
Africa-Press – Guinee Bissau. Entretien avec Domingos Simões Pereira, qui a saisi la Cour suprême pour contester l’élection d’Umaro Sissoco Embaló à la présidentielle du 29 décembre, et demande un recomptage des voix. Au passage, il n’épargne pas son adversaire.
Près de deux mois après l’élection présidentielle, le palais de la Place des Héros de la Nation attend toujours son nouveau locataire. Le contentieux opposant Umaro Sissoco Embaló, déclaré vainqueur par la Commission électorale nationale (CNE) avec 53,55% des voix, à son rival Domingos Simões Pereira, dit « DSP », tarde de fait à être purgé.
Au cœur de l’impasse : un quiproquo institutionnel opposant la Cour suprême à la CNE. Cette dernière, plusieurs fois sommée par la Cour de procéder à la vérification de l’ensemble des procès-verbaux, répète s’y être conformée, maintenant les résultats proclamés le 1er janvier. Dans une lettre adressée à la Cedeao le 17 février, la CNE a indiqué qu’elle « ne pouvait plus rien faire ».
Une position que conteste Domingos Simões Pereira, patron du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), parti majoritaire à l’Assemblée nationale populaire. L’ancien Premier ministre demande un recomptage des voix pour sortir de l’impasse. Et tacle au passage son adversaire.
Jeune Afrique : Près de deux mois après le scrutin, l’impasse persiste. Comment parvenir à une solution, selon vous ?
Domingos Simões Pereira :
Les résultats doivent être clarifiés. Après le refus de la CNE d’apporter des explications sur le dépouillement des résultats, nous avons saisi la Cour suprême. Celle-ci a statué et demandé de reprendre le dépouillement.
Selon la loi bissau-guinéenne, ce processus ne peut être interrompu. C’est-à-dire que lorsque le décompte des voix débute dans les bureaux de vote, il ne peut s’arrêter qu’au moment où le procès-verbal national est établi. C’est sur la base de ce document que le président de la CNE annonce les résultats.
À partir du moment où la CNE dit qu’elle a failli dans la démarche d’établir la compilation nationale des résultats, elle doit recommencer ab initio. Ab initio, cela signifie recompter les voix. Les autorités ont dit que cela prendrait 48 heures.
Quelle est la difficulté de recompter pour annoncer à tous les Bissau-Guinéens qui est celui qu’ils ont vraiment choisi ? La CNE s’y refuse. Elle dit, tout en reconnaissant avoir fait une erreur, qu’elle a déjà tranché et qu’elle ne reviendra pas sur le nom du vainqueur prononcé le 1er janvier.
Face au blocage, la CNE s’est tournée vers la Cedeao, médiatrice historique en Guinée-Bissau. L’organisation régionale peut-elle dénouer la crise ?
Nous sommes membres de la Cedeao et nous la respectons. Si nous vivons en paix aujourd’hui, et si nous avons été capables d’aller aux élections, c’est grâce à ses efforts. Mais certains se trompent : la Cedeao n’a pas vocation à imposer des dispositifs qui ne sont pas les nôtres.
Il est surprenant que la CNE préfère s’adresser à la Cedeao plutôt qu’à la Cour suprême pour purger le contentieux. En faisant cela, elle prend position en faveur d’une solution politique, et non juridique. Nous ne sommes pas d’accord : il faut respecter les fondements constitutionnels de notre pays.
Seriez-vous prêt à discuter avec Umaro Sissoco Embaló pour trouver une issue ?
Nous nous disputons tous les deux le fauteuil de président. De quoi discuterait-on ?
Umaro Sissoco Embaló a déclaré qu’il voulait être investi le 27 février. Votre parti l’a, en retour, accusé de manquer de respect aux institutions. Ne craignez-vous pas que cette tension grandissante ne dégénère ?
Non. Les institutions bissau-guinéennes sont capables de faire respecter la loi et de maintenir l’ordre. Il s’agit d’affirmations d’un candidat qui se montre irresponsable. Cela n’engage que lui et ceux qui le soutiennent.
Ce genre de propos permet de faire la différence entre ceux qui respectent la loi et ceux qui pensent qu’il est possible de devenir président par la confrontation, en se basant sur une légitimité cherchée ailleurs qu’en Guinée-Bissau.
Vous évoquez les déplacements de votre adversaire, qui a rencontré plusieurs chefs d’État africains ces dernières semaines. Comment percevez-vous sa tournée ?
C’est au peuple que l’on s’adresse lors d’une élection présidentielle. Lorsque l’on cherche une légitimité à l’étranger, cela signifie, quelque part, que l’on n’est pas sûr d’avoir eu la préférence des électeurs.
Quel regard portez-vous sur le vaste réseau de votre adversaire, qui est notamment très proche du président nigérian Muhammadu Buhari et du chef d’État sénégalais Macky Sall ?
Je ne souhaite pas m’exprimer sur le Nigeria. Quant au Sénégal, c’est un pays de référence pour la Guinée-Bissau : en plus d’être notre voisin, c’est le pays de Léopold Sédar Senghor, d’Abdou Diouf, d’Abdoulaye Wade… Nous attendions d’un président comme Macky Sall, qui est un homme intelligent, qu’il maintienne une certaine distance. Nous déplorons son interférence.
On dit que vous avez le soutien du président guinéen Alpha Condé, mais aussi de l’Ivoirien Alassane Ouattara et de l’Angolais João Lourenço…
C’est vrai que j’ai été reçu par Alpha Condé avant le second tour. Mais je n’ai eu aucun soutien technique ou financier de sa part. Ceux qui le connaissent savent que ce n’est pas son genre !
Pour l’Angola, le PAIGC a une relation historique avec le MPLA, ce qui nous fait sentir proches des Angolais. Mais depuis un certain temps déjà, l’Angola a décidé de maintenir ses distances avec la politique bissau-guinéenne.
Vous avez dénoncé des fraudes et des irrégularités. Sur quels éléments concrets vous basez-vous ?
Je peux vous donner trois exemples. D’abord, certains procès-verbaux transmis n’ont pas les tampons requis. Plusieurs autres PV ont des tampons différents, avec parfois des signatures qui ne correspondent pas. Ensuite, sur d’autres PV, le nombre d’électeurs ayant voté est complètement différent de celui figurant sur la liste électorale.
Enfin, nous nous sommes aperçus que deux PV différents existaient parfois pour le même bureau de vote, sans que l’on sache lequel a été pris en compte. Et ce ne sont pas les seules irrégularités que nous avons constatées !
Pourtant, les observateurs nationaux et internationaux ont salué le bon déroulement de l’élection. Et la CNE indique avoir procédé à la vérification des résultats en présence de représentants de la Cedeao et de membres de votre équipe…
Moi-même, le jour du scrutin, j’ai affirmé que tout se passait normalement. Mais ce que nous contestons, c’est la façon dont le dépouillement a eu lieu.
Par ailleurs, lorsque la CNE a dit faire des vérifications en présence d’une délégation de la Cedeao, notre équipe lui a présenté la liste des irrégularités que nous avions constatées. Mais la CNE n’a pas voulu les prendre en compte.
Au-delà de votre duel électoral, quelles sont vos relations avec Umaro Sissoco Embaló ?
Vous savez, en Guinée-Bissau, nous sommes tous des parents. Avant qu’il ne devienne Premier ministre (entre novembre 2016 et janvier 2018), notre relation était normale, je disais qu’on était cousins.
Mais lorsqu’il a accepté d’être nommé chef du gouvernement par José Mario Vaz (le président sortant) malgré l’opposition du PAIGC, notre relation s’est dégradée. Notre parti avait remporté les législatives, et selon la Constitution, le poste de Premier ministre nous revenait.
Si la Cour suprême confirme l’annonce de la CNE et déclare vainqueur votre adversaire, accepteriez-vous la défaite ?
Si la loi et les procédures sont respectées, alors j’accepterai les résultats donnés. Nous sommes des démocrates. Au lendemain du scrutin, j’ai appelé mon frère pour lui dire que s’il était confirmé vainqueur, je serai le premier à m’adresser au peuple pour le féliciter. Mais il faut que les résultats soient incontestables.