Africa-Press – Gabon. Trente ans après l’un des épisodes les plus controversés de l’histoire universitaire gabonaise, l’ancien Premier ministre livre, dans son podcast, sa version des faits et conteste fermement avoir participé aux violences.
Le 14 juin 1994 demeure une date traumatique dans l’histoire de l’Université Omar-Bongo. Ce jour-là, le recteur Daniel Ona Ondo fut déshabillé par des étudiants en colère, un acte qui allait durablement marquer la vie politique gabonaise. Depuis trois décennies, cette affaire poursuit Alain-Claude Bilie-By-Nze, leader du Syndicat des étudiants gabonais (SEG) à l’époque, beaucoup plus tard ancien porte-parole de la présidence sous Ali Bongo, aujourd’hui figure de l’opposition depuis la transition militaire de 2023.
Dans un long témoignage, en plusieurs épisodes, diffusé sur son podcast ‘’Tout se Dire’’, Bilie-By-Nze livre enfin sa vérité. «Je n’ai jamais été ce jour-là à moins de 10 mètres du recteur. Je n’ai jamais porté main sur le recteur. Jamais !» martèle-t-il. Ni lui, ni Alain Nzigou qui ne l’a pas quitté, ni Aimé Mapangou.
Une journée de chaos orchestré?
Le contexte était explosif. Six mois après l’élection présidentielle contestée de 1993, le gouvernement organise un référendum sur la reprise des cours pour le 14 juin, alors que les étudiants réclament une hausse substantielle des bourses après la dévaluation du franc CFA. La veille, le quotidien L’Union publie des articles signés Théophile Assoumou Mombey présentant Bilie-By-Nze, Aimé Mapangou et Alain Nzigou comme des «étudiants radicaux, radicalisés», préparant manifestement l’opinion à un drame.
Le 14 juin au matin, aucun vote ne s’organise à l’UOB. Dans ce contexte, Bilie-By-Nze accorde une interview au journaliste Eugène Ella Mba d’Africa N°1, annonçant la levée du mouvement de grève. Puis tout bascule. Alertés qu’une activité suspecte se déroule au rectorat, des étudiants y affluent. Muni d’un mégaphone, Bilie-By-Nze monte sur un escabeau de chantier devant le rectorat pour calmer les esprits. Les étudiants se calment. Il redescend et repart vers l’Arbre à Palabre lorsque sort un employé du rectorat, M. Engone.
La distance fatidique
Avec Sidonie Itsiembou, alors appelée Sidonie Macido, ils emmènent M. Engone «vers la maison des étudiants. Donc beaucoup plus bas» pour s’entretenir en off avec lui et s’enquérir des manigances en cours. À ce moment crucial, Bilie-By-Nze se trouve éloigné de l’épicentre. Pendant qu’Engone lui révèle que le recteur est à l’intérieur, le drame se déroule. «Je remonte en courant et j’arrive à hauteur de l’arbre à palabre qui fait face au rectorat. Et là, je vois un groupe d’étudiants qui sortent et qui font une haie. J’aperçois au loin le recteur Ona Ondo. Je cours vers lui […] Et il y a trois ou quatre étudiants qui m’enserrent: ‘Non, non, non, n’y va pas.’»
Parmi eux, Aristide Beka et Ahmed Ndong. Il observe à distance: certains tentent de protéger le recteur, d’autres jettent des pierres. Le groupe passe derrière les bâtiments de l’Institut de Gestion.
Des étudiants, dont Alain Abane, lui racontent ensuite qu’une fois qu’il était descendu avec Engone, les étudiants ont forcé l’action au rectorat et cassé les grilles. Eux, frères d’Eugène Ella Mba, ont réalisé que le journaliste se trouvait dans le bureau avec le recteur. «Eux se préoccupent de sauver Eugène Ella Mba. Je dis bien sauver, c’est l’expression qu’ils ont employée, ne se préoccupant pas de ce qui arrivait au recteur.»
Des zones d’ombre troublantes
Plus troublant encore: «Il y avait sur le campus, ce jour-là, des groupes d’étudiants que nous ne connaissions pas, des groupes de jeunes que nous ne connaissions pas. Certains portant des brassards rouges, d’autres se servant de leur t-shirt comme cagoule.» Interrogeant Nzigou, celui-ci répond: «Type, je ne les connais pas.» Les gendarmes, positionnés aux abords du campus, ne sont jamais intervenus malgré les appels.
Bilie-By-Nze convoque de nombreux témoins encore vivants: Alain Nzigou, Aimé Mapangou, Sidonie Itsiembou aujourd’hui Sidinie-Flore Ouwé, les frères Abane, Steve Renombo, le journaliste Raphaël Ntoutoume Nkoghe avec qui il a quitté le campus «groggy, estomaqués», mais aussi David Ella Mintsa, et le défunt Pierre Monsard, son directeur de mémoire, qui lui dira: «là tu ressens le poids de l’État. On se retrouve bien seul à ce moment-là.»
La solitude d’un enfant sans relais parental haut placé
Le lendemain des faits, le ministre de l’Enseignement supérieur d’alors, René Ndemezo’o Obiang, annonce l’exclusion définitive de quatre étudiants: Alain Nzigou, Alain-Claude Bilie-By-Nze, Aimé Mapangou et Nicaise Ngwa Mbina. Une liste de 39 exclus circulera ensuite, incluant même Lydia Ella Assa, sa compagne de lutte culturelle, et l’épouse de Bilie-By-Nze.
Mais chacun ira voir un parent bien placé (ministre, député, directeur) pour faire jouer ses relations politiques. «Finalement, de trente-neuf plus quatre, nous nous sommes retrouvés à trois, exclus: Alain Nzigou, Aimé Mapangou et moi. Tous les autres, leurs noms avaient disparu.» Une sélectivité que Aimé Mapangou dénoncera en 2014, affirmant: «Si j’étais de Bitam, je n’aurais pas été exclu.»
Et Bilie-By-Nze de poursuivre: «les étudiants pour qui on s’est battus, il n’y a plus personne. Il y avait quelques-uns qui tentaient de se mobiliser au début. Mais bien sûr, chacun sous la pression de la famille, des parents, des amis, [avec des conseils du genre] ‘écoute, laisse tomber, ne te mêle pas, fais attention, etc.’ C’est ça que nous avons vécu.»
Entré dans la clandestinité, contraint de changer de planque tous les deux ou trois jours, il vécut une année de fuite sous la bienveillance discrète de Pierre Monsard, Anaclé Bissielo, Fabien Méré, Auguste Moussirou.
Trente ans plus tard, Daniel Ona Ondo, le recteur, n’a jamais livré publiquement sa version. Ce silence, que GabonReview interrogeait en 2014 (lire «le silence éloquent») alimente le mystère.
«Ceux qui ont vécu à l’intérieur même, dans le rectorat, n’en ont jamais parlé? Ceux qui ont été présents et qui ont vu ceux qui ont porté main, pourquoi n’ont-ils jamais parlé?» interroge Bilie-By-Nze, maintenant la pression sur l’ancien recteur.





