Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Guinee Bissau. Prévues d’être organisée le 24 novembre 2024, les élections législatives en Guinée-Bissau ont été reportées à une date indéterminée par le président Umaro Sissoco Embalo.
Rapportée par les médias locaux, qui ont cité le porte-parole de la présidence Fernando Delfim da Silva, l’information indiquait que dans le communiqué on pouvait lire ceci: « Selon la conclusion du gouvernement, les conditions nécessaires à la tenue des élections à la date initialement prévue n’ont pas été réunies ».
Le décret présidentiel entre en vigueur immédiatement et une nouvelle date sera fixée pour des élections législatives anticipées dans un avenir proche.
Le ministre de l’Administration territoriale, Aristides Ocante da Silva, a déclaré quant à lui que les autorités ne disposaient pas de suffisamment de temps et de fonds budgétaires pour résoudre toutes les difficultés logistiques et financières, rencontrées dans le processus de préparation et de tenue desdites élections.
A noter que des élections législatives anticipées devaient déjà avoir lieu en juillet 2024 après qu’Umaro Sissoco Embalo ait dissous le Parlement à la suite d’une tentative de coup d’État militaire. Deux personnes furent tuées dans les affrontements, sachant qu’au lendemain des émeutes, Embalo a déclaré que la rébellion a été noyée dans son cocon et a annoncé la création d’une commission d’enquête.
Dans le même contexte, les élections présidentielles du pays sont prévues pour 2025 et Embalo (51 ans), qui a été élu en janvier 2020 pour succéder au président sortant de l’époque, José Mário Vaz, âgé de 66 ans (président du 23 juin 2014 au 27 février 2020), n’envisage pas de briguer un second mandat, comme il l’a annoncé le 12 septembre 2024.
• Retour sur les raisons de la dissolution du Parlement et de l’accusation de complicité dans la tentative de coup d’État en 2023
Le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, avait publié un décret présidentiel, le 4 décembre 2023, par le biais duquel il a dissous le Parlement, dont la majorité des sièges est contrôlée par l’opposition, trois jours après les événements survenus dans la capitale Bissau, qu’il a qualifiés de « tentative de coup d’État ».
Le décret signé par le président Bissau-guinéen précisait que la date des prochaines élections législatives sera déterminée en temps opportun conformément aux dispositions de la Constitution, la décision de dissoudre le Parlement étant justifiée par un processus de collusion entre le la Garde nationale et certains intérêts politiques au sein de l’appareil d’État, faisant référence à cette institution législative.
Embalo a expliqué qu’« après cette tentative de coup d’État menée par la Garde nationale et face à de fortes preuves de collusion politique, le fonctionnement normal des institutions de la république est devenu impossible », soulignant entre-autres l’existence d’une « crise politique majeure ».
Le président avait annoncé à cette époque que les événements survenus, notamment des coups de feu entre l’armée et des membres de la Garde nationale à proximité d’une caserne militaire, quelques heures après l’arrestation du ministre de l’Économie et des Finances, Souleiman Seidi, et du secrétaire d’Etat au Trésor public, Antonio Monteiro (accusés tous deux d’avoir sorti plus de neuf millions d’euros des caisses de l’État, en dehors de toute procédure), constituait une « tentative de coup d’État ».
Pour rappel, c’était dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2023, qu’après leur interpellation, des éléments de la Garde nationale avaient tenté de les libérer par la force.
Les affrontements avec l’armée et les Forces spéciales avaient fait deux morts, avant que les auteurs de l’évasion ne baissent les armes, et le président Umaro Sissoco Embalo avait présenté ces événements comme étant une vraie « tentative de coup d’État ».
• On se demande si les élections en Guinée-Bissau ne sont-elles pas organisées par des institutions manquant de légitimité
Beaucoup craignent que certains partis ne s’opposent au président Embalo (après la fin de son mandat en février 2025) en raison de la paralysie qui a frappé la « Cour suprême », l’organe judiciaire chargé de recevoir et d’approuver les candidatures, de vérifier et d’annoncer les résultats définitifs des élections.
Nous savons tous que l’existence d’un niveau minimum de consensus sur les institutions électorales épargnerait au pays une aggravation de l’instabilité politique, d’où la controverse sur l’élection des nouveaux membres de l’Assemblée nationale populaire de Guinée-Bissau.
Or ces élections, dont on attend habituellement qu’elles contribuent à l’établissement de la démocratie et de la stabilité politique dans le pays, sont organisées par des institutions qui ont perdu leur légitimité. Outre l’escalade des tensions politiques de ces dernières années, ces élections menacent d’accroître la fragilité institutionnelle en Guinée-Bissau, car ces élections sont organisées dans la foulée de la décision controversée du président de la République, Umaru Sissoko Embalo, de dissoudre l’Assemblée nationale populaire en décembre 2023.
A noter que la coalition PAI-Terra Ranka, dirigée par le Parti national africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, a dominé le Parlement après avoir remporté la majorité absolue de 54 des 102 sièges du Parti national africain lors des élections législatives qui se sont déroulées en juin 2023..
Il semble que la décision de solution finale – qui est la deuxième de ce type depuis l’arrivée au pouvoir d’Embalo – soit motivée par la volonté de mettre fin à une situation politique qui limite la marge de manœuvre dont dispose le président dans l’exercice du pouvoir, similaire à ce qui s’est passé en mai 2022.
• Le doute qui plane au-dessus de la scène politique, en particulier électorale
Les affrontements entre membres de la Garde nationale et des forces spéciales de la Garde présidentielle, que le Président de la République avait qualifiés de tentative de coup d’État, auraient servi de prétexte pour dissoudre l’Assemblée nationale, alors que la solution précédente reposait sur le refus de lever l’immunité parlementaire de certains députés, dont le chef du Parti Général Populaire, Domingos Simões Pereira (l’actuel président de l’Assemblée et ancien Premier ministre de juillet 2014 à août 2015). Dans la période précédant le vote, des carences institutionnelles et des tensions politiques menacent le bon déroulement du processus électoral.
-/- La première lacune: concerne le caractère illégitime de la Commission électorale nationale, chargée d’organiser et de superviser le processus électoral.
Son président et les membres de son secrétariat exécutif, dont le mandat a pris fin en avril 2022, n’ont pas encore vu leur mandat renouvelé.
Cette situation institutionnelle anormale existe toujours en raison de l’absence de volonté politique soutenue par la volonté manifeste du pouvoir de contrôler l’institution, et en raison de l’incapacité du Conseil national électoral, paralysé par les dissolutions successives, à élire le président et les membres du Secrétariat Exécutif du Conseil National Electoral.
Selon des sources politiques, en l’absence d’un Conseil national efficace, la solution pourrait venir de son Comité permanent, qui est le seul organe efficace du Parlement capable d’élire les membres du Conseil national de transition. Cependant, cette commission a été empêchée de se réunir par le gouvernement, qui a également décidé de remplacer l’actuel président de l’Assemblée populaire nationale (ANP), Domingos Simões Pereira, par la vice-présidente, Adja Sato Camara, également alliée du président de la République.
-/- La deuxième lacune majeure: concerne la paralysie qui a frappé la Cour suprême, conséquence de la lutte des acteurs politiques pour la contrôler, dans le but d’organiser les prochaines élections.
La Cour suprême de Guinée-Bissau est l’organe judiciaire chargé de recevoir et d’approuver les candidatures, de vérifier et d’annoncer les résultats définitifs des élections. Il est également chargé de résoudre les conflits électoraux. Or, depuis la démission forcée de son ancien président, José Pedro Sambu, en novembre 2023, la Cour suprême souffre de dysfonctionnements, qui l’empêchent de remplir pleinement son rôle.
C’est ainsi que sur les 12 juges de la Cour suprême appelés à entendre des affaires électorales, 6 font l’objet d’une procédure disciplinaire initiée par l’ancien vice-président, le juge Lima António André, qui exerce actuellement les fonctions de président par intérim. Ces juges suspendus ne peuvent pas participer aux séances. Ainsi, le tribunal ne disposant pas du quorum requis de 7 juges pour se réunir et délibérer, il ne pourra ni recevoir ni approuver les candidatures, encore moins annoncer les résultats des élections.
Afin de surmonter cet obstacle, le Président par intérim de la Cour suprême a créé un comité technique ad hoc pour superviser le processus de validation des candidatures. Ce comité ne sera efficace que s’il bénéficie du soutien des acteurs politiques concernés.
• Entrée en jeu attendue de la CEDEAO
A l’approche de la date des élections, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), garante du processus de stabilisation du pays, doit intervenir pour créer les conditions nécessaires à la tenue d’élections apaisées et crédibles. A cette fin, la possibilité de combiner élections législatives et présidentielles pourrait être envisagée à une date ultérieure convenue par toutes les parties prenantes.
Le report des élections législatives permettrait dans un premier temps de corriger les déséquilibres au sein de la Cour suprême et de la Commission électorale nationale, en faisant de l’élection de leurs membres un préalable. Cette option garantirait – sans aucun doute – le bon fonctionnement de ces deux institutions, et renforcerait leur légitimité, ainsi que la légitimité des décisions qu’elles prennent. Cela donnerait également aux acteurs politiques l’opportunité de parvenir à un consensus sur la date des prochaines élections présidentielles.
Sachant que cela évitera surtout que la légitimité du président de la République soit remise en cause après la fin de son mandat prévu en février 2025, situation qui pourrait accroître la fragilité des institutions du pays.
• Les motivations du Président Embalo quant à la visite rendue en Israël
A Tel Aviv en mars 2024
Au moment où la communauté internationale condamne les massacres commis par l’armée israélienne contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza, le Président de la République de Guinée Bissau, Umaro Sissoco Embalo, s’est rendu en Israël du 3 au 4 mars 2024.
C’est la première visite de ce type d’un président africain à Tel-Aviv depuis le début de l’agression israélienne sur la bande de Gaza.
La visite à Tel Aviv semblait être d’une grande importance pour le président bissau-guinéen, surtout à la lumière de ses préparatifs pour se présenter aux prochaines élections présidentielles. Les principales motivations de cette visite sont peut-être les suivantes:
1. Cherchant à nouer de solides amitiés avec un certain nombre de dirigeants mondiaux et à obtenir un soutien extérieur lors de la course à l’élection présidentielle prévue à la fin de cette année ou au début de l’année prochaine, compte tenu de son incapacité à parvenir à un accord avec l’opposition concernant la fixation de la date des élections, et Sissoko cherche alors à gagner les faveurs du gouvernement israélien pour le soutenir lors des prochaines élections, en lui apportant un soutien financier pour financer sa campagne électorale.
2. Les efforts de Sissoko pour améliorer son image internationale et obtenir un plus grand soutien international, en se présentant comme un envoyé de paix à la lumière de la poursuite de la guerre à Gaza, et ses tentatives pour rapprocher les points de vue entre les parties israélienne et palestinienne, en particulier à la lumière des l’impact négatif de la guerre sur les relations israéliennes avec la plupart des pays du continent, et le rejet africain continu des pratiques israéliennes dans la bande de Gaza, en plus de l’appel du président de la Commission de l’Union africaine, Mohamed Moussa Faki, président de la Commission de l’Union africaine. Conseil européen, sur la nécessité de former un front international global pour arrêter la guerre. De ce point de vue, le président Sissoko cherche à se présenter comme un messager de la paix.
3. Obtention de quelques acquis économiques: Cette visite intervient à un moment où la Guinée-Bissau souffre de conditions économiques, politiques et sécuritaires difficiles, notamment après que le pays a été soumis à une tentative de coup d’État manquée en décembre 2023, lorsque des affrontements sanglants ont eu lieu entre l’armée et des membres de la Garde nationale. Dans le cadre de la participation du président Sissoko aux activités de la Conférence sur le changement climatique (COP-28) aux Émirats arabes unis, cette visite représente une opportunité d’obtenir le soutien israélien pour surmonter ces crises.
Cette visite fait suite à la condamnation par l’Union africaine de l’agression israélienne contre Gaza, dans le communiqué publié lors du 37e Sommet africain, qui s’est tenu au cours de cette période (17-18 février 2024) dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba. Il a décrit l’agression contre Gaza comme une guerre brutale contre plus de 2,2 millions de Palestiniens. Il a également appelé à un cessez-le-feu immédiat et à des efforts pour prévenir le génocide contre le peuple palestinien.
Bien que certains rapports décrivent cette visite comme une tentative africaine de médiation pour trouver une solution à la crise, d’autant plus que le président de Guinée-Bissau a rencontré le président israélien Isaac Herzog, avant de se rendre à la ville de Ramallah en Cisjordanie pour rencontrer le président palestinien Mahmoud Abbas.
En attendant, nous reviendrons de nouveau sur ce dossier à l’issue du déroulement des élections en Guinée-Bissau.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinee Bissau, suivez Africa-Press