Pourquoi l’Afrique a besoin de l’Algérie, par Marwane Ben Yahmed

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Pourquoi l’Afrique a besoin de l’Algérie, par Marwane Ben Yahmed
Pourquoi l’Afrique a besoin de l’Algérie, par Marwane Ben Yahmed

Africa-Press – Djibouti. S’inquiéter pour le plus vaste pays d’Afrique, 45 millions d’habitants, quatrième PIB, qui dispose du gaz et du pétrole dont le monde entier a aujourd’hui besoin, de l’une des armées les plus puissantes du continent et d’infrastructures que beaucoup lui envient ? Voilà qui peut paraître incongru. Et nul doute que nos amis algériens, réputés ombrageux, en particulier les dirigeants politiques et militaires, ne vont pas apprécier… A fortiori quand la manne des hydrocarbures coule de nouveau à flots ; 60 milliards de dollars de réserves de change dans les caisses, ça change la vie d’un État sorti exsangue de la crise du Covid. Et pourtant, il y a vraiment lieu d’être préoccupé par le destin d’« El Djazaïr ».

Un peu plus de trois ans après l’élection à la présidence d’Abdelmadjid Tebboune et quatre depuis le déclenchement du Hirak, cet immense mouvement populaire qui a surpris le monde entier, obtenant sans violence la chute du régime d’Abdelaziz Bouteflika, « l’Algérie nouvelle » promise par ses dirigeants a des allures de mirage en plein milieu du Tassili. Pis, les aspirations enfin révélées au grand jour lors de cette drôle d’insurrection d’une population jeune, plurielle, dynamique, engagée et désireuse de rompre avec les immobilismes politiques et sociétaux n’ont guère été prises en compte. Les fruits n’ont jamais passé la promesse des fleurs. Cette « Algérie nouvelle » est moins démocratique, moins libre et moins ouverte sur l’extérieur que la vieille Algérie de « Boutef ». Ce qui n’est pas un mince exploit…

Presse muselée

Plus personne n’ose s’exprimer, ceux qui le font sont embastillés, la presse est muselée ou censurée (c’est d’ailleurs le cas de Jeune Afrique), la Ligue algérienne des droits de l’homme a même été dissoute. L’opposition n’existe plus, à l’exception des islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), pas franchement une bonne nouvelle pour ceux qui connaissent l’histoire contemporaine de l’Algérie. La paranoïa règne en maître, toute voix contestataire est accusée de faire le lit du terrorisme, d’être pro-sioniste ou pro-marocaine. Les relations avec le royaume chérifien, d’ailleurs, n’ont jamais été aussi exécrables, le contraire, là aussi, relevant de la gageure.

Le régime, ouvertement militarisé, a en outre perdu sa base sociale. Sa légitimité historique est un lointain souvenir, sa légitimité démocratique, une chimère. Ne reste donc qu’un vague projet politique des plus conservateurs – fondée sur le nationalisme le plus étroit –, une adversité avec un prétendu ennemi extérieur (la France, le Maroc, etc.) et l’autoritarisme pour faire tenir un édifice depuis longtemps décati.

Le plus beau pays du Maghreb

Un véritable crève-cœur pour tous ceux qui aiment ce pays, dont l’auteur de ces lignes qui le couvre depuis 1999. Un pays unique, magnifique, riche dans tous les sens du terme. Mes compatriotes tunisiens ou mes amis marocains n’apprécieront guère, mais c’est sans doute le plus beau des trois qui composent le Maghreb central. Il faut connaître la mystique vallée du Mzab, la verdoyante Aïn Temouchent, les criques azur de la corniche kabyle entre Béjaïa et Jijel, l’iconoclaste Oran, la saharienne et hors du temps Adrar, les sublimes gorges du Rhummel aux portes de Ksentina (Constantine), la magie granitique du Hoggar, entre autres, pour le mesurer. Ce pays a tout, un potentiel naturel, humain et géostratégique inouï. D’immenses ressources, et pas seulement ses hydrocarbures, des cadres très bien formés, une jeunesse inventive. Le potentiel est une chose, son exploitation en est une autre, hélas.

De quoi l’Algérie a-t-elle le plus besoin aujourd’hui ? De modernité, tout simplement. En politique, d’abord, pour instaurer un véritable débat démocratique et remplacer ceux qui ont fait leur temps. La nation ne peut plus s’offrir le luxe de se priver des idées neuves d’hommes et de femmes moins enclins à rechercher et à conserver des privilèges – ou à lécher les babouches du zaïm – qu’à bien faire leur travail : proposer, discuter, faire bouger les lignes, préparer l’avenir, représenter dignement leurs électeurs.

« Légaliser » le secteur informel

Ensuite, l’économie. Il faut en finir une fois pour toutes avec cette défiance maladive à l’égard du secteur privé, considéré depuis trop longtemps comme l’ennemi à abattre. Pourquoi renoncer à la créativité dont font preuve chaque jour les Algériens ? À cette aptitude, érigée en art, à toujours se débrouiller pour contourner les obstacles ? Pourquoi ne pas « légaliser » un secteur informel parmi les plus dynamiques au monde ? Car ce n’est que par le secteur privé qu’on pourra enfin diversifier une économie « monomaniaque » et créer des emplois.

Enfin, le volet social. Inonder de dinars – et il y en a moins qu’hier – ceux qui ne s’en sortent pas (salaires, allocations chômage et pensions viennent d’être augmentés), sans se pencher sur les raisons de leurs difficultés, c’est soigner les symptômes du mal sans jamais s’attaquer à ses racines. Donc une aberration à moyen terme. Une société, quelle qu’elle soit, a aussi besoin d’air, et c’est peu dire que la société algérienne étouffe, asphyxiée par le conservatisme, les tabous, l’absence de loisirs et d’accès à la culture, la corruption et le culte de l’argent facile. Et s’enferme dans le déni : son code de la famille, et la place qu’il réserve aux femmes en particulier, est un autre anachronisme difficilement compréhensible.

Diplomatie, énergie, agroalimentaire, BTP…

Oui, il y a bien lieu de s’inquiéter avec autant de fers aux pieds, depuis si longtemps. Pour les fils et les filles du pays, notamment les plus jeunes qui ne peuvent envisager un avenir serein, mais aussi pour nous-mêmes. Car l’Afrique ne saurait se passer d’une Algérie ouverte, engagée dans son développement et la quête de souveraineté du continent. Le Maghreb, évidemment, qui subit les conséquences désastreuses et invalidantes de décennies de guerre froide avec le Maroc. Quel gâchis !

Le Mali, qui aurait bien besoin du grand frère voisin, celui qui le connaît le mieux. La Libye, « chaos debout », qui ne se remet toujours pas de la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. L’Union africaine dans son ensemble, elle aussi freinée dans l’intégration continentale qu’elle est censée promouvoir ou organiser par le bras de fer permanent entre Alger et Rabat.

Dans bien des secteurs, les compétences et les moyens dont dispose l’Algérie sont à même de satisfaire les besoins exprimés, de Bamako au Cap. Énergie, évidemment, mais aussi agroalimentaire, industrie pharmaceutique – et, plus largement, santé –, BTP, infrastructures, services, numérique… Les échanges sont pourtant réduits à la portion congrue. Encore une aberration.

Il fut un temps où les leaders de cette jeune nation née d’une lutte exemplaire pour son indépendance siégeaient au panthéon des héros panafricains. Un temps où, à l’avant-garde de l’épopée tiers-mondiste, pleine de rêves et d’ambition, elle était aussi populaire que respectée. L’époque n’est évidemment pas comparable, mais c’est de l’âme et de l’esprit de cette Algérie-là que nous avons tous besoin. Or mieux vaut se nourrir d’espoir que de souvenirs…

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