Africa-Press – Gabon. Dans un entretien à Jeune Afrique le 27 août 2025, l’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze livre un réquisitoire sans appel contre le pouvoir de Brice Clotaire Oligui Nguema. Gouvernance hypercentralisée, affaires mêlant public et privé, dossier explosif des Bongo et incertitudes autour des élections de septembre: l’opposant brosse un tableau sombre d’un système qu’il juge déjà épuisé.
La charge est frontale, sans fioritures. Bilie-By-Nze ne se contente pas de pointer des dysfonctionnements: il dénonce une mécanique de pouvoir verrouillée, où la présidence écrase tout, où l’action publique se réduit à une mise en scène, et où les zones d’ombre se multiplient, de la gestion de la dette au départ d’Ali Bongo. Ses mots, incisifs et souvent lapidaires, ne visent pas seulement le gouvernement actuel mais tout un système qu’il accuse d’étouffer l’avenir du pays.
Un pouvoir centralisé, une action publique « anesthésiée »
Pour Bilie-By-Nzé, rien n’a changé: «Les premiers pas de ce gouvernement ressemblent en tous points à ceux du précédent: une seule personne donne le ton et régente tout.» Derrière l’apparente nouveauté de la Cinquième République, il voit la consolidation d’une hyper-présidence où le cabinet du chef de l’État aspire toute l’initiative. «On a habillé de légalité ce qui aurait dû relever de la mal-gouvernance», tranche-t-il.
Les images de machines sur des chantiers ne l’impressionnent guère: «le bruit des quelques pelleteuses déployées ici et là ne peut suffire à apporter de la lisibilité à l’action du gouvernement.» Les priorités manquent: «Est-ce la santé? Assurément non, au regard de la situation catastrophique de nos hôpitaux. Est-ce l’éducation? Tout porte à croire que non, au regard du déficit persistant du nombre d’enseignants ou des dernières mesures portant réduction de l’enveloppe allouée aux bourses d’études, et de l’inadéquation formation-emploi, entre autres. Est-ce la lutte contre la vie chère? Les dernières décisions dans ce domaine n’ont trouvé aucune traduction concrète sur le terrain.» Et de conclure: «Ce gouvernement semble déjà à bout de souffle, sans inspiration.»
Le «cas Oyima», miroir des contradictions d’État
Si l’ex-Premier ministre frappe fort, c’est surtout sur le terrain de l’éthique publique. L’exemple d’Henri-Claude Oyima concentre, selon lui, toutes les ambiguïtés: ministre de l’Économie et des Finances, mais toujours PDG de BGFI et président de la BVMAC. «Monsieur Oyima, ministre, négocie des emprunts auprès de monsieur Oyima, banquier, qui en fixe le taux… et que le même Oyima, ministre de la Dette, se charge ensuite de rembourser.»
Une boucle qu’il qualifie d’«anomalie politique et éthique» et même de «relations incestueuses assumées entre fonds publics et fonds privés».
L’énigme Bongo, entre contradictions et non-dits
Bilie-By-Nze s’arrête longuement sur le feuilleton Bongo. «Le fait que [Ali Bongo] soit sorti du Gabon avec sa famille, à la surprise générale, est justement révélateur de la complexité de ce dossier, car, si la justice a validé le fait que Sylvia Bongo et son fils Noureddin Bongo-Valentin quittent le Gabon pour des raisons de santé, quid de l’avion affrété par l’Angola pour venir les chercher à Libreville? On ne nous a pas tout dit dans ce dossier. Le peuple attend des explications», martèle-t-il.La famille a depuis porté plainte en France pour torture et détentions arbitraires, tandis que le pouvoir gabonais a engagé à son tour des actions contre elle. Pour Bilie-By-Nze, ces palinodies révèlent deux certitudes: «la première est que la torture dans les prisons gabonaises et autres lieux de détention est une réalité que plus personne ne peut nier ; la seconde, c’est que la justice gabonaise est sous contrôle, elle est ‘’aux ordres’’»
Les législatives de septembre, un test grandeur nature
À quelques semaines des législatives et locales du 27 septembre, le climat est tendu. La publication des listes de candidatures a déjà fait scandale, avec des rejets jugés arbitraires par plusieurs partis. Le président Oligui lui-même a dû intervenir, exigeant «transparence» et «rigueur» de son administration. Mais pour Bilie-By-Nze, le mal est plus profond: un pouvoir concentré, un exécutif qu’il juge épuisé dès l’aube et une justice inféodée n’offrent guère les conditions d’un scrutin équitable.
Au final, l’ancien Premier ministre ne vise pas seulement Oligui Nguema, mais un système tout entier: celui qui concentre le pouvoir entre les mains d’un seul, qui entretient les zones grises entre affaires et État, et qui peine à garantir la sincérité de la justice comme celle des urnes. Sa formule lapidaire résonne comme une sentence: un gouvernement déjà à bout de souffle, incapable de donner une direction au pays.
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