Par Malick Diawara
Africa-Press – Guinee Bissau. DÉCRYPTAGE. Secrétaire exécutif par intérim de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, Antonio Pedro se livre sur la bonne trajectoire que doit emprunter le continent.
C’est peu de dire que l’Afrique est à la croisée des chemins. Continent présenté comme d’avenir, l’Afrique a des défis colossaux à relever autant sur les plans politique et social qu’économique, industriel, financier et écologique. Avec une démographie en forte croissance, elle doit trouver des solutions pour donner du travail à son importante jeunesse. Pour cela, nulle autre voie que la création de chaines de valeur sur place pour enfin profiter de ses gigantesques ressources agricoles et minières. La question de son industrialisation dans un système mondial équitable face aux exigences du changement climatique constitue donc un défi majeur qui ne peut être relevé que par une diversification économique sur fond de forte intégration savamment étudiée. Pour mieux décrypter cette équation, Antonio Pedro, secrétaire exécutif par intérim de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, s’est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : Au regard de ce que vous savez des défis que l’Afrique doit affronter, comment un Sommet comme celui sur le nouveau partenariat financier mondial pourrait-il faire évoluer ou changer la donne pour les pays africains ?
Antonio Pedro : Comme vous le savez, avant le Covid, l’Afrique était dans un parcours de croissance. Le taux était de plus ou moins 4 % mais le Covid a démontré la faiblesse de notre tissu économique. La majeure partie de nos pays ont des économies basées sur l’exportation de matières premières. Avec le ralentissement fort du commerce mondial, l’Afrique n’a pas pu exporter ses ressources. Cela a créé des problèmes au niveau de la stabilité macro-économique. Les pays n’ont pas pu répondre à la pandémie. Leurs systèmes économiques ont été fragilisés, leur dette a augmenté et cela a créé un cycle très dangereux pour l’Afrique.
À la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), nous nous sommes mobilisés de manière régulière tous les vendredis dans des réunions avec tous les ministres des Finances, d’Économie et de Planification pour discuter de la réponse à donner. C’est à cette occasion que nous avons créé les plateformes pour acheter les vaccins pour l’Afrique. Et on s’est bien rendu compte que le système financier international n’était pas en mesure de répondre aux besoins de l’Afrique et qu’il était nécessaire de procéder à une réforme structurelle profonde.
En fait, les questions cruciales qui sont posées sont les suivantes : comment recalibrer ce système créé pour répondre aux défis de la dévastation de la Seconde Guerre mondiale et aux besoins du plan Marshall en un système capable de répondre aux besoins du XXIe siècle, aux besoins des pays comme les nôtres qui sont les moins développés ? Comment recanaliser vers les pays qui en ont plus besoin les droits de tirage spéciaux ? Comment simplifier les règles concernant la restructuration de la dette ?
Les réponses à ces questions sont d’autant plus importantes qu’il convient de sortir d’un cadre compliqué et bureaucratique qui éprouve fortement les populations et les États. Savez-vous, par exemple, que pour la Zambie, les négociations ont duré 27 mois avant qu’un accord puisse être signé. Pensez que pendant cette période, la vie continue avec son lot de contraintes pour s’alimenter et acheter le nécessaire. Il convient donc d’augmenter les liquidités sur le continent car la pandémie et la crise en Ukraine ont coûté très cher à l’Afrique du point de vue budgétaire car, en plus de la baisse des recettes, l’argent est devenu plus cher sur les marchés.
Nul doute que pour éviter de nous retrouver dans la situation que nous connaissons, il faut, si dette il y a, qu’elle finance la transformation structurelle des économies africaines en limitant notre dépendance des matières premières.
L’un des problèmes majeurs de l’Afrique, ce sont les moyens de financement donc les capitaux. Qu’est-ce qui peut être mis en place pour développer les marchés de capitaux en Afrique ?
Le financement est certes un des grands problèmes que nous avons mais ce n’est pas le seul problème. Il y a celui de la mise en œuvre. Plusieurs plans ont été mis en place qui montrent que le problème se situe moins au niveau de la vision que de la mise en œuvre. Le plan de Lagos est là pour l’attester mais aussi les initiatives prises par la Cedeao, l’Union africaine avec la Zlecaf, etc.
Il faut accompagner cette vision avec des outils qui permettent qu’elle soit concrétisée au niveau politique, légal et réglementaire. La radiographie de nos problèmes ne suffit pas, il faut mettre en place le nécessaire pour que le changement soit réel sur le terrain à travers un nouvel écosystème.
Sinon, nous avons besoin d’identifier avec précision les projets structurants, les domaines dans lesquels nous devons nous spécialiser et réaliser de véritables diagnostics afin de mieux soutenir les principaux objectifs de la Zlecaf dont la facilitation de l’émergence de la chaîne de valeur régionale n’est pas la moindre.
Dans ce dessein, il faut travailler à organiser une meilleure complémentarité entre les économies. Cela va permettre d’augmenter le taux de commerce intra-africain à seulement 20 % aujourd’hui contre 70 % pour l’Europe et l’Asie. Il nous faut prendre les mesures adéquates qui vont participer à la mise en place d’un écosystème vertueux pour nos économies.
Que faudrait-il intégrer à sa gouvernance des ressources pour que l’Afrique crée plus de valeur et sécrète un développement plus inclusif ?
Il faut mettre la politique industrielle au centre du développement et comprendre que la mise en œuvre de la politique industrielle concerne tous les départements ministériels. L’explication réside dans le fait que nous avons besoin d’augmenter la compétitivité de nos économies. Cela ne peut pas se faire sans une bonne formation fruit d’un système d’éducation aligné avec les besoins de marché.
Cela est d’autant plus vrai que nous avons constaté à travers une étude que si la RDC et le Cameroun n’échangent pas au niveau auquel ils devraient le faire, c’est que les infrastructures ne le permettent pas. Résultat : ces pays commercent plus avec la Chine et les États-Unis qu’entre eux. Cela est vrai aussi pour le Nigeria par rapport à ses pays voisins.
En même temps, les secteurs privés africains doivent jouer leur rôle et s’emparer industriellement de secteurs porteurs du fait que la demande est là ainsi que les matières premières pour fabriquer les produits demandés par ces marchés. Déjà en 2007, à l’issue de réunions que nous avions organisées avec des pays membres de l’OCDE, on était arrivé à la conclusion que l’Afrique devrait avoir plusieurs compagnies minières.
Le cas du ciment nous montre qu’il est possible de créer des sociétés avec une chaîne locale, le ciment se fabriquant avec des matières minérales. Il en est de même dans le domaine de la production d’engrais. Illustration : aujourd’hui nous travaillons à la création au Congo Brazzaville d’une production d’engrais à partir de nitrate, de gaz naturel, de potasse, autant de matières premières dont le pays dispose.
Ce cas est intéressant car la création de compagnies africaines favorise la création d’emplois et de valeur ajoutée sur le plan local. C’est de ce genre d’approche dont l’Afrique a besoin. Le continent en a conscience puisqu’en 2009, il a adopté un plan qui décrit exactement comment aller vers une industrialisation à partir de ses propres ressources naturelles. Directeur du bureau du CEA en Afrique centrale de 2016 à 2022, je peux témoigner de la prise de conscience de la nécessité de se diversifier économiquement.
Quand, en 2014, les prix des matières premières ont chuté et que le FMI est arrivé avec son plan pour rétablir les grands équilibres, nous avons dit oui mais on a poussé à l’adoption de ce qu’on appelle le processus de Douala à partir duquel, travaillant avec les pays de la région, nous avons progressivement contribué à mettre en place le projet de zone économique spéciale de Pointe-Noire pour la production d’engrais et celle pour le Cameroun dans le domaine du bois et imiter ainsi l’expérience du Gabon.
Cela amène à parler de la Zlecaf. Grâce à cette prise de conscience, nous avons travaillé avec les pays pour qu’ils développent leurs stratégies nationales. Une trentaine a ainsi pu être mise en place pour permettre une meilleure diversification économique tout en protégeant des matières premières nécessaires pour une industrialisation locale.
Entre la croissance économique et le respect des contraintes imposées par le changement climatique, l’Afrique doit se frayer un chemin de développement durable . Que vous a appris votre expérience en la matière sur la réflexion et les actions que l’Afrique pourrait inclure dans ses initiatives pour arriver à des résultats probants ?
L’Afrique a besoin d’investir aujourd’hui pour anticiper les challenges qui vont se présenter à elle demain.
Observons l’Europe. Elle a adopté un green deal pour mettre en place un processus de décarbonation progressive de son système de production. La première étape en a été l’introduction d’un passeport vert. Cela signifie concrètement qu’un produit qui ne l’a pas ne peut pas accéder au marché. Ce sera une barrière importante. En même temps, en face, sur le continent, il y a près de 600 millions d’Africains qui n’ont pas accès à l’électricité. Inutile de dire que pour satisfaire leurs besoins, ce ne sera pas simple de ne se contenter que de sources d’énergie renouvelable.
L’une des solutions qui paraît pouvoir être à mi-distance des nombreuses exigences liées aux mesures à prendre pour lutter contre le changement climatique, c’est celle du gaz naturel sur un continent où il n’y a pas assez de barrages hydro-électriques.
Cela dit, le développement du marché du carbone en Afrique pourra être une manière de nous permettre de continuer à utiliser le gaz naturel pour la production d’énergie puisque cela nous permettra de détenir du crédit carbone que l’on pourra monnayer sur le marché.
Il y a aussi que la prise en compte des services écologiques associés par exemple au Bassin du Congo qui constitue un véritable poumon est aussi une autre manière de détenir du crédit carbone. Si la tonne de carbone est estimée par exemple à 120 dollars, cela peut représenter une manne de plus ou moins 82 milliards de dollars par an. Une somme importante qui permettrait de pouvoir financer les infrastructures pour les énergies renouvelables et participer ainsi à la décarbonation progressive du système.
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