Institutions Gabonaises Face à l’Austérité Illusoire

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Institutions Gabonaises Face à l'Austérité Illusoire
Institutions Gabonaises Face à l'Austérité Illusoire

Africa-Press – Gabon. Qui paie l’addition de la transition gabonaise? Derrière les 32,88 milliards de francs CFA consacrés aux sept grandes institutions de la République en 2025, se cache un jeu de chaises budgétaires révélateur. Pendant que la Présidence se comprime (-12,7% de budget malgré +12,8% d’effectifs), le Sénat maintient un salaire moyen annuel de 25 millions par agent et la Cour des Comptes double quasiment son enveloppe (+91,5%). Analyse exclusive des budgets institutionnels 2023-2025: entre compression salariale et sanctuaires préservés.

Dans les méandres de la Loi de Finances 2025, promulguée le 30 décembre dernier par le président Brice Clotaire Oligui Nguema, se dessine le portrait budgétaire d’un pouvoir en quête de légitimité. L’examen des masses salariales des sept institutions phares de la République révèle une cartographie aussi instructive que paradoxale: 32,88 milliards de francs CFA pour 3 078 agents en 2025, contre 32,67 milliards pour 3 030 postes en 2023, année du ‘coup de libération’. Derrière cette apparente stabilité se jouent des redistributions qui en disent long sur les priorités du régime.

La Présidence: exemplarité ou contrainte?

Au Palais du bord de mer, l’institution présidentielle incarne le paradoxe budgétaire par excellence. En deux ans, ses effectifs ont gonflé de 12,8 % (de 1 258 à 1 419 agents), tandis que son budget a fondu de 12,7 %, passant de 7,16 à 6,25 milliards de francs CFA. Résultat: chaque agent présidentiel voit sa rémunération moyenne chuter à 4,4 millions annuels, soit une amputation de 22,8 %.

Cette compression salariale traduit la nécessité pour le nouveau pouvoir de se démarquer de l’opulence du régime Bongo. Signal politique d’une volonté de rupture? Ou contrainte budgétaire imposée par un pétrole qui n’est plus une manne inépuisable? Sans doute un peu des deux.

Le Parlement, sanctuaire inviolable

Si la Présidence se serre la ceinture, le Parlement bicaméral préserve jalousement ses privilèges. L’Assemblée nationale maintient son enveloppe à 7,52 milliards (-1,0 %), tandis que le Sénat conserve 6,14 milliards (-1,3 %). Des reculs marginaux qui dissimulent une réalité économique singulière: le salaire moyen au Sénat atteint 25 millions de francs CFA annuels par agent, soit 5,7 fois celui d’un agent présidentiel.

Comment expliquer cette résistance à l’austérité? Le Parlement de la Transition constitue le verrou institutionnel du régime. Oligui Nguema a besoin de l’onction législative pour asseoir sa légitimité. Toucher aux émoluments parlementaires serait prendre le risque d’une fronde dans une période où la stabilité reste fragile. Ce consensus a un prix: la préservation des avantages d’une classe politique dont le soutien demeure indispensable.

La Cour des Comptes, grande gagnante

L’institution qui sort victorieuse de la redistribution budgétaire, c’est la Cour des Comptes. Son budget a bondi de 91,5 % (de 2,55 à 4,89 milliards), accompagné d’un renforcement de 28,1 % des effectifs (de 398 à 510 agents). Le salaire moyen annuel d’un agent grimpe de 50 %, à 9,6 millions annuels.

Signal politique sans équivoque: la lutte contre la corruption et le contrôle budgétaire constituent des priorités affichées du nouveau régime. Cette montée en puissance s’inscrit dans une stratégie plus large de juridiciarisation. Le Conseil d’État voit son budget augmenter de 64,1 % (effectifs passant de 162 à 168), tandis que la Cour constitutionnelle gagne 24,6 % (effectifs de 123 à 127).

La Cour de Cassation, victime collatérale

À contre-courant, la Cour de Cassation subit une cure d’amaigrissement: ses effectifs fondent de 23,8 % (de 223 à 170 agents), son budget reculant de 2,0 %. Cette réduction engendre un paradoxe: le salaire moyen grimpe mécaniquement à 21,2 millions annuels (+28,5 %), mais dans une institution affaiblie.

Cette rationalisation interroge. S’agit-il d’une mise à l’écart d’une institution perçue comme trop liée à l’ancien régime? D’un redéploiement de personnels vers la Cour des Comptes? La justice ordinaire n’apparaît en tout cas pas comme la priorité d’un régime focalisé sur le contrôle financier et administratif.

Une géométrie révélatrice

Cette répartition dessine une stratégie à trois étages. D’abord, légitimer le pouvoir militaire par l’affichage d’une rigueur exemplaire au sommet. Ensuite, s’assurer du soutien parlementaire en épargnant les élus. Enfin, investir massivement dans l’appareil de contrôle pour crédibiliser le discours de rupture.

Les flux d’effectifs complètent le tableau. Sur 3 078 agents pour toutes ces institutions, la Présidence concentre 46,1 % des postes, le Parlement 22,2 % (pour 41,5 % de la masse salariale), et les juridictions 31,7 % (pour 39,5 % du budget). Le passage de 906 agents judiciaires en 2023 à 975 en 2025 (+7,6 %) témoigne d’un renforcement ciblé du contrôle, tandis que les effectifs parlementaires stagnent (+0,4 %).

L’équation politique de la transition

Qu’apprend-on de cette plongée budgétaire? Que la transition repose sur un équilibre précaire entre affichage de rigueur et préservation d’équilibres politiques hérités. La compression présidentielle traduit une contrainte réelle, mais l’austérité demeure sélective. Le Parlement reste épargné, les juridictions de contrôle voient leurs moyens multipliés, la justice ordinaire demeure le parent pauvre.

Cette architecture survivra-t-elle au retour final à l’ordre constitutionnel? Les 32,88 milliards consacrés aux institutions constituent-ils un plancher incompressible? Dans un Gabon en quête de modèle démocratique, la question de l’efficience institutionnelle reste largement absente du débat public. Dans ces choix budgétaires se lit le projet, ou l’absence de projet, d’un régime qui peine à définir l’horizon de sa trajectoire.

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