Umaro Sissoco Embaló : « Je suis cash et je ne changerai pas »

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Umaro Sissoco Embaló : « Je suis cash et je ne changerai pas »
Umaro Sissoco Embaló : « Je suis cash et je ne changerai pas »

Africa-PressGuinee Bissau. Nicolas Sarkozy est son ami, les troisièmes mandats sont à proscrire, le Covid-Organics fonctionne… Entretien avec le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embaló, un président hors norme et adepte du parler cru.

« Kim Jong Un ». Ainsi ses aînés chefs d’État de la Cedeao ont-ils surnommé le benjamin et « rookie » du club, Umaro Sissoco Embaló, président de la Guinée-Bissau depuis un peu moins de sept mois. À cause de son visage poupin peut-être, mais surtout précise le concerné qui s’en amuse, « parce que je remets de l’ordre et que je répète à mes compatriotes qu’il n’y a désormais qu’un seul chef : moi ».

Né d’une mère malinké et d’un père peul, au sein d’une famille dont les membres vivent entre la Guinée-Bissau, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry, ce chef d’État atypique a une obsession : démontrer que son petit pays de deux millions d’habitants, ancienne colonie portugaise au passé chaotique et à la réputation longtemps sulfureuse, est désormais devenu respectable.

Si, à la différence de son homologue nord-coréen, Umaro Sissoco Embaló ne dispose pas de la bombe atomique pour qu’on l’écoute et le prenne au sérieux, il use dans ce but d’une arme efficace à sa portée : le « parler cash ». Quitte, parfois, à froisser ses pairs de la région dont certains le prennent encore pour un ovni.

À 48 ans, ce personnage disert et décontracté a derrière lui une vie étonnamment remplie dont il est parfois difficile de tirer les fils, tant les séquences se chevauchent. Il fût tour à tour – et souvent en même temps – étudiant à Lisbonne et à Madrid, général de brigade à Bissau, VRP du fonds souverain libyen Laico à l’époque de Kadhafi, Premier ministre de son prédécesseur José Mário Vaz, proche de Blaise Compaoré, de Denis Sassou Nguesso, de Muhammadu Buhari et de Macky Sall, adversaire rancunier d’Alpha Condé à qui il reproche d’avoir soutenu son rival électoral de 2019, Domingos Simões Pereira…

Comment celui qui, un éternel keffieh vissé sur le crâne, se faisait appeler le « général do povo » pour galvaniser les militants de Cacheu à Bafatá et de Farim à Bissau, a-t-il évolué depuis son accession au pouvoir – à laquelle peu de gens croyaient si ce n’est lui-même ? JA l’a rencontré mi-septembre à Paris, où il séjournait pour des contrôles médicaux post-Covid-19.

Jeune Afrique : Comme avez-vous géré la pandémie de coronavirus ?

Umaro Sissoco Embaló :

Lorsque le premier cas a été détecté, la population ne croyait pas au virus et nous avons dû prendre des mesures très dures. Nous avons déployé l’armée pour faire respecter le confinement et, aujourd’hui encore, nous obligeons la population à porter le masque – c’est devenu une habitude, même au village, où ceux qui n’en ont pas se couvrent la bouche avec un pagne.

J’ai également créé un Haut commissariat de lutte contre le Covid-19 et fait venir des médecins et des infirmiers cubains qui ont formé nos personnels de santé sur tout le territoire. Aujourd’hui, la situation est maîtrisée.

Vous avez vous-même contracté le virus ?

J’ai été contaminé au Nigeria par Abba Kyari, l’ancien directeur de cabinet du président Buhari [il a succombé le 17 avril]. J’ai été atteint par une souche très virulente, ça a été très dur. Mes poumons ont été affectés et ça a failli me tuer. J’ai d’abord été soigné à Bissau par des médecins bissau-guinéens, avec de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine, puis je suis venu terminer mes soins en France, mais je n’étais plus positif à ce moment-là.

La Guinée-Bissau a été l’un des hubs choisis par Madagascar pour distribuer le Covid-Organics vanté par le président Andry Rajoelina. Avez-vous constaté une efficacité ?

Le Covid-Organics a fonctionné. Les médecins qui m’ont soigné l’ont également utilisé avec succès pour guérir des membres de la garde présidentielle.

Le 20 août, lors d’une réunion avec des chefs d’État de la Cedeao, vous avez assimilé les troisièmes mandats à des coups d’État. Pourquoi ?

Parce qu’aucun président ne doit se penser irremplaçable, même si cela me fait de la peine de voir [le président nigérien] Mahamadou Issoufou bientôt quitter le pouvoir. J’ai beaucoup d’estime pour lui. C’est un homme qui me sert d’exemple, surtout depuis qu’il a eu cette phrase pour justifier son renoncement à se représenter : « Nous sommes 22 millions de Nigériens, pourquoi aurais-je l’arrogance de croire que nul ne peut me remplacer ? » Umaro Sissoco Embaló, à Paris, le 16 septembre 2020. © Vincent Fournier pour JA

En disant cela, vous saviez très bien qu’Alpha Condé et Alassane Ouattara allaient le prendre comme une attaque personnelle…

Non, je ne le crois pas. Et ce n’était pas le but. Ce sont mes homologues et j’ai beaucoup de respect pour eux. Mais je pense que nous devons respecter la Constitution. Et aussi qu’au-delà d’un certain âge, par exemple 80 ans, il est compliqué d’exercer le pouvoir.

L’Afrique ne devrait plus avoir affaire à des Mugabe. En France, le président est jeune, c’est aussi le cas des Premiers ministres espagnols, italiens ou autrichiens… Alors pourquoi pas en Afrique ?

Vous engagez-vous à ne pas faire de troisième mandat ?

Notre Constitution en autorise deux. Je n’en ferai pas de troisième, je ne suis pas dans cette dynamique. D’ici peu, j’aurai 48 ans, et si Dieu le veut, je quitterai le pouvoir à 57 ans.

Lors de cette réunion de la Cedeao, Alassane Ouattara vous a interpellé en vous appelant « fiston ». L’avez-vous mal pris ?

Non. Je lui ai répondu qu’il n’y a pas de petit État, mais je ne l’ai pas mal pris. Ouattara, Issoufou… ils m’appellent tous ‘fiston’. Cela ne me gêne pas, c’est une tradition africaine.

Votre franc-parler est-il une façon pour vous de faire exister votre pays ?

C’est ma nature. Chaque président a sa manière de fonctionner. Je ne changerai aucune virgule de mon style direct et cash.

Vos relations avec Alpha Condé se sont-elles améliorées ?

Aujourd’hui, nous nous parlons, nous sommes des homologues. Nous ne serons jamais des amis, car il est allé trop loin, mais il y aura du respect et nous serons de bons voisins. Alpha Condé, président de la République de Guinée, lors d’une interview accordée à Jeune Afrique le 20 octobre 2016, à Conakry. © Vincent Fournier/JA

S’il est réélu le 18 octobre, vous devrez pourtant faire avec…

Je ne sais pas s’il sera réélu. Ce n’est pas parce qu’un président gère le pouvoir qu’il sera reconduit. C’est Dieu qui décide. Je crois au destin, je suis un homme croyant. Les élections ne sont pas toujours linéaires. En Guinée, je pense qu’elles seront très disputées.

Soutenez-vous Cellou Dalein Diallo ?

Je le soutiens, les choses sont claires.

L’aidez-vous ?

Pourquoi pas ? Cellou, c’est mon frère, mon candidat préféré pour la Guinée. Si j’étais Guinéen, je voterai pour lui et Alpha le sait !

Quelle est votre analyse de la situation au Mali ? Pensez-vous qu’il faille obliger les militaires à rendre le pouvoir aux civils comme le demande la Cedeao ?

Oui. L’ère des putschs est révolue. Rien ne peut justifier un coup d’État. Et, si cela arrive, il faut montrer aux militaires que nous refusons de les légitimer, sans quoi ce qui se passe au Mali se produira dans d’autres pays. Nous ne pouvons pas revenir aux années 1980.

Comment sont vos relations avec la France ?

Très bonnes.

Y-a-t-il une rencontre prévue avec Emmanuel Macron ?

Pas pour l’instant. Nous sommes un pays lusophone, je serai le 8 octobre au Portugal dans le cadre d’une visite d’État : le président portugais m’a invité, nous nous connaissons de longue date, nous sommes de très bons amis.

Pensez-vous que vos relations avec Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à l’Élysée, posent problème ?

Je l’ignore, mais je n’appartiens à personne et personne ne choisit mes amis.

En France, vous êtes ami avec Nicolas Sarkozy…

Oui, à chaque fois que je suis là, il passe me dire bonjour. Nous faisons le tour du monde en trente minutes.

Vos relations ont-elles pris une nouvelle tournure depuis que vous êtes président et qu’il est membre du conseil d’administration du groupe hôtelier Accor ?

Nous ne parlons pas affaires.

En Guinée-Bissau, vous avez ouvert la voie à une réforme de la Constitution. Certains s’inquiètent de votre volonté de renforcer le chef de l’État et d’affaiblir les contre-pouvoirs. Que leur répondez-vous ?

Je ne cherche pas à renforcer les pouvoirs du président. Je ne souhaite pas non plus être empereur et je ne suis pas royaliste. Je suis un républicain et je ne cherche qu’à renforcer les institutions. Mon but, c’est d’en finir avec la pagaille provoquée par de mauvaises interprétations de la Constitution, de clarifier les ambiguïtés qu’il peut y avoir entre les différentes institutions et de délimiter les pouvoirs de chacun.

Mais s’agit-il de passer à un régime présidentiel ?

Nous restons dans un régime semi-présidentiel. Le gouvernement est responsable politiquement devant le président et devant l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, le Premier ministre est issu de la majorité parlementaire, et nous allons continuer ainsi. Umaro Sissoco Embaló, à Paris, le 16 septembre 2020. © Vincent Fournier pour JA

Quand ce projet sera-t-il présenté aux députés ?

Une commission technique m’a remis l’avant-projet et je fais quelques corrections. Je l’enverrai ensuite à tous les partis représentés au Parlement, à la Cour suprême, à l’Assemblée nationale et à la société civile. Et j’en ai déjà donné une copie à la Cedeao, qui va l’examiner.

Le PAIGC [Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, opposition] dénonce des intimidations et des arrestations arbitraires, comme celle de Bacai Sanhá, le fils de l’ancien président. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’instaurer un climat de peur ?

Concernant Bacai Sanhá, c’est un mensonge. J’ai été le ministre de son père, Malam Bacai, et il est mon jeune frère. Le problème, c’est que pour rentrer à Bissau depuis le Sénégal, il n’a pas pris les chemins habituels, mais ceux de brousse, utilisés par les contrebandiers. Quand les gendarmes l’ont vu, ils l’ont arrêté.

Pourquoi a-t-il fait cela ? C’est à lui d’y répondre. Mais quand j’ai appris qu’il avait été arrêté, j’ai demandé à ce qu’il soit relâché. Bacai Sanhá m’a dit ensuite que c’est le PAIGC qui avait voulu donner de l’importance à cette affaire.

Et concernant l’ancien Premier ministre, Aristides Gomes, qui serait « persécuté » ?

Il paraît qu’il se trouve à la représentation des Nations unies. Ce n’est pas la première fois qu’il part s’y réfugier. Il va falloir qu’on lui trouve un poste de représentant de l’ONU dans un pays, puisqu’il aime tellement y passer du temps. Mais qui le poursuit ? Personne. Ce n’est pas ma manière de faire.

Vous avez dit que vous veniez vous faire soigner en France car le système de santé n’était pas assez développé à Bissau. Comprenez-vous que cette déclaration ait choqué ?

Je viens me faire soigner en France depuis vingt ans. Je ne vais pas mourir sous prétexte que j’ai prêté serment le 27 février, qu’il y a ensuite eu la pandémie et que je n’ai pas encore eu le temps de développer les infrastructures ! Que je sois président ou pas, j’ai le droit d’aller me soigner où je veux.

Vous vous étiez engagé à prendre des mesures concrètes dans ce domaine, qu’en est-il ?

C’est en cours. La semaine dernière, j’ai reçu le ministre turc des Affaires étrangères et des représentants de la compagnie Summa qui va commencer, dès le mois prochain, la construction d’un hôpital de référence pour la Guinée-Bissau. Ils vont aussi s’occuper de l’aéroport. Et d’ici décembre, j’entamerai la construction de routes et d’écoles. Ma génération doit être une génération de bâtisseurs.

Où en est la réforme de l’armée ?

Nous l’avons entamée. Trente généraux ont déjà été mis à la retraite. Avec l’arrivée du « général du peuple », comme on me surnomme, ils ont compris que l’heure avait sonné.

Quels sont vos rapports avec le général Antonio Indjai, meneur du putsch de 2012 et à l’encontre duquel un mandat d’arrêt a été émis il y a plusieurs années par la justice américaine ?

J’ai du respect pour le général Indjai. Il était dans l’armée quand j’en faisais partie. Pour le reste, les Américains peuvent bien émettre les mandats qu’ils veulent. Nous aussi, nous pouvons lancer des mandats d’arrêts contre eux !

L’ONU a récemment suggéré de maintenir les sanctions prises contre certains militaires après le coup d’État de 2012. Le comprenez-vous ?

Non, il faut les annuler et je vais le proposer [au secrétaire général de l’ONU] António Guterres. Les militaires concernés ont compris la leçon.

Le général Indjai figure sur cette liste…

Oui, mais je le connais, il n’est pas comme on le décrit. À l’époque, ils étaient nombreux à avoir préparé le putsch.

Comment sont vos relations avec votre prédécesseur, José Mário Vaz ?

Très bonnes. Je l’ai récemment vu chez lui.

Et avec votre adversaire à la présidentielle, Domingos Simões Pereira ?

Nous ne sommes ni des homologues ni des collègues. C’est un président de parti. Nous n’avons rien à discuter, mais nous avons de bons rapports.

Vous avez proposé au PAIGC d’entrer au gouvernement…

Oui. Je les laisse désormais négocier avec Braima Camará, qui est le président de la majorité parlementaire. Mais il faut trouver une solution. La Guinée-Bissau nous appartient à tous, à ses bons comme à ses mauvais fils. Il faut que nous marchions ensemble. Je veux être le président de la concorde nationale, ma génération n’est pas celle de la haine.

Qu’en est-il du trafic de drogue ?

L’effort que nous faisons pour lutter contre ce trafic est énorme. Ce n’est plus comme avant. Les trafiquants savent désormais ce qui les attendent. Pendant le Covid, nous avons relâché des prisonniers, sauf ceux condamnés pour corruption, homicide et trafic de drogue.

La Guinée-Bissau a-t-elle changé depuis votre arrivée ?

Je le pense. Les institutions fonctionnent, même s’il a fallu neuf mois à la Cour suprême pour dire que le recours de Domingos Simões Pereira était irrecevable. Neuf mois, rendez-vous compte ! C’est impardonnable.

Qu’en est-il de l’économie ?

Tout le monde a reçu la feuille de route : le 20 de chaque mois, nous payons les salaires des fonctionnaires. Tout le monde doit travailler pour son salaire.

Comment faîtes-vous ?

Notre slogan, c’est « l’argent de l’État, les caisses de l’État ». Tout va au Trésor et j’y ai un représentant pour examiner les dépenses et voir si elles en valent la peine. Tout ce qui s’y passe peut être examiné par la Banque mondiale, le FMI ou la société civile.

Nous ne pouvons pas être un pays mendiant, il faut être respecté. Aujourd’hui, la Banque mondiale veut me parler, le président de la BAD, Akinwumi Adesina, m’a appelé pour me féliciter de mon leadership. Je suis en contact avec le FMI et l’Union européenne.

Et en matière de lutte contre la corruption ?

Sur ce sujet, c’est tolérance zéro ! Je peux gracier un trafiquant, mais pas quelqu’un qui se livre à de la corruption. Il y a eu de nombreuses arrestations. En ce moment même, le directeur général de l’immigration est en prison. Les lois sont valables pour tout le monde. Je suis le premier à l’appliquer : je vis chez moi, j’utilise mes véhicules. Je n’ai pas de voiture de fonction et je monte à l’avant. Je reste égal à moi-même.

Propos recueillis par François Soudan et Claire Rainfroy

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