Quentin Velluet
Africa-Press – Djibouti. Les bouleversements climatiques en cours poussent les jeunes entrepreneurs africains à concevoir des solutions pour répondre aux défis futurs.
Le 2 août dernier, l’humanité a fini de consommer l’ensemble des ressources naturelles que la Terre est capable de produire en un an. C’est le constat fait par l’ONG américaine Global Footprint Network qui, chaque année, calcule ce qu’elle a baptisé le « jour du dépassement ». Chaque année, cette date intervient de plus en plus tôt, signe que l’être humain continue d’altérer durablement les écosystèmes qui l’entourent. Sécheresses, inondations, épidémies, famines… Les populations du monde entier en subissent les conséquences et doivent apprendre, sinon à les prévenir, du moins à s’adapter aux effets du dérèglement climatique.
Dans cette négociation du quotidien avec les éléments, le continent africain est particulièrement concerné, bien qu’il ne soit à l’origine que d’un pour-cent des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Les grandes institutions de financement du développement tentent de répondre à l’urgence, elles qui poussent désormais l’ensemble des prêteurs et investisseurs à mettre la notion d’adaptation au changement climatique au centre de leurs stratégies.
100 milliards de dollars d’investissement
Pour certaines entreprises innovantes, ces défis sont en train de se transformer en opportunités. La Société financière internationale (IFC), filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé, estime même que « les opportunités d’investissement dans l’adaptation au changement climatique en Afrique pourraient atteindre 100 milliards de dollars d’ici 2040 ». En 2022, selon la base de données Africa: The Big Deal, sur les levées de fonds réalisées dans la tech africaine, 1,2 milliard de dollars ont été injectés dans des start-up développant des solutions liées à l’énergie, l’eau, l’agriculture et la gestion des déchets, que les professionnels du secteur rassemblent sous le label « climate tech ». Un montant qui a doublé par rapport à l’année précédente.
« Aujourd’hui, toutes les banques de développement ont un agenda concentré sur les questions d’adaptation au changement climatique », confirme Maxime Bayen, cofondateur d’Africa: The Big Deal et partenaire chez Catalyst Fund, un investisseur américano-kényan qui a choisi depuis janvier de concentrer la totalité de ses tickets à des start-up qui contribuent plus ou moins directement à l’adaptation au changement climatique.
ON NE VA PAS POUVOIR CONTINUER À NE FINANCER QUE DES NÉO-BANQUES
Jusqu’ici, Catalyst Fund jouait sur deux tableaux, les fintech et le climat. Mais pour l’investisseur français, force est de constater qu’il « ne va pas pouvoir continuer à ne financer que des néo-banques ». En janvier, dans le cadre de son nouveau fonds de pré-amorçage de 30 millions de dollars, Catalyst Fund a ainsi annoncé avoir investi 2 millions de dollars dans dix start-up. L’investisseur, qui a depuis sécurisé quatre investissements supplémentaires, devrait être en mesure d’intégrer dix start-up de plus dans ce nouveau portefeuille d’ici à la fin de l’année.
« Nous avons davantage d’opportunités d’investissement qu’il y a un an », assure Maxime Bayen. Pour cette deuxième série qu’il est en train d’étudier, Catalyst Fund a reçu 860 dossiers, dont 129 correspondent à la thèse d’investissement du nouveau fonds.
Assurance, recyclage et briques en plastique
Dans son portefeuille figurent des entreprises qui, de prime abord, semblent hors sujet. C’est le cas de la plateforme d’assurance Assuraf, qui agrège et distribue les offres des mastodontes comme Axa ou Allianz en Afrique de l’Ouest. « Toutes les assurances ont un volet résilience climatique, se défend Maxime Bayen. Un événement de santé sur deux est lié directement au changement climatique et l’on sait désormais que des épidémies comme le virus Ebola ou la malaria sont fortement influencées par ces phénomènes. »
Une étude publiée en 2019 dans la revue Nature & Communication affirme effectivement que, d’ici à 2070, le changement climatique créera les conditions idéales à l’expansion de populations animales telles que les chauves-souris ou certains singes, porteurs de virus. Par conséquent, selon l’investisseur, accélérer la pénétration de l’assurance santé rend les populations plus résilientes face à ces nouveaux risques épidémiques.
D’autres modèles ont un impact sur l’environnement plus facilement perceptible. Au Maroc, Sand To Green, une start-up financée en partie par Catalyst Fund, élabore une technologie permettant le développement de fermes agroforestières dans des environnements arides. L’entreprise fondée par l’ingénieure agronomique Wissal Ben Moussa et deux associés français, Benjamin Rombault et Gautier de Carcouët, se rémunère sur la production des fermes, mais également sur des crédits carbone et la vente de biodiesel.
Au Kenya, l’entreprise Amini, lancée par Kate Kallot en 2023 et qui a déjà levé 2 millions de dollars auprès de cinq investisseurs, utilise l’intelligence artificielle et l’imagerie satellitaire pour enrichir une base de données fiables sur les sols du continent afin d’améliorer les rendements des productions agricoles et de prévenir les risques (nuisibles, sécheresses, forte humidité).
Toujours à Nairobi, Kubik récupère les plastiques usagés pour les transformer en briques de construction pour les bâtiments. Depuis sa création, l’entreprise, active aussi en Éthiopie, a levé 3,4 millions de dollars. Selon elle, la production de ces briques rejette cinq fois moins de CO2, pour un produit fini moins cher de 40 %.
Un écosystème qui se structure
À Abidjan, Coliba est d’ores et déjà une success story. Créée en 2015 par Genesis Ehimegbe et Yaya Bruno Koné et soutenue par l’accélérateur de start-up de la GSMA, le lobby international des télécoms, la jeune pousse s’est spécialisée dans la collecte et le recyclage de déchets en plastique revalorisés sous forme de granulés, puis revendus à différentes industries. En mars, elle avait sécurisé 6 millions de dollars sur un objectif total de 11,5 millions en série A.
Aquaculture, maîtrise de la chaîne du froid et du stockage des denrées alimentaires… Le champ d’action de la climate tech est vaste et en constante évolution. « Les trois principaux piliers sont les solutions fintech pour une meilleure résilience des populations (assurance, crédit carbone, paiement d’urgence, tarification du risque), celles liées à la création et au développement de moyens durables de subsistance (agriculture de précision, restauration des sols) et, enfin, les services essentiels comme le stockage, la logistique, les soins de santé, la gestion des déchets et de l’eau », résume Maxime Bayen.
Pour financer ces idées, de plus en plus de fonds se spécialisent, comme Novastar, CommerzVentures, Equator, Ambo Ventures, Katapult ou encore RaliCap. En septembre prochain, cet écosystème se rassemble à Nairobi pour mettre en commun ses bonnes pratiques et échanger sur les opportunités d’investissement. Initié par l’organisme AfricArena en partenariat avec Catalyst Fund, le Climate Tech Festival sera le premier événement du genre à mettre en lumière la nécessité d’accompagner financièrement les entrepreneurs africains de la future résilience face aux bouleversements climatiques.
Source: JeuneAfrique
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