani – au même titre qu’un autre général, Salifou Mody. Le 5 août, le patron du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie – le nom adopté par la junte – a ainsi choisi de nommer le numéro un des forces spéciales chef d’état-major des armées. Barmou succède à Abdou Sidikou Issa, qui, en poste depuis le 31 mars, avait pourtant lui aussi annoncé, dans un communiqué, son ralliement aux putschistes.
« Tiani a besoin du soutien de Barmou. Il fallait qu’il lui donne un poste suffisamment élevé », confie une source à Niamey. En plus d’assurer aux putschistes le soutien des forces spéciales, Moussa Salaou Barmou a un autre atout de taille : il est proche des Américains, qui le considéraient jusqu’ici comme l’un de leurs alliés les plus sûrs dans la lutte contre les groupes jihadistes au Sahel. En partie formé aux États-Unis, comme nombre d’officiers africains depuis de longues années, le général entretenait toujours de bons rapports outre-Atlantique.
Proche des Américains
Passé par l’académie militaire de Fort Benning, en Géorgie, et par l’Université de la Défense nationale, à Washington, le Nigérien s’était encore entretenu, en juin, avec le lieutenant-général Jonathan Braga, chef du Commandement des opérations spéciales de l’armée des États-Unis, sur la base aérienne américaine 201, près d’Agadez. Les deux hommes avaient discuté des stratégies à adopter pour améliorer la lutte contre les groupes jihadistes dans le Sahel, une préoccupation majeure de la Maison-Blanche.
En nommant Moussa Salaou Barmou chef d’état-major, Tiani cherche-t-il à se ménager un canal de discussion avec les Américains, qui ont émis des doutes sur l’opportunité d’une intervention militaire de la Cedeao ? Barmou s’est en tout cas entretenu avec Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’État, lorsque celle-ci a tenté une médiation à Niamey pour obtenir la libération du président Bazoum. L’initiative a échoué, mais Washington n’a, semble-t-il, pas abandonné l’idée d’influencer son interlocuteur privilégié.
Est-ce réaliste ? Le général Barmou a en tout cas endossé son costume de chef d’état-major afin de préparer le Niger à une éventuelle intervention militaire de la Cedeao. Comme son prédécesseur, Salifou Mody, quelques jours plus tôt à Bamako et à Ouagadougou, le Nigérien s’est envolé pour Conakry, le 12 août, afin d’évoquer avec Mamadi Doumbouya, le président de transition, la possibilité que la Guinée apporte un appui militaire au Niger au cas où la Cedeao passerait à l’action. Aucun accord n’a semble-t-il été trouvé. Barmou n’en prépare pas moins ses plans de défense.
La diplomatie, pour éviter la guerre
Le chef d’état-major des armées nigériennes pourrait se retrouver face à un autre général passé (brièvement) par les États-Unis : son homologue Christopher Gwabin Musa, que le président nigérian, Bola Tinubu, a nommé, le 19 juin, « Chief of Defense Staff ». Christopher Gwabin Musa avait encore participé, en 2017, à une formation au commandement de troupes dispensée par l’armée américaine. En dehors du Nigeria, ce natif de la région de Sokoto, voisine du Niger, a été formé à l’Université de la Défense nationale de l’Armée populaire de libération de la Chine, en 2012 et 2013.
Jusqu’à présent commandant du corps d’infanterie de l’armée nigériane, cet ancien de la force multinationale contre Boko Haram, dans le bassin du lac Tchad, connaît parfaitement la région frontalière avec le Niger, où des troupes de la Cedeao – au sein desquelles le Nigeria fournirait la majorité des effectifs – pourraient être dans un premier temps mobilisées. Surtout, Christopher Gwabin Musa est l’un des principaux concepteurs du plan d’intervention de la Cedeao, élaboré par les chefs d’état-major des pays de l’organisation entre le 2 et le 4 août, puis validé par les chefs d’État ouest-africains.
« Nous ne sommes pas inconscients, nous savons quels sont les défis qui nous attendent. La restauration d’un gouvernement démocratique au Niger est une mission pleine d’obstacles. Nous ne pouvons cependant pas nous permettre d’être paralysés face à cette situation », a déclaré le Nigérian lors d’une réunion à Abuja, le 2 août. Christopher Gwabin Musa a prévu de revoir ses homologues de la Cedeao au Ghana pour affiner les plans de l’organisation ouest-africaine. Cette réunion, prévue le 12 août, a été reportée pour « raisons techniques ».
Moussa Salaou Barmou et Christopher Gwabin Musa finiront-ils par s’affronter, l’un à la tête d’une armée nigérienne aidée d’alliés maliens et burkinabè, l’autre à la tête d’une coalition de la Cedeao ? « L’objectif est de ne pas en arriver là, assure un diplomate ouest-africain. Mais les deux camps sont bien obligés de s’y préparer. Le rôle de l’armée, c’est aussi de mettre le pouvoir politique en position de force dans des négociations et de faire pencher la balance, afin d’éviter une guerre. » Si vis pacem, para bellum, dit l’adage. Qui veut la paix, prépare la guerre.
Source: JeuneAfrique.com
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