Une espèce ou deux ? Les secrets génétiques du crapaud masqué révélés

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Une espèce ou deux ? Les secrets génétiques du crapaud masqué révélés
Une espèce ou deux ? Les secrets génétiques du crapaud masqué révélés

Africa-Press – Djibouti. Gare à qui le croque ! Le crapaud masqué (Duttaphrynus melanostictus) peut se révéler particulièrement indigeste, voire mortel en raison d’une toxine qu’il secrète pour sa défense. Cette dernière perturbe fortement un mécanisme clé lié au transport d’ions dans l’organisme, ce qui peut provoquer des troubles du rythme cardiaque allant jusqu’à l’arrêt du cœur. Si les prédateurs qui le côtoient dans son aire de répartition naturelle (qui recouvre une grande partie de l’Asie) ont évolué de sorte à devenir insensibles à cette toxine, ce n’est pas le cas de ceux présents dans les territoires qui sont en train d’être conquis par cette espèce invasive.

Deux espèces révélées par la génétique

D’ailleurs, il faut dorénavant considérer qu’il n’y a pas une seule espèce de crapaud masqué mais deux. « En reprenant la littérature scientifique sur le crapaud masqué, nous nous sommes aperçus que différents auteurs évoquaient plusieurs lignées génétiques sans que tout cela soit bien formalisé. De plus, ces assertions reposaient sur l’examen d’un nombre limité de gènes », explique Christophe Dufresnes, conservateur scientifique au Musée National d’Histoire Naturelle et principal auteur de l’étude publiée dans la revue Nature Communications.

Pour mettre au clair la phylogéographie du crapaud masqué, le chercheur et ses collègues ont analysé l’ADN de centaines de spécimens provenant de l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce. Au lieu de se concentrer sur quelques gènes, ils ont eu recours à de nouveaux outils d’analyse moléculaire permettant d’étudier de grandes portions du génome. Grâce à cette méthode, ils ont donc identifié deux lignées principales: l’une présente en Asie du Sud et en Indonésie, correspondant à D. melanostictus au sens strict, et l’autre couvrant l’Asie du Sud-Est jusqu’à Madagascar.

Ces deux lignées se distinguent par leur ADN nucléaire et mitochondrial, mais pour le moment, on ne s’est pas encore penché sur d’éventuels critères qui permettraient de les distinguer à l’œil nu: « Vu que ces crapauds étaient considérés comme appartenant à une seule et même espèce, personne jusqu’à présent n’a songé à regarder s’il y avait des différences morphologiques entre les deux. De plus, ces crapauds présentent une grande variabilité phénotypique en fonction des environnements qu’ils fréquentent », souligne le chercheur. Maintenant que l’existence de deux espèces est bien établie génétiquement, les spécialistes vont pouvoir y regarder de plus près.

Les crapauds introduits par l’humain ?

Les données génétiques montrent que les deux lignées ont divergé au Miocène, il y a environ 7 millions d’années. « Une séparation ancienne qui suggère que l’on est bien en présence de deux espèces différentes (et non pas de deux sous-espèces) avec une probabilité faible qu’elles puissent être entièrement interfécondes », précise Christophe Dufresnes. Dans la région himalayenne, on trouve même une troisième lignée sur l’ADN mitochondrial, qui pourrait refléter une troisième espèce « fantôme », aujourd’hui disparue, ou qui serait le signal d’un évènement d’hybridation entre les deux espèces existantes, il y a plusieurs millions d’années.

L’identification de ces deux espèces a également permis de suivre, presque à la trace, l’historique de leur dispersion. Ainsi, les chercheurs montrent que les crapauds indonésiens appartiennent à la même espèce que ceux trouvés en Inde. Ils semblent avoir été introduits en Indonésie récemment, sans doute par l’intermédiaire des déplacements humains notamment par la route maritime de la soie, qui a économiquement et culturellement rapproché l’Inde et l’Indonésie pendant des siècles. Aujourd’hui, cette espèce indo-indonésienne poursuit son expansion dans la région de Wallace, c’est-à-dire sur les nombreuses îles entre l’Indonésie et l’Australie.

En Australie, où l’animal ne s’est pas encore installé, la surveillance est d’ailleurs renforcée pour éviter toute introduction accidentelle, car le risque qu’il s’y aventure et s’y installe durablement n’est pas négligeable. Les autorités sont d’autant plus précautionneuses qu’elles se remémorent l’arrivée du crapaud buffle (Rhinella marina) qui a été volontairement introduit dans les années 1930 pour détruire les coléoptères qui s’attaquaient aux champs de canne à sucre. « Une bien mauvaise idée puisqu’ils ont colonisé une grande partie du pays avec des conséquences importantes sur les espèces endémiques », relate Christophe Dufresnes.

Ailleurs, il commence déjà à poser des problèmes. C’est particulièrement le cas à Madagascar où, cette fois, ce sont les représentants de l’espèce du sud-est asiatique qui se sont infiltrés dans ce point chaud de la biodiversité. Leur nombre s’y accroit fortement depuis la fin des années 2000 et une étude récente indiquait que les prédateurs malgaches potentiels (serpents, lézards, mammifères ou oiseaux) ne posséderaient pas d’adaptations susceptibles de neutraliser les effets de sa toxine.

Aussi est-ce une véritable hécatombe qui est redoutée par les spécialistes sur place. La distinction entre les deux lignées invasives et les futures études portant sur leurs caractéristiques propres permettra, peut-être, de mieux prévenir les dégâts qu’elles pourraient causer. Mais il y a urgence à développer de nouvelles recherches et à redoubler de vigilance quant à leurs transports involontaires, car ces crapauds-là ont une grande facilité à conquérir de nouveaux territoires.

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