Africa-Press – Djibouti. Malmené dans certains médias qui s’interrogent sur son bilan à la tête du Fonds souverain de Djibouti (FSD), l’ancien ministre tunisien de l’Industrie et des PME (2017-2020) ouvre les portes de son vaste bureau, avec vue imprenable sur le port et le palais de la présidence, pour justifier de son action depuis sa nomination fin 2021. À 58 ans, ce financier passé par l’université George Washington, située dans la capitale fédérale des États-Unis, met en avant les premiers projets signés en 2023 dans l’éolien ou le solaire, en attendant d’attirer les investisseurs qui assureront, aux côtés du fonds souverain, la nécessaire diversification de l’économie djiboutienne.
Pour cela, Slim Feriani et le FSD créent l’événement en organisant du 12 au 14 mai, sous les ors de l’hôtel Kempinski, leur premier forum, avec l’ambition d’en faire un portail de référence pour les investisseurs internationaux désireux de participer au développement économique de Djibouti. L’occasion aussi pour le patron du FSD de tordre le cou à la rumeur, à quelques mois de la fin de son mandat en décembre prochain et avant une éventuelle reconduction dans ses fonctions.
Jeune Afrique: Votre action à la tête du fonds a fait l’objet, fin mars, d’un article très critique selon lequel vous pourriez ne pas être reconduit une fois votre présent mandat terminé à la fin de cette année. Pourquoi cette mauvaise presse maintenant ?
Slim Feriani: Pourquoi ces calomnies, ces diffamations envers moi et envers le fonds, juste après l’annonce de l’organisation de notre forum ? Parce que je pense que ce rendez-vous sera une grande réussite et cela peut en déranger certains à Djibouti. Ce forum doit être le catalyseur de notre succès et il va nous permettre de répondre à ces attaques injustifiées.
Que répondez-vous justement à ceux qui estiment qu’il ne s’est rien passé depuis votre arrivée ?
Cela ne correspond absolument pas à la réalité des faits. Nous sommes partis sur de mauvaises bases et nous avons dû reconstruire pendant deux ans. Entre son lancement et mon arrivée en décembre 2021, le fonds a connu trois directeurs généraux. On peut difficilement faire pire pour ce qui est alors une start-up. Nous avons passé l’année 2022 à stabiliser l’institution et à recenser notre portefeuille, pour relancer une dynamique d’équipe et réinstaurer la confiance nécessaire à tout investisseur. Nous demandons juste un peu de temps avant d’être jugés.
Avez-vous également dû reconquérir la confiance du président Guelleh ?
Djibouti n’est pas isolé et a donc subi de plein fouet une conjoncture particulièrement défavorable depuis la mise en place de son fonds souverain.
En tant qu’autorité de tutelle et première partie prenante du FSD, la présidence a en effet été déçue par ce départ raté. Les attentes sont énormes dans le pays et la barre a été placée très haut en 2020, lors de la création du fonds, à un moment où le contexte était très différent d’aujourd’hui. Djibouti n’est pas isolé et, comme les autres pays, a donc subi de plein fouet une conjoncture particulièrement défavorable depuis la mise en place de son fonds souverain.
Le FSD dispose-t-il des moyens financiers nécessaires à ses ambitions ?
Son portefeuille est très respectable, avec 100 % de Djibouti Télécom et d’Électricité de Djibouti (EDD), 40 % de Great Horn Investment Holding (GHIH) qui regroupe les avoirs portuaires et logistiques du pays, plus 20 % des revenus annuels tirés des bases militaires, soit l’équivalent de 25 millions de dollars pour le fonds. Les promoteurs du FSD se sont inspirés de l’exemple Temasek à Singapour et nous ne pouvons que lui souhaiter la même réussite.
La valorisation de cet ensemble correspond-elle bien aux 1,3 milliard de dollars annoncés lors de la création du FSD ?
L’attente est énorme, notamment en matière de diversification, mais pour pouvoir y répondre, nous avons besoin de ressources financières que nous n’avons pas.
C’était ce qui était en effet déclaré à l’époque, avant la pandémie, la guerre en Ukraine, l’instabilité en Éthiopie, etc., qui ont eu, chacune leur tour, des effets très déstabilisateurs sur l’économie djiboutienne et donc sur ses fleurons. À cause de ce changement de contexte économique, nous ne disposons pas aujourd’hui des moyens financiers promis alors et cela reste un défi important à relever pour le fonds. L’attente est énorme, notamment en matière de diversification, mais pour pouvoir y répondre, nous avons besoin de ressources financières que nous n’avons pas. Il ne faut pas demander la lune si l’on ne possède pas la fusée pour y aller.
Tout est-il mis en œuvre pour valoriser au mieux vos actifs ? Où en est par exemple le dossier de l’ouverture du capital de Djibouti Télécom, énoncé pour la première fois fin 2022 ?
C’est un vaste chantier qui nécessite d’abord quelques préalables. Valoriser des actifs qui ne sont pas cotés en Bourse se révèle être un véritable challenge, que nous devons relever pour être en mesure d’annoncer la valeur réelle de notre portefeuille. L’ouverture du capital de Djibouti Télécom reste à l’ordre du jour et nous venons justement de mandater le cabinet français Tactis pour contribuer à mesurer la valeur de l’entreprise. Il n’est pas question de brader les joyaux du pays, c’est pour cela que nous préférons avancer prudemment sur ce dossier.
Quels types de projets intéressent plus particulièrement le FSD ?
Nous nous focalisons sur des projets tangibles à l’échelle locale, même si cela se fait aux dépens de l’édification de notre portefeuille et de son rendement. La loi FSD de mars 2020 nous autorise à investir sur les marchés boursiers ou obligataires, dans l’immobilier et dans des fonds d’investissement, mais nous avons besoin pour cela de moyens financiers que nous n’avons pas. Nous avons donc jusqu’à présent temporisé en nous concentrant sur des projets novateurs à fort impact pour le pays, comme la création l’année dernière, pour quelques centaines de milliers de dollars, de la première société de financement participatif à Djibouti, Indufin, à destination des PME et des start-up. Voilà le type de projet sur lequel le FSD peut aujourd’hui être co-investisseur.
En compagnie du secteur privé djiboutien ?
L’un de nos objectifs est de dynamiser le secteur privé du pays.
L’un de nos objectifs est en effet de dynamiser le secteur privé du pays. À ce stade, le PIB de Djibouti, soit 3,5 milliards de dollars, est constitué pour les trois quarts par l’État et le secteur public. Il reste donc beaucoup à faire en ce domaine.
Comment travaillez-vous avec la GIGH, la société d’investissement détenue par l’Autorité portuaire ?
Cette entité a été créée pour la construction d’infrastructures lourdes, notamment dans les différents modes de transport, pendant que le FSD s’occupe des autres secteurs identifiés dans le cadre de la Vision 2035 définie par la présidence. Le FSD est un moteur additionnel qui a pour mission d’assurer le développement des secteurs touristiques et financiers, dans le numérique et les énergies renouvelables. Nous avons un rôle de catalyseur multisectoriel et c’est notre plus-value.
Du 12 au 14 mai, le FSD va donc organiser son premier forum, avec quels objectifs ?
C’est une première pour le pays et nous nous projetons déjà sur une deuxième édition.
Ce rendez-vous correspond à une nouvelle étape pour le fonds. En deux ans, nous avons réussi à intéresser une douzaine de partenaires internationaux et ce forum doit nous permettre d’attirer encore plus de monde, pour le fonds souverain mais également pour Djibouti. Nous ne sommes pas le seul acteur de la place. L’union fait la force et s’il y a aussi des partenaires pour GIGH, c’est très bien pour tout le monde. Nous attendons 150 invités internationaux et autant d’acteurs locaux. Parmi ceux qui vont faire le déplacement se trouvent les représentants d’autres fonds souverains, de différentes organisations internationales de financement et de développement, de fonds de capital-investissement, de cabinets d’avocats, de banques d’affaires… Bref, tout un écosystème nécessaire aux investisseurs. C’est une première pour le pays et nous nous projetons déjà sur une deuxième édition, avec l’idée d’organiser chaque année un tel forum qui doit permettre à terme de changer la perception du risque à Djibouti.
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