Barreau Du Quand Le Corporatisme Défie La Justice

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Barreau Du Quand Le Corporatisme Défie La Justice
Barreau Du Quand Le Corporatisme Défie La Justice

Africa-Press – Gabon. Huit ans de parcours administratif, six ans d’attente illégale, trois Bâtonniers successifs et une décision de justice ignorée: l’affaire de Maître Jean-Pierre Pedro Dianga Nganzi révèle une mécanique d’obstruction parfaitement huilée au sein du Barreau du Gabon. Une stratégie qui vise, selon plusieurs sources, à tenir à distance les avocats de la diaspora quitte à violer la loi, mépriser les institutions et priver le pays de compétences essentielles.

Titulaire d’une licence en droit obtenue en 1985 à l’UOB et d’un doctorat décroché en 2008 à Montpellier avec mention très honorable, Maître Dianga Nganzi réussit son CAPA à l’EFB de Paris en 2010, prête serment au Barreau de Paris en octobre 2011 et y exerce régulièrement. En 2017, il décide de revenir au Gabon pour intégrer le Grand Tableau et dépose sa demande le 15 mars. Celle-ci ne reçoit de réponse que le 30 mai 2018, soit quatorze mois plus tard, lorsque le Conseil de l’Ordre lui réclame des pièces complémentaires dont certaines s’avèrent contraires à la loi. Il les fournit dans la foulée, mais le dossier retombe dans le silence le plus total. Pendant six années, malgré trois Bâtonniers successifs (Maître Jean Pierre Akumbu M’Olouna, Maître Lubin Ntoutoume, Me Raymond Obame Sima), et cinq sessions de prestation de serment ratées, aucune décision ne lui est notifiée

«J’ai même vu mes propres étudiants prêter serment pendant que ma demande moisissait dans un tiroir. Quelle en est la raison?» interroge-t-il. Aucune explication, aucun motif légal, aucune communication officielle.

Le Conseil d’État brise l’omerta

Face à cette inertie organisée, Maître Dianga Nganzi décide de saisir le Conseil d’État. Le 9 août 2024, la haute juridiction se déclare compétente, juge le recours recevable et constate que l’intéressé remplit pleinement les conditions d’admission fixées par les articles 18 et 19 de la loi n°013/2014. Elle considère ensuite que l’absence totale de décision du Conseil de l’Ordre au-delà du délai réglementaire constitue une admission automatique, conformément à l’article 22 de la même loi, qui prévoit que l’admission est réputée acquise lorsque le Conseil ne statue pas dans un délai de trois mois, sauf en cas de force majeure. Aucune circonstance exceptionnelle n’ayant été invoquée en six ans, l’arrêt ordonne l’inscription immédiate du requérant au Grand Tableau et met les dépens à la charge du Barreau. Cet arrêt, définitif et exécutoire, devait théoriquement clore le dossier.

L’obstruction repart: recours tardif, accusations fabriquées et stratégies extrêmes. En réalité, l’arrêt déclenche une nouvelle escalade de manœuvres. Le Bâtonnier Raymond Obame Sima refuse d’exécuter la décision et tente un recours en révision déposé six mois après l’arrêt, alors que le délai légal est strictement limité à deux mois. Cette initiative est complétée par une démarche pour le moins surprenante: la saisine du doyen des juges d’instruction afin de solliciter l’emprisonnement du requérant, une démarche sans fondement juridique identifié.

Constatant que ces tentatives ne suffisent pas à bloquer l’exécution de la décision, le Bâtonnier engage une offensive internationale. Le 20 mars 2025, il écrit à son homologue parisien pour remettre en cause la validité de l’inscription parisienne de Maître Dianga Nganzi, prétendant que celui-ci aurait dissimulé un statut incompatible avec la profession lors de son admission en 2011.

Le Bâtonnier de Paris, Pierre Hoffman, répond le 25 mars 2025 dans une lettre particulièrement claire. Il affirme que le dossier de 2011 était complet, que le candidat avait déclaré ne détenir aucune fonction incompatible en France ou à l’étranger et que son CV mentionnait explicitement un poste au ministère gabonais achevé en 2000, soit onze ans avant son inscription. Il conclut que «rien ne justifiait» une incompatibilité et que Maître Dianga Nganzi a légitimement prêté serment à Paris en 2011. Cette réponse ferme met fin à la tentative de discrédit.

Une stratégie généralisée: le cas Assaghle comme preuve systémique

L’affaire Dianga Nganzi s’inscrit dans un schéma plus large d’obstruction visant les avocats de la diaspora. Le 9 juillet 2025, la demande d’inscription de Maître Stephen Peter Assaghle est ajournée pour des motifs administratifs jugés infondés, alors que les articles 19 et 25 de la loi n°013/2014 garantissent l’inscription des avocats déjà qualifiés sans stage additionnel.

Cette répétition de blocages suscite la réaction du Réseau international des avocats gabonais (RIAG), qui publie le 5 décembre 2025 un communiqué dénonçant les «pratiques dilatoires», les «violations légales» et les «retards injustifiés» imposés aux professionnels de la diaspora. L’organisation demande l’application stricte des textes, la fin des manœuvres d’obstruction et l’ouverture d’un dialogue institutionnel. Elle rappelle que priver le pays de compétences internationales fragilise son développement juridique et économique.

Un déni de justice assumé

Sur le plan juridique, la situation est limpide. L’arrêt du Conseil d’État du 9 août 2024 est un acte définitif, dépourvu de recours suspensif, et son exécution s’impose. Aucune enquête postérieure à Paris ne peut remettre en cause un arrêt passé en force de chose jugée. En refusant d’exécuter cette décision, le Bâtonnier viole l’autorité de la chose jugée, contrevient à la loi n°013/2014 et commet un véritable déni de justice.

L’Ordre, pourtant garant de l’éthique et du respect de la loi, se retrouve paradoxalement à piétiner les règles qu’il devrait défendre.

L’affaire ne soulève pas seulement la question de l’inscription d’un avocat ; elle met en lumière une crise beaucoup plus profonde. Elle montre un Barreau replié sur lui-même, enclin à protéger des intérêts corporatistes plutôt que la légalité, et prêt à écarter les compétences de la diaspora par crainte de concurrence. Elle expose également l’existence d’une structure corporative qui s’arroge le droit d’ignorer les décisions de justice, au risque d’installer un pouvoir parallèle dans un secteur qui devrait être l’incarnation de l’État de droit.

Au-delà de son aspect individuel, l’affaire Dianga Nganzi interroge directement la capacité de l’État à imposer le respect des décisions de justice. Les autorités judiciaires et politiques accepteront-elles de laisser un ordre professionnel défier ouvertement la loi? Ou feront-elles prévaloir la primauté du droit sur les intérêts corporatistes? La réponse à cette question déterminera sans doute l’avenir de la gouvernance judiciaire au Gabon et, plus largement, la crédibilité de l’État de droit.

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