Africa-Press – Gabon. Alors que la législation gabonaise encadre strictement l’usage des armes, les récents faits divers tragiques, à Bongoville, Port-Gentil ou Mayumba, révèlent une réalité alarmante: le fusil de chasse, pourtant réglementé, s’impose comme l’instrument privilégié de la violence létale dans les foyers, les villages, voire au sein des forces de l’ordre. Un signal d’alarme que l’État ne peut plus ignorer.
Dans l’intimité des villages comme dans les couloirs des casernes, une même silhouette revient: celle du fusil calibre 12, longtemps perçu comme outil de subsistance ou de défense, désormais au cœur de trop de tragédies. Ce qui devait rester un instrument de chasse devient, au fil des drames, l’arme des crimes ordinaires, instrument de vengeance, outil de règlement de comptes, accessoire de détresse. Le Gabon, pays de paix proclamée, s’enfonce ainsi dans un paradoxe inquiétant: celui d’un État doté de lois strictes, mais incapable d’enrayer la banalisation de la violence armée.
Une hécatombe silencieuse à travers les provinces
De la forêt périphérique de Franceville aux quartiers de Port-Gentil, en passant par les pistes sableuses de Mayumba ou les collines boisées de Bitam, les chroniques judiciaires de l’année écoulée composent un même tableau sinistre: hommes abattus pour une rivalité amoureuse, chasseurs criblés de plombs dans l’indifférence, agents de police blessés en mission, femmes exécutées au cœur du foyer conjugal. À Bongoville par exemple, la nuit du 24 juillet dernier a scellé l’irréparable: trois coups de feu, un féminicide, un suicide, et des enfants orphelins laissés seuls face à la détresse.
Les chiffres officiels, bien qu’incomplets, dessinent déjà un horizon funeste: douze morts par armes à feu en un an, huit enquêtes ouvertes, un seul agent des forces de l’ordre incarcéré. Derrière ces statistiques, une constante glaçante: dans la majorité des cas, l’arme utilisée est un fusil de chasse, souvent obtenu légalement, mais mal encadré. Accessibles, bon marché, hérités ou prêtés entre proches, ces fusils circulent sans traçabilité, échappant au moindre contrôle rigoureux.
Une législation ferme, mais contournée
La loi-cadre de 1983, complétée par le Code pénal révisé en 2021, encadre théoriquement chaque étape de la vie d’une arme: achat, détention, port, transport, usage. Pourtant, le fossé entre la lettre du droit et la réalité de terrain est béant. Les armuriers sont peu contrôlés. Les fusils de chasse, bien que classés en 3e catégorie, ne font l’objet d’aucun marquage obligatoire. Et dans de nombreuses provinces, les brigades de gendarmerie ne disposent d’aucun fichier électronique des détenteurs.
Quant aux forces de l’ordre, elles ne sont pas exemptes de reproches. L’affaire de Port-Gentil, où un policier en mission solitaire abat un jeune homme sous prétexte de légitime défense, a ravivé les doutes sur les conditions d’intervention et les dérives internes. Missions sans binôme, absence de caméras embarquées, formation lacunaire sur l’usage proportionné de la force: tout concourt à alimenter la défiance.
Une réponse attendue: rigueur, transparence, prévention
Face à ce naufrage sécuritaire, le sursaut est impératif. Il commence par une traçabilité rigoureuse de toutes les armes civiles: chaque fusil de chasse doit être marqué, enregistré, et inscrit dans un registre numérique départemental. Ensuite, toute intervention policière armée doit être encadrée par un binôme et filmée, non pour surveiller les agents, mais pour les protéger et restaurer la confiance.
Par ailleurs, la formation des forces de l’ordre doit monter en gamme. Le programme des Nations Unies, appliqué lors des élections de 2025, offre un socle solide pour renforcer les aptitudes au discernement et au maniement éthique des armes. De même, le système de santé doit se réarmer: chaque centre hospitalier régional doit disposer d’un service de traumatologie balistique, pour éviter d’autres drames comme celui de Mayumba, où une prise en charge tardive a scellé le sort d’une victime pourtant sauvable.
Enfin, le gouvernement doit assumer une obligation de transparence. Publier, tous les six mois, un rapport public sur les homicides par armes à feu, province par province, serait un acte républicain fort. Car on ne combat pas ce que l’on ne mesure pas. Et l’on ne mesure pas ce que l’on préfère taire.
Le fusil du chasseur ne peut plus être l’arme du voisin, de l’époux, du frère ou du gendarme en déroute. Le Gabon a trop de blessures ouvertes. Il est temps de désarmer le silence.
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