Harengs de Norvège : la surpêche interrompt la transmission entre générations des routes migratoires

1
Harengs de Norvège : la surpêche interrompt la transmission entre générations des routes migratoires
Harengs de Norvège : la surpêche interrompt la transmission entre générations des routes migratoires

Africa-Press – Djibouti. Au printemps 2021, les pêcheurs norvégiens habitués à attendre le gros des populations de harengs à la hauteur de Møre, dans le sud de la Norvège, ont constaté un effondrement brutal du premier stock mondial de cette espèce très recherchée. Mauvaise surprise: Clupea harengus rapporte des centaines de millions d’euros tant aux Norvégiens qui les exploitent dans leur zone économique exclusive (ZEE) qu’aux bateaux industriels qui le traquent dans tout l’Atlantique Nord. Comment expliquer une diminution aussi rapide de cette population? Les chercheurs de l’Institut de recherche marine de Bergen viennent de publier une hypothèse surprenante dans Nature le 7 mai 2025. En capturant trop de harengs adultes, les pêcheurs auraient coupé l’enseignement des routes migratoires aux jeunes générations.

Le hareng a un cycle de vie bien connu car très étudié du fait de son importance économique. L’espèce hiverne dans le nord de la Norvège. Il migre au printemps pour se reproduire au large de Møre dans le sud du pays à 1300 kilomètres de là. La raison en est simple: c’est à cet endroit que se trouvent de grandes quantités d’un petit crustacé, Calanus finmarchicus, dont les larves se repaissent. Les chances de survie sont donc améliorées, ce qui incite l’espèce, au moins depuis les années 1950, à faire un tel arbitrage entre le coût énergétique d’un voyage aussi long et le succès reproductif. Les juvéniles se laissent ensuite porter par les courants pour rejoindre la mer de Barents où ils vont passer les quatre premières années de leur vie. Ce n’est qu’à cet âge qu’ils rejoignent les populations adultes qui entre cinq et douze ans et plus, font le trajet migratoire annuel.

Le hareng, un poisson de grande importance économique donc très étudié

Le hareng est très convoité. La gestion des stocks est sous la responsabilité des Norvégiens mais ces stocks font l’objet de négociations annuelles, notamment avec l’Union européenne pour l’établissement de quotas. En 2016, les discussions ont échoué et n’ont pas permis de respecter les consignes des scientifiques du Conseil international pour l’exploitation de la mer (Ciem). Le stock de harengs « atlanto-scandien » est ainsi passé de 6,9 millions de tonnes en 2008 à 3,1 millions de tonnes aujourd’hui. Les prises excéderaient de 40% le taux admissible de capture (TAC) qui permettrait la durabilité de cette population. De plus, les pêcheurs ciblent prioritairement les plus gros poissons de plus grande valeur sur les marchés.

Pêcheurs comme scientifiques se sont vite aperçus que les poissons absents à Møre se trouvaient en réalité 800 kilomètres plus au nord, dans les eaux de Lofoten. Les harengs n’avaient pas migré jusqu’à leur lieu habituel, mais s’étaient arrêtés bien avant pour se reproduire. Les chercheurs ont eu à leur disposition de très nombreux jeux de données collectés tous les ans tant par le Ciem que par les offices des pêches. Ainsi, notent les chercheurs, la biomasse des poissons les plus vieux est tombée de 4 millions à 1,3 million de tonnes entre 2019 et 2023, soit une baisse de 68%. En 2021, année de l’arrêt de la migration, les juvéniles nés en 2016 était plus nombreux que les poissons les plus vieux selon les observations faites à la fois lors des débarquements des bateaux et par surveillance acoustique.

Un enseignement culturel entre adultes et jeunes

Les halieutes proposent depuis une vingtaine d’années une théorie selon laquelle les routes migratoires des animaux marins sont transmises de génération en génération. Les adultes dont les capacités de nage sont plus importantes que les juvéniles incitent ceux-ci à les suivre dans ce voyage au long cours. « Le comportement collectif est reconnu comme un facteur important dans la migration d’animaux évoluant dans des environnements dynamiques, rappellent les auteurs. En agissant collectivement, ils peuvent mieux intégrer des informations (enseignement collectif) et établir des connaissances qui peuvent être transmises à de nouveaux groupes non informés à travers des interactions sociales (enseignement social). Ces deux processus ont un rôle essentiel dans la prise de décision. » Cette théorie avait jusqu’ici été développée grâce à des modèles informatiques. L’arrêt brutal de la migration des harengs norvégiens offre une formidable démonstration in vivo que la forte diminution des adultes a provoqué une perte de mémoire collective.

Les auteurs de l’étude restent cependant prudents. Le comportement des harengs pourrait aussi être influencé par le changement climatique. Les poissons de ces eaux froides pourraient être rebutés par des eaux du sud norvégien de plus en plus chaudes. Même si on a constaté dans les années précédentes que la migration a eu lieu alors que la température des eaux du sud de la Norvège était anormalement élevée, l’impact du réchauffement en cours ne peut être écartée. Cependant, l’hypothèse d’une rupture de transmission d’une « culture » entre générations est aujourd’hui la plus solide. Ce qui devrait en toute logique amener le secteur de la pêche à prendre des décisions difficiles. Pour faire perdurer la migration du hareng et pérenniser sa reproduction, les pêcheurs devront réduire les prises des plus gros poissons, ceux qui leur rapporte le plus.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Djibouti, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here