Valérie Levkov (EDF) : « Subventionner l’électricité pour tous ne rend pas service à l’économie »

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Valérie Levkov (EDF) : « Subventionner l’électricité pour tous ne rend pas service à l’économie »
Valérie Levkov (EDF) : « Subventionner l’électricité pour tous ne rend pas service à l’économie »

Bilal Mousjid

Africa-Press – Djibouti. État des réseaux, place des énergies renouvelables dans le mix énergétique, etc. La vice-présidente Afrique, Moyen-Orient et Méditerranée orientale du groupe EDF revient sur les principaux enjeux énergétiques auxquels fait face le continent.

Alors que le continent regorge de ressources énergétiques, un Africain sur deux n’a pas accès à l’électricité. Une situation qui continue de freiner le développement économique de nombreux pays, lesquels doivent désormais rattraper leur retard tout en luttant contre le changement climatique. Comment l’Afrique peut-elle gagner cette course contre la montre ?

Jeune Afrique : Malgré son immense potentiel, notamment en matière d’énergies renouvelables, le continent africain demeure à la traîne avec plus de la moitié de ses habitants qui n’a toujours pas accès à l’électricité. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Valérie Levkov : Pendant des décennies, alors que la démographie évoluait fortement, les investissements dans les infrastructures ne suivaient pas. Aujourd’hui, il existe heureusement une prise de conscience assez forte de la majorité des acteurs.

Demeure la question de savoir comment rattraper le retard, compte tenu du fait que les besoins ne font qu’augmenter. Dans cette course, le continent dispose bien entendu de moyens de production et de ressources importantes, que ce soit en gaz, en énergies renouvelables (hydrauliques, solaires, éoliennes, biomasses ou géothermiques) mais force est de constater que la réalisation est longue et lente. Car entre le moment où l’on signe pour un projet et le démarrage effectif de la construction, il se passe parfois quatre ou cinq années.

Comment expliquez-vous ces délais ?

Il y a d’abord le temps consacré aux négociations car tous les acteurs cherchent à obtenir les tarifs les plus bas possibles, ce qui est normal. Il y a également des bailleurs de fonds multilatéraux qui ont des exigences relatives à la gouvernance, aux règles d’appels d’offres, aux études environnementales (conséquences sur la biodiversité, populations touchées, dédommagements…).

À cela s’ajoute un manque de moyens dans les ministères en charge du secteur de l’énergie. Par ailleurs, les réseaux de transport d’électricité ne sont souvent pas suffisamment conséquents pour pouvoir absorber d’importantes nouvelles infrastructures de production. D’où la nécessité d’investir massivement dans les infrastructures de transport et de distribution.

Dans cette course, l’Afrique n’est pas tout à fait souveraine dans la mesure où le secteur de l’énergie est encore dominé par des entreprises internationales. Le continent peut-il aujourd’hui faire émerger des champions régionaux capables de les concurrencer ?

C’est vrai que, comparé au secteur des télécoms par exemple, il n’y a pas suffisamment de champions panafricains. Mais l’énergie étant une affaire nationale d’abord, un champion national ne peut s’étendre à l’international que si les besoins locaux sont satisfaits, ce qui n’est pas le cas dans la majorité des pays du continent. Le défi est tel que le développement à l’international n’est donc pas une priorité.

En tout cas, l’absence de champions nationaux ne s’explique pas par un manque de compétences. D’ailleurs, lorsqu’ils interviennent dans un pays, les groupes internationaux accompagnent et forment aussi les acteurs nationaux. EDF s’engage à former les partenaires locaux avant de d’effacer progressivement.

De nombreux projets menés par des producteurs indépendants d’électricité connaissent un coup de frein à cause de l’augmentation des tarifs, lesquels avaient été négociés bien avant la pandémie et la guerre en Ukraine. Qu’en est-il pour vous ?

En l’occurrence, l’Afrique n’est pas une exception car il s’agit d’un problème complexe que l’on a vécu un peu partout dans le monde avec l’envolée des prix des matières premières et ceux des transports. Certains développeurs avaient pris des dispositions pour pouvoir absorber ces chocs, tandis que d’autres n’étaient pas assez prudents sur cette question, ce qui a rendu la situation plus difficile pour eux. Un groupe qui intervient en Afrique doit toujours prévoir certaines marges de manœuvre pour pouvoir faire face à certaines difficultés.

Certains pays ont répercuté la hausse des tarifs sur les consommateurs pendant que d’autres préfèrent maintenir les prix inchangés. Y a-t-il une tendance qui se dessine concernant la politique des tarifs ?

C’est très divers. Ce qui est dommage, c’est qu’on subventionne l’électricité pour tous, y compris pour ceux qui n’en ont pas besoin. Les États peuvent se passer de cette charge financière très lourde que représentent les subventions aux clients qui ont les moyens de payer l’électricité à des tarifs plus chers, qui reflètent le juste coût.

Parlez-vous des industriels ?

Les industriels sont le moteur de l’économie et si les tarifs augmentent, ils peuvent menacer de ne pas continuer à produire. C’est un art difficile mais ce n’est pas rendre service à l’économie que de subventionner l’électricité pour tout le monde.

Nous soutenons le modèle des partenariats public-privé (PPP), car il y a une vraie visibilité sur le coût. Le pays sait combien lui coûtera l’énergie sur un horizon qui peut aller jusqu’à une trentaine d’années. Et l’opérateur peut également anticiper ses revenus.

Est-ce que les énergies renouvelables sont suffisamment compétitives en Afrique aujourd’hui ? Et quelle place le gaz doit-il occuper dans la transition énergétique ?

Si on prend l’exemple de l’Afrique du Sud, on constate que les prix n’ont fait que décroître. Si l’on s’inscrit dans la durée, le renouvelable peut être très compétitif. Mais, évidemment, il faut un mix car certains pays ont l’hydraulique, d’autres l’éolien ou le solaire.

Quant au gaz, il a encore toute sa place car c’est dans le mix qu’on trouve la solution. Cela étant dit, le potentiel renouvelable du continent demeure encore largement sous-exploité.

Source: JeuneAfrique.com

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