Mines: les Acteurs Africains Veulent Changer D’échelle

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Mines: les Acteurs Africains Veulent Changer D’échelle
Mines: les Acteurs Africains Veulent Changer D’échelle

Africa-Press – Djibouti. Dans le monde minier ouest-africain, rares sont les acteurs locaux à exploiter eux-mêmes les plus grands gisements. Les récentes percées de Bernard Koné Dossongui et d’Inoussa Kanazoé montrent que la donne est en train de changer. Non sans difficultés.

Dans le monde minier ouest-africain, les locaux ne se contentent plus du secteur artisanal ou de prises de participation minoritaires. Ils renforcent leur présence dans l’exploitation de mines de taille industrielle. C’est la tendance qui se dégage des dernières transactions intervenues dans le secteur.

Le 6 octobre, la mine d’or ivoirienne de Tongon, mise en vente par le canadien Barrick Mining, trouvait preneur pour 305 millions de dollars. L’acheteur n’est pas un géant du secteur, mais un nouveau venu: Atlantic Group, conglomérat fondé par l’Ivoirien Bernard Koné Dossongui, présent notamment dans la bancassurance.

L’opération, qui doit se concrétiser d’ici à la fin de l’année, fait suite à plusieurs acquisitions récentes d’actifs miniers par des acteurs locaux, privés ou publics. En 2023, le Burkinabè Simon Tiemtoré, président de Vista Bank, rachetait, avec la société Lilium Mining, deux mines d’or au britannique Endeavour Mining, à savoir Boungou et Wahgnion. Si l’opération n’a jamais été finalisée, un autre industriel du Burkina Faso, Inoussa Kanazoé, a bien acquis la mine d’or de Yaramoko, en mai, auprès du canadien Fortuna Mining, au travers de Soleil Resources.

Les États se lancent aussi à l’assaut des mines, secteur jusqu’ici trusté par les multinationales étrangères. Ainsi, la compagnie publique Société de participation minière du Burkina Faso (Sopamib) a été l’acquéreur final de Boungou et Wahgnion, l’an dernier. Son pendant malien, la Société de recherche et d’exploitation des ressources minérales du Mali (Sorem), a mis la main sur les mines d’or de Morila et de Yatéla, en juin. Et, en août, le gouvernement guinéen créait Nimba Mining Company pour gérer la mine de bauxite jusque-là détenue par l’émirati Guinea Alumina Corporation (GAC).

Une longue histoire de partenariats

Bien que tangible, la percée doit toutefois être nuancée. Certes, la Sopamib assure avoir relancé Boungou, longtemps à l’arrêt pour raison de sécurité, quand Soleil Resources d’Inoussa Kanazoé opère effectivement Yaramoko (avec une production de 116 206 onces en 2024, le dernier chiffre connu). Mais, la Sorem a conclu, le 8 octobre, un accord de collaboration avec Flagship Gold – une société américaine jusque-là inconnue, mais dont le patron Ron Slaughter a déjà travaillé au Mali –, qui doit l’aider à reprendre la production à Morila. Quant aux autorités de Conakry, elles ont placé le français Patrice L’Huillier, passé par Rusal, Eramet, Arcelor Mittal et Eurasian Resources Group (ERG), à la tête de Nimba Mining. Des décisions qui montrent que les partenariats avec les étrangers demeurent essentiels pour gérer des mines en Afrique francophone, à la différence de ce qui se fait en Afrique du Sud.

« Après les indépendances, beaucoup de pays africains se sont tournés vers l’extérieur afin d’être aidés pour explorer puis exploiter leurs ressources minières », rappelle le chercheur en sciences politiques Guillaume Bagayoko. Ils n’avaient pas forcément, à l’époque, les capacités techniques et financières pour mener de telles activités. En parallèle, les programmes d’ajustement structurel poussent, dès les années 1980, les gouvernements à privatiser l’économie et notamment les mines.

Or, « aujourd’hui, le problème de l’expertise technique est révolu », assure Guillaume Bagayoko. Le temps, les politiques de contenu local, la création de parcours universitaires sur place et l’envoi de talents en formation à l’étranger ont fait leur œuvre. En particulier dans les « vieux » pays miniers comme le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, où les nationaux gèrent les mines, des postes d’ouvriers jusqu’aux directions générales. Et, des « Maliens sont aux commandes de mines partout dans le monde », rappelle l’économiste malien Modibo Mao Makalou. Certains exercent même au plus haut niveau au sein de groupes internationaux, comme Djaria Traoré, aux quatre nationalités (Bénin, Mali, France, États-Unis), vice-présidente en charge des opérations et de l’ESG au sein d’Endeavour Mining.

Des investissements colossaux hors de portée

Actuellement, de l’avis des interlocuteurs sollicités, l’obstacle majeur à la gestion de mines par les locaux est financier. Développer une mine demande beaucoup d’investissements – de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars, voire de plusieurs milliards, en fonction du minerai et des infrastructures à construire – pour un rendement qui n’est pas immédiat. Et le démarrage de la production ne met pas fin aux dépenses: outre les employés et le carburant à payer, il faut continuellement forer, dynamiter et racheter des machines pour continuer à exploiter, tout en gérant les stériles et en assurant la maintenance des équipements. « La mine est intensive en capital », insistent tous les interlocuteurs interrogés.

Or, pour lever des fonds, les groupes africains ne sont pas les mieux armés. Ils sont peu nombreux à avoir les reins assez solides pour miser des centaines de millions de dollars sur un projet. « C’est une chose de racheter une mine existante, avec ses employés, ses machines et ses infrastructures. C’est autre chose de découvrir un gisement, de l’explorer puis de l’aménager afin de le mettre en production. Le saut technique et financier est bien plus important dans le second cas que dans le premier », estime Daniel Driscoll, spécialiste du secteur minier au sein du cabinet d’avocats Gowling WLG et ancien de Lilium Mining et d’Endeavour Mining. Le groupe Sapro, de l’entrepreneur congolais Paul Obambi, qui détient depuis 2016 le projet de la mine de fer de Mayoko dans l’ouest du pays, mais tarde à en faire une exploitation pérenne du fait des défis logistiques et financiers, en l’est l’illustration.

Quant aux banques locales, « elles sont dans l’incapacité de dépasser un certain niveau de financement pour un projet unique, du fait des ratios prudentiels », explique Christian Mion, associé chez EY. Les banques étrangères, elles, ne souhaitent pas toujours prêter à des opérateurs basés dans des juridictions considérées comme à risque. En parallèle, les bourses locales ne donnent pas accès aux mêmes financements que les marchés occidentaux et chinois. Face à cela, « avoir un partenaire stratégique étranger avec une forte expérience internationale peut rassurer les investisseurs », souligne Modibo Mao Makalou.

Une volonté politique décisive

Cette situation explique en partie pourquoi ce sont les banquiers et les patrons nationaux, comme Koné Dossongui et Inoussa Kanazoé, qui sont les plus actifs dans le secteur minier. Ils présentent un double avantage: être à la tête de groupes générant d’importants volumes de trésorerie et habitués aux exigences des banques et autres prêteurs. Actif dans quinze pays sur le continent, Atlantic Group dispose d’une institution bancaire, AFG Holding, dont le bilan consolidé s’élevait à 6 milliards de dollars en 2024. Le groupe s’est déjà diversifié dans l’industrie (cacao, ciment, logistique). Selon Modibo Mao Makalou, « Koné Dossongui se donnera les moyens, tant techniques que financiers, de faire de la reprise de Tongon un succès ».

« L’augmentation de la participation africaine dans les mines est une évolution positive, favorisant souvent une implication nationale plus forte et une meilleure création de valeur locale », avance Daniel Driscoll. « Cela dit, les horizons d’investissement longs de l’exploitation minière ne s’accordent pas toujours avec les stratégies d’allocation de capital des groupes diversifiés ou des investisseurs financiers », reprend l’analyste, soulignant que « les résultats les plus probants associent généralement une participation locale à un capital patient et à une solide expertise opérationnelle ».

Pour renforcer encore la tendance actuelle, Christian Mion estime que « la volonté et la vision politiques » sont cruciales. Dans plusieurs législations africaines, comme celles adoptées au Mali, en 2023, et au Burkina Faso, en 2024, des exigences actionnariales de contenu local ont été inscrites, obligeant à attribuer une part du capital des mines à des privés nationaux. Ces règles peuvent avoir un effet vertueux, permettant aux entrepreneurs d’engranger des fonds grâce aux dividendes perçus tout en développant une expertise du secteur en siégeant au conseil d’administration des sociétés minières. Cela pourrait, à terme, les conduire à détenir et à opérer seuls des mines.

Toutefois, l’achat de participation peut s’avérer très onéreux. Les gouvernements doivent donc mettre en place des dispositifs donnant les moyens aux nationaux de réaliser de telles opérations. Enfin, on ne peut écarter un risque: observer un soutien, limité à des proches du pouvoir, dont l’objectif n’est pas nécessairement de voir les locaux renforcer leur présence dans les activités minières.

Source: JeuneAfrique

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