Le jardin, un écosystème d’une richesse infinie

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Le jardin, un écosystème d'une richesse infinie
Le jardin, un écosystème d'une richesse infinie

Africa-Press – Djibouti. Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°213 daté avril/ juin 2023.

À la rosée du matin, une mésange bleue ramasse des chenilles pour nourrir ses petits. Dans le plein soleil de midi, les bourdons pollinisent les glycines, des champignons entrent en symbiose avec les racines du cerisier… Si explorer la vie du jardin peut être source de méditation philosophique, maintenir l’équilibre de nos lopins de terre n’a rien d’évident.

Le jardin, en effet, ne constitue pas un écosystème comme les autres. De taille limitée, il est modelé par le jardinier qui l’entretient, modifiant ainsi son équilibre mais aussi les relations entre ses habitants et visiteurs occasionnels. Un principe, cependant, peut servir de guide : plus la biodiversité du jardin est grande, plus celui-ci résiste aux perturbations. Un espace accueillant plusieurs espèces de coccinelles résistera mieux en cas de sécheresse : si l’une d’elles est décimée, d’autres continueront à se régaler des pucerons. “Comme disait Darwin, l’abondance et la diversité des uns assurent celles des autres, philosophe Yohan Charbonnier, chargé de mission scientifique à la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Pour s’adapter et prospérer, une espèce a besoin de nourriture, de zones de reproduction et de zones de repos. La biodiversité s’appuie donc sur une grande variété de ressources alimentaires et d’habitats.”

Commençons par l’indispensable : la nourriture. Les premiers pourvoyeurs d’abondance vivent au ras du sol, voire en dessous. Les organismes dits détritivores – vers de terre, cloportes, collemboles… – contribuent, avec d’autres décomposeurs comme les bactéries, à dégrader la matière organique, enrichissant le sol en eau, gaz carbonique, azote et minéraux. “Le sol est également mieux structuré lorsqu’il renferme une grande diversité d’espèces détritivores car elles participent à la formation d’agrégats poreux de différentes tailles, chaque taille contribuant à une fonction spécifique dans la circulation de l’eau – rétention, pénétration ou transfert”, explique Julia Clause, maîtresse de conférences à l’Université de Poitiers. Favoriser les espèces détritivores avec des feuillages adaptés à leur nutrition – du tilleul pour les cloportes par exemple – ou en apportant du compost concourt à la bonne santé du sol.

Bien alimentées en eau et en sels minéraux, les plantes assurent alors leur rôle de mères nourricières du jardin. “Elles forment la brique principale de l’écosystème, rappelle Nicolas Deguines, maître de conférences à l’Université de Poitiers. Elles constituent la nourriture des insectes herbivores et pollinivores, mais aussi de leurs prédateurs comme les guêpes et les punaises. Au fur et à mesure, une communauté d’insectes plus riche se développe.”

Ainsi s’installe un cercle vertueux, entretenu par la relation mutualiste qui unit plantes à fleurs et insectes pollinisateurs. Plus les premières sont nombreuses, plus les seconds auront de quoi se nourrir et plus ils garantiront la reproduction de la plante. “Une pelouse rase est un désert pour un insecte, souligne Kévin Tougeron, chercheur de l’unité Écologie et dynamique des systèmes anthropisés à l’Université de Picardie. Alors qu’un jardin comportant différentes variétés de plantes et strates de végétation – fleurs, plantes basses, d’autres plus buissonnantes et si possible des arbres – accueille, lui, une grande variété de pollinisateurs comme les abeilles sauvages, les syrphes et les papillons.” Pour aguicher les insectes, rien de tel que les trèfles, les plantes aromatiques comme la lavande, mais aussi les ronces qui abritent de nombreux nids au sein de leurs entrelacs.

Mais si une forme de coopération règne dans un jardin composé d’espèces riches et variées, comme lorsqu’un grand arbre protège du vent les plantules, il est aussi le théâtre d’une âpre compétition. Les plantes les plus envahissantes gagnent du terrain et une lutte féroce s’installe dès lors que les ressources en eau, en lumière ou en nutriments sont limitées. Si elles déploient ainsi toute leur énergie pour survivre, les plantes deviennent alors des cibles faciles pour des insectes bien moins altruistes : les parasites suceurs de sève, au premier rang desquels trône le puceron qui sème la désolation. Heureusement, nectar et pollen attirent aussi les prédateurs de ces ravageurs. C’est le cas des guêpes parasitoïdes qui pondent à l’intérieur des pucerons. Les larves dévorent leurs hôtes dont les corps finissent par se dessécher. “Ces momies de pucerons témoignent de la bonne santé d’un jardin, poursuit le chercheur. Il y a un lien entre la biodiversité et les services écosystémiques (rendus à l’homme par la nature) que sont la pollinisation ou le contrôle des ravageurs. Plus on augmente le nombre de fleurs, de plantes et donc d’insectes, plus on a de chance que ces services soient efficaces.”

Mais il ne faut pas s’y tromper : les relations entre espèces sont motivées par les seuls objectifs de survie : se défendre, se reproduire et, surtout, se nourrir. Or, pour qu’une espèce d’un niveau trophique supérieur s’installe, il faut qu’un certain nombre de ressources de base soient accumulées. Plantes et insectes servent ainsi d’appât à de nombreux oiseaux – grives musiciennes, merles ou moineaux. Ces derniers contrôlent des animaux affectionnant les zones humides, comme les escargots ou les limaces, également très prisés des musaraignes et autres carabes. Et si le campagnol et le mulot grignotent les racines des arbres, les rapaces nocturnes, renards et autres belettes en feront leur affaire. L’écosystème s’équilibre ainsi sur le long terme : les populations de prédateurs sont capables de réguler les populations de proies – régulation ne signifiant pas nécessairement éradication. “L’écologie scientifique montre que les prédateurs mangent toujours les proies les plus abondantes et les plus faciles à capturer, même si ce ne sont pas nécessairement celles qu’ils préfèrent”, précise Yohan Charbonnier.

Des larves de papillons accrochées aux herbes hautes

Le jardin devenu ainsi véritable garde-manger, il s’agit maintenant d’attirer et de préserver la faune sauvage en lui garantissant des lieux de vie multiples. Les amas de feuilles mortes servent d’abris aux hérissons, les vieux arbres et les amoncellements de branchages accueillent les oiseaux, des tas de pierres offrent aux reptiles des zones d’insolation. Ces habitats sont vitaux pour un grand nombre d’espèces. Comme les papillons, dont les larves et chrysalides passent l’hiver accrochées aux tiges d’herbes hautes. Des espaces non fauchés peuvent ainsi contribuer au maintien de leurs populations, aujourd’hui en déclin. En été, les haies qui bordent les jardins – dès lors qu’elles se composent de variétés fruitières ou de plantes à fleurs et non de thuyas ou de lauriers, véritable “béton vert” – fournissent un refuge à de nombreux petits mammifères et insectes, ainsi qu’aux oiseaux.

Autre lieu d’accueil de la biodiversité : les mares. Elles constituent d’excellents “attracteurs biologiques” de la faune aquatique et terrestre. Le crapaud, par exemple, se reproduit dans l’eau où se développent ses larves qui migreront sur terre à l’âge adulte. Ce faisant, il contrôle les populations d’insectes… et nourrit à son tour des espèces comme la corneille ou le héron. Par ailleurs, les pollinisateurs y trouvent une source d’hydratation. Enfin, “elles régulent l’humidité et, surtout, atténuent les variations de température, souligne Kévin Tougeron. La succession des phases d’évaporation et de condensation pendant la journée réduit en effet l’amplitude thermique entre jour et nuit. C’est un atout pour les insectes qui, généralement, n’ont que très peu de contrôle sur leur propre température”.

Les variations de température : voici effectivement un des paramètres clés de la présence de la faune et de la flore au jardin, car elles définissent le rythme de vie des espèces sur plusieurs échelles de temps. Marquant les saisons, elles guident les cycles de reproduction, d’hibernation et de migration et gouvernent la floraison, acteur principal du fonctionnement de l’écosystème. Selon les variétés, celle-ci s’étend du début du printemps à l’automne, moment où la vie du jardin entre en dormance. Certaines espèces obéissent toutefois à des cycles décalés. C’est le cas du pissenlit, qui commence à s’épanouir plus tôt que la plupart des fleurs, ou du lierre dont la floraison au contraire est tardive, ce qui permet à de nombreux insectes de continuer à se nourrir en fin de saison. Quant aux variations de température à l’échelle de la journée, elles ont des retombées directes sur les interactions entre espèces. Chaque organisme a en effet un optimum thermique, la température à laquelle il est le plus actif durant la journée. “Les relations proie-prédateur seront plus efficaces dès lors que deux espèces ont les mêmes périodes de préférence thermique ou que celles-ci se superposent sur une large gamme de temps”, précise Kévin Tougeron.

Le réchauffement climatique a, lui aussi, un impact sur l’écosystème. “Si la période de floraison dépend beaucoup des températures, c’est bien moins le cas pour la période d’émergence des insectes. Lorsqu’il fait chaud plus tôt dans la saison, on observe ainsi un décalage entre la floraison d’une plante et l’arrivée des insectes qui la butinent, ce qui entraîne un déficit de pollinisation important”, constate Nicolas Deguines. Dans cette même logique, des températures estivales précoces peuvent faire fléchir les populations d’oiseaux. Ne pouvant anticiper leur migration, les hirondelles ou les fauvettes, par exemple, risquent d’arriver sur leur lieu de reproduction après le pic de floraison, voire après celui de l’éclosion des chenilles qui constituent une part non négligeable de leur alimentation. Avec pour conséquence des difficultés à s’envoler mais aussi, sur le long terme, une diminution des cycles de reproduction.

Cette interdépendance des espèces fait la force mais aussi la fragilité du jardin. Renforcer sa résilience ne peut passer que par un accueil généreux de la biodiversité, un travail au long cours que chacun peut mener à l’échelle de son terrain mais qui aura des vertus bien au-delà. Car, mises bout à bout, ces petites parcelles individuelles constituent un écosystème tout aussi essentiel au maintien de la biodiversité que peuvent l’être d’autres milieux naturels plus vastes – forêts ou réserves.

Combattre les ravageurs à l’aide de leurs prédateurs

En matière de lutte contre les ravageurs, le biocontrôle s’est imposé chez les jardiniers. De quoi s’agit-il ? D’un ensemble de produits et de techniques basés sur des mécanismes naturels et un principe on ne peut plus simple : tout être vivant mange et peut être mangé. Les prédateurs des cultures peuvent donc être combattus grâce à leurs prédateurs. Ces méthodes sont classées en quatre catégories : macroorganismes (oiseaux, insectes, etc.), microorganismes (virus, champignons, bactéries), médiateurs chimiques (phéromones…) et substances naturelles. Cas emblématique : la coccinelle et son insatiable appétit pour les pucerons.

“C’est évidemment bien moins efficace que le produit chimique qui va tuer tout le monde, assène Denis Jandel, directeur technique de l’entreprise SBM Life Science. On n’éradique jamais tout à fait la menace, mais on contrôle les dégâts pour que l’essentiel de la récolte soit préservé.” Cette méthode alternative nécessite de plus longues heures de présence au jardin afin d’observer les prémices d’une attaque et de décider du bon moment pour lâcher l’insecte auxiliaire qui protégera les cultures. Pas simple.

Les scientifiques qui ont testé en laboratoire les dizaines de produits vendus dans le commerce, sous forme par exemple d’œufs d’insectes ou d’huiles essentielles, n’ont pas vraiment noté d’effets positifs. Cependant, les défenseurs de ce type de stratégies plaident que leur efficacité dépend des conditions météo, d’applications conjointes avec d’autres techniques comme les stimulations naturelles des plantes, et du savoir-faire du jardinier. “Il faut renoncer une fois pour toutes à l’idée d’un jardin ‘propre’ indemne de toute maladie, reconnaît Denis Longevialle, directeur général de l’Association française des produits de biocontrôle. Et accepter que la nature se serve.” Dans le commerce, les produits de biocontrôle font l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. Et leur utilisation progresse. En 2021, les entreprises du secteur ont généré 274 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit 13 % du marché de la protection des plantes.

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