Africa-Press – Djibouti. Promenons-nous, dans les bois, pendant que le loup n’y est pas », raconte la comptine. Mais si nous allions effectivement dans les bois, pourrions-nous seulement le croiser? Rien n’est moins sûr, selon une étude publiée le 2 octobre 2025.
La cohabitation avec le loup conduit régulièrement à des débats houleux. L’animal est tantôt vu comme une espèce menacée et tantôt comme un impitoyable prédateur. Une dualité encombrante lors des discussions sur la gestion de Canis lupus, une espèce autrefois présente dans toutes les campagnes françaises jusqu’à sa disparition en 1937 à force de persécutions. Elle a fait son retour sur le territoire en 1992, engendrant peu à peu de fortes tensions avec le monde agricole, qui déplore des attaques de bétail.
En septembre 2023, la présidente de la Commission européenne déclarait même que « la concentration de meutes de loups dans certaines régions d’Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’Homme ». Chasseurs et éleveurs assurent pour certains que ces canidés n’ont plus peur des humains. Mais est-ce le cas? Pour répondre à cette question, la nouvelle étude publiée dans la revue Current Biology, s’est intéressée au comportement des loups de la réserve polonaise de Tuchola et plus précisément à leurs réactions face à l’humain.
« Croiser un humain est dangereux, les animaux le savent »
Pour cette étude, les chercheurs ont placé plusieurs haut-parleurs à travers la forêt de Tuchola, une réserve naturelle où sont recensées une quinzaine de meutes. Là où les loups peuvent les entendre, les chercheurs ont diffusé tour à tour des bruits d’oiseaux, des aboiements de chiens et des discussions humaines. Grâce à des images captées par des caméras, les scientifiques étaient alors aux premières loges pour évaluer les réactions des canidés.
Et le résultat obtenu s’est révélé évident: après des heures d’observations, une simple conversation calme entre humains est suffisante pour faire détaler un loup. Plus encore, cet animal normalement diurne est alors devenu totalement nocturne, traduisant sa crainte de l’espèce humaine. Une caractéristique qui se retrouve chez la totalité des populations lupines d’Europe, avec pour seule exception les animaux de la zone d’exclusion de Tchernobyl, où aucun humain ne réside de manière permanente.
« Ce que l’on oublie souvent, c’est que le prédateur le plus dangereux du monde aujourd’hui, c’est l’Homme, commente la chercheuse Liana Zanette, co-auteure de cette nouvelle étude. Ce type d’étude a déjà été effectué sur de nombreux animaux, des cervidés aux éléphants, et tous choisissent de fuir lorsqu’ils entendent des voix humaines. Croiser un humain est dangereux, les animaux le savent, et beaucoup choisissent de nous éviter le plus tôt possible. »
En parallèle, l’étude s’est également intéressée à la réactivité des proies du loup, effectuant les mêmes observations sur les cervidés et les sangliers. Une fois encore, les mêmes résultats ont été constatés: au son de l’aboiement des chiens, les animaux s’immobilisent et écoutent, voire s’échappent, tandis que la conversation humaine entraîne immanquablement une fuite et l’abandon de la zone, ainsi qu’une vie généralement plus nocturne.
« Les loups n’ont pas cherché à ‘suivre’ leurs proies la nuit, ils ont juste fait le même choix qu’elles, précise à Sciences et Avenir Dries Kuijper, biologiste spécialiste des loups en Europe ayant participé à l’étude et officiant à l’Institut de recherche sur les mammifères de l’Académie polonaise des sciences. Ce sont des animaux très malins: comme leurs proies, ils ont préféré se mettre à vivre la nuit, parce que c’est le moment où ils peuvent éviter quasiment tous les humains.”
Pour se soustraire à cette espèce qu’ils craignent tant, le loup et ses proies se seraient donc « enfermés » dans la nuit, selon l’expression employée par les chercheurs. Un comportement observé chez toutes les populations de loups d’Europe, aussi bien en Pologne que dans les Alpes françaises. Mais si cet évitement est si absolu, comment expliquer les rencontres qui émaillent notre actualité?
L’Europe, un continent très anthropisé et qui a oublié la vie avec le loup
Dilemme central de nombreux débats sur la gestion du loup en France et plus largement en Europe, les nombreuses rencontres entre le canidé et les moutons demeurent un problème bien connu des chercheurs. Sans remettre en cause les craintes des éleveurs, ils attirent l’attention sur la dynamique en jeu dans la relation humain-loup. Et notamment sur les raisons qui peuvent pousser un animal à braver sa méfiance de l’humanité.
« La question qu’il faut se poser n’est plus celle de la peur de l’Homme: nous avons prouvé qu’elle est toujours présente, même dans les zones protégées, reprend Liana Zanette. La question maintenant est de savoir pourquoi les loups bravent cette crainte pour venir vers nous. Et la réponse est très simple: ils viennent pour se nourrir.”
Un point souligné par l’étude est en effet la tendance des humains à être entourés de nourriture à la fois très nutritive (que ce soit le bétail ou les restes de nourriture humaine) mais également très facile d’accès. Une aubaine pour ces animaux sauvages qui, comme le reste du règne animal, cherchent avant tout à survivre. Mais sur un tel territoire, très anthropisé, difficile d’accéder à ces ressources de valeur sans croiser la route d’un humain.
« Dans les pays d’Amérique du Nord et en Russie, de larges régions sont restées sauvages, avec très peu de passages, souligne Dries Kuijper. Mais en Europe, la totalité du territoire est anthropisée, y compris les réserves. En outre, dans certaines zones, le loup a disparu pendant plusieurs siècles, ce qui a entraîné une perte d’habitude. On ne sait plus y vivre avec un grand prédateur ni quelles précautions prendre. C’est un problème très visible sur le Vieux continent ».
De son côté, la professeure Zanette, originaire du Canada, précise que dans ce pays par exemple, « les grizzlis et les loups sont encore présents sur une partie du territoire et n’en sont jamais partis. Dans ces régions, le gouvernement et les populations sont conscients des mesures à prendre. Le bétail dort dans des bergeries et les ordures sont inaccessibles, loin de l’humain. C’est la même chose dans les pays européens où le loup n’a jamais disparu, comme l’Italie ou la Pologne. Mais dans ceux où il a été exterminé, nous n’avons plus cette expérience ».
Une protection des troupeaux à tâtons
Cœur de cible des débats sur le loup: l’autorisation de le tuer pour protéger les troupeaux. En France, le gouvernement a annoncé il y a près d’un an la possibilité d’abattre 192 loups pour la seule année 2025. Une solution radicale mais dont l’efficacité ne serait en réalité que temporaire. « Il y a beaucoup de recherches qui prouvent que tirer sur les loups ne règle pas du tout le problème. Ça a même tendance à l’aggraver, remarque Liana Zanette. Lorsqu’un loup meurt, sa meute éclate et la prédation sur le bétail, qui est plus facile d’accès, augmente. » Car chez les loups, si un membre de la meute se fait abattre, c’est souvent toute la petite famille qui vole en éclats, obligeant des loups isolés à se rabattre sur la source de nourriture la plus « rentable » et facile d’accès.
Problème: la protection des troupeaux ne suit pas. « Nous n’avons pas beaucoup de retours sur l’efficacité des mesures de protection des troupeaux en France, explique à Sciences et Avenir Elise Say-Sallaz, seconde autrice de l’étude, chercheuse à l’Académie polonaise des sciences et membre de l’Organisation de Protection des Alpages (OPAL) qui organise notamment des surveillances bénévoles de troupeaux dans les Alpes. Dans certaines zones, elles ne sont pas mises en place. Dans d’autres, elles coûtent trop cher ou sont mal implémentées. Comme nous n’avons pas été assez rapides à évaluer l’efficacité de ces mesures, elles ne sont pas standardisées et beaucoup d’éleveurs sont un peu perdus sur ce qu’ils doivent faire… »
« Les connaissances sont encore très faibles »
À travers cette nouvelle étude, les chercheurs essayent de faire un premier pas dans la compréhension des loups sauvages d’Europe, dont l’écologie reste encore mal connue. Elle invite ainsi à une réflexion plus réaliste sur le comportement du grand prédateur, loin des clichés.
« Cette étude est la toute première expérimentation sur des loups sauvages en Europe. En réalité, les connaissances sont encore très faibles, remarque Elise Say-Sallaz. On connaît très peu de choses sur leur écologie, leur utilisation du paysage et leurs interactions avec les autres espèces, sauvages ou domestiques. Et tant que nous n’aurons pas les réponses et les connaissances, on ne pourra pas avoir de mesures adaptées. »
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