Africa-Press – Gabon. Le doigt tendu vers le plafond, le visage tendu par l’anticipation et la phrase au bord des lèvres, à cinq ans déjà, la participation en classe est clé dans le processus d’apprentissage. Or, dès la maternelle, les enseignants interrogent plus souvent les élèves issus de milieux privilégiés que les autres, renforçant inconsciemment les inégalités sociales, conclut une étude française publiée dans la revue PNAS.
Les élèves privilégiés 23% plus interrogés
« Quand les élèves prennent la parole spontanément ou quand ils lèvent la main, à niveau de langage égal les enseignants interrogent plus souvent les élèves de milieu favorisés et les laissent davantage parler », résume le psychologue social au CNRS et ancien enseignant Sébastien Goudeau, qui a dirigé ces travaux. Mains levées, nombre et durée des prises de parole, interruptions spontanées ou à la demande de l’enseignant, 8.000 interactions de 225 élèves de 10 classes de grande section de maternelle en région Poitou-Charentes ont été codées et analysées par les chercheurs à partir d’enregistrements vidéo de la classe. Résultat, les élèves issus de classes moyenne à privilégiée étaient 23% plus invités à participer que les enfants de classe défavorisée – et ce même à compétences et donc aisance égales en langage.
Le biais de proximité culturelle
Ce biais des enseignants se fait l’écho de la tendance qu’ont les élèves privilégiés à prendre d’eux-mêmes plus facilement, plus souvent et plus longtemps la parole que leurs pairs moins favorisés, comme le révèlent de précédents travaux de la même équipe publiés en 2023. Ces constats s’expliquent par une notion de sociologie de l’éducation bien connue: la proximité culturelle. « Il y a une grande proximité entre ce qui est travaillé et valorisé en classe et ce dont les enfants de familles favorisées font l’expérience », explique Sébastien Goudeau.
Un livre qui a déjà été lu, un musée qui a été visité ou un lieu lointain exploré en vacances incitent les élèves issus de familles privilégiées à participer et leur donnent des billes pour en parler plus longtemps que les enfants qui les découvrent à l’école. « Cette proximité culturelle donne un avantage aux élèves pour intervenir et influence les enseignants malgré eux », précise le chercheur. D’autant qu’à la maison, les familles privilégiées incitent particulièrement les enfants à s’exprimer sur leurs envies ou leurs besoins par rapport à ceux issus de familles plus précaires et qui ont moins les moyens de réaliser les souhaits de leurs enfants.
Plus interrogés, donc plus méritants: la question de l’image de soi
Cet avantage conféré par la classe sociale influe sur la perception que les enfants ont d’eux-mêmes. Dans une précédente étude de 2025, l’équipe a montré des images assorties de scénarios aux enfants, du type « cet élève n’est pas souvent interrogé » ou « cet élève parle beaucoup », qui devaient tenter d’expliquer pourquoi il en était ainsi. « Ce qui ressort c’est que les élèves interprètent les différences de participation en classe comme une différence de mérite », rapporte Sébastien Goudeau. « L’élève beaucoup interrogé et qui parle souvent se perçoit et est perçu plus méritant, est plus sage, plus intelligent et fait plus d’efforts, que ceux qui sont moins interrogés. »
Des idées préconçues qu’ils s’appliquent aussi à eux-mêmes. « Ces différences de sollicitations de la part de l’enseignant impactent probablement l’image de soi qu’ont les élèves », ajoute le chercheur. En retour, les enseignants aussi associent une plus forte participation d’un élève à un plus fort mérite, contribuant sans le savoir à un cycle vertueux pour les uns, vicieux pour les autres.
Le pouvoir réel mais limité des enseignants sur les inégalités sociales
Pour éviter une prophétie autoréalisatrice selon laquelle les élèves qui parlent moins feraient moins d’efforts et seraient donc moins méritants, les solutions sont encore à l’étude, mais la première étape est la prise de conscience et la formation à ces risques. « Les enseignants que nous débriefons dans nos études sont toujours très surpris, ils n’ont pas conscience d’interroger plus certains élèves que d’autres et sont très majoritairement attachés aux valeurs d’égalité des chances et conscients des disparités sociales », rapporte Sébastien Goudeau.
Dans des travaux encore non publiés réalisés avec les chercheurs Antoine Mery et Frederique Autin, plusieurs interventions ont été testées. Autoriser les élèves à répéter une information dite par un autre, noter quels élèves ont été interrogés et faire des tours de parole ont eu des effets très positifs, mais pas ceux attendus ! « On a vu une progression de tous les élèves dans leurs capacités langagières mais pas de réduction des inégalités. Ils ont tous progressé significativement », s’étonne Sébastien Goudeau. Reste à savoir si cela influera sur l’image que les élèves ont d’eux-mêmes.
« Chez les plus grands, au collège, au lycée ou à l’université, expliquer aux élèves que l’intelligence n’est pas figée et biologique mais évolue avec le temps, l’effort et la persévérance amène les élèves à progresser et réduit les inégalités », révèle le chercheur. Loin d’être figé, ce tableau scolaire généré par les inégalités sociales est au contraire malléable, d’autant plus dans les premières années de scolarité. Et si les enseignants disposent de quelques leviers pour aider à rectifier ces inégalités, il n’est pas en leur pouvoir de les gommer tant qu’elles seront aussi marquées dans la société, rappelle Sébastien Goudeau, soucieux d’éviter aux enseignants une culpabilisation décourageante et finalement contre-productive.
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