Africa-Press – Guinee Bissau. A qui parler de douleurs menstruelles, de douleurs vulvaires, de rééducation périnéale, de libido, de ménopause alors que l’on vit en plein désert médical ? Ou que l’on n’ose tout simplement pas évoquer ces questions avec son médecin ? La FemTech propose de nombreux outils promettant la prise en main de sa santé sexuelle, gynécologique, de sa fertilité, de sa santé tout court avec une approche adaptée aux femmes.
Mais tout n’est pas parfait dans le monde de la FemTech ! Beaucoup de produits ou services touchant à des questions de santé sont très peu évalués scientifiquement, voire peu fiables. Difficile de faire son marché parmi ces produits qui peuvent néanmoins être une formidable source d’informations et d’émancipation. Quelques éléments de réponse pour comprendre ce qu’est ce marché du bien-être en pleine expansion.
FemTech: de quoi s’agit-il ?
FemTech est la contraction de female technology, terme construit en 2016 par une entrepreneuse danoise. On pense spontanément que le terme embrasse toutes les applications de suivi médical destinées exclusivement aux femmes. Mais l’acception est bien plus large: entreraient dans cette définition les appareils de santé numériques ou standard destinés à la santé des femmes (dispositifs médicaux portables, objets connectés), des applications mobiles et des logiciels informatiques médicaux, des plateformes d’information et d’accompagnement, des formations, des sites marchands…
Leur développement est porté par de très jeunes pousses, et souvent, à leur tête, des entrepreneuses. En France, elles seraient 140 entreprises en 2024, selon les chiffres établis par le baromètre de l’association professionnelle FemTech France, et sont dirigées à 94% par des femmes. Mais, précise le baromètre, les deux tiers de ces jeunes pousses ne comptaient aucune personne de formation médicale dans leur équipe de départ. La création de ces entreprises est initiée par une expérience de patiente insatisfaite.
L’éventail de ces solutions destinées à simplifier et à gérer un suivi de santé est large: santé gynécologique, dont le suivi des règles à des fins de contraception, rééducation périnéale, maternité et allaitement, bien-être sexuel, ménopause, santé mentale dont la dépression post-partum, cancers féminins, maladies cardio-vasculaires ou chroniques telles que l’endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques.
Des exemples de FemTech
Endométriose et douleur. EndoFrance, l’association de patientes souffrant d’endométriose recense plusieurs applications fournissant un outil de pré-diagnostic, de gestion de la qualité de vie et de la douleur, un accompagnement dans le parcours de soin, ainsi que dans la participation à des programmes de recherche.
Rééducation périnéale. L’entreprise très médiatisée Fizzimed, jeune pousse alsacienne, a mis au point une sonde connectée de rééducation périnéale, Emy, dont l’efficacité a été confortée par un essai clinique. Le produit est devenu un dispositif médical de classe 1 (classe de risque la plus faible) remboursé en Allemagne depuis 2024 sur prescription du gynécologue.
Un espace de discussion sur des questions de santé et de sexualité féminines. Ma S life est une plateforme d’échanges sécurisés avec des soignants (sages-femmes mais également entre utilisatrices). Elle se présente comme un “outil de prévention en santé intime et sexuelle des femmes” en se reposant sur l’échange d’informations entre patientes atteintes d’endométriose, par exemple. Particularité: c’est la seule appli de FemTech qui figure parmi la trentaine répertoriée dans le catalogue de ressources par Mon Espace Santé, le carnet de santé numérique.
Jusqu’ici, les géants du numérique se sont peu intéressés à la santé des femmes
L’industrie des technologies, celle qui développe des applis et des objets connectés de e-santé oublierait une section conséquente de la population: les femmes. Les entrepreneurs de la Tech et même des chercheurs marqueraient un profond désintérêt pour les problématiques de santé féminine. C’est l’argument le plus souvent mis en avant par ceux qui observent le développement de cette FemTech.
Sciences et Avenir rappelait précédemment que l’entrepreneur de la Tech reste “masculin, blanc et américain”. Il y a quelques années encore, le marché des applis de santé ne proposait pas de produits dévolus à la santé féminine. “Les entrepreneuses de la Tech obtiennent en moyenne moins de capitaux de la part des investisseurs que leurs congénères masculins, à projet équivalent”. Le biais de genre est double: la porteuse du projet comme la nature du projet seraient boudés par les investisseurs.
Des applis contre les systèmes de santé défaillants et le rejet d’une contraception classique
Ces applis occupent un espace vacant dans des déserts médicaux, face au manque de gynécologues. Elles répondent à des générations de femmes qui se préoccupent de santé et de bien-être intime, plus que n’auraient osé le faire leurs mères ou grands-mères. Les chercheuses Catherine Vidal et Jennifer Merchant, chargées d’étudier l’impact des applis de suivi du cycle menstruel pour le Comité d’éthique de l’INSERM en 2022 pointent vers plusieurs bouleversements et prises de conscience sociétales.
La médecine classique est perçue comme prenant peu en considération les aspirations féminines très intimes. Certains praticiens peuvent avoir un comportement sexiste. Dans les années 2010, des voix se sont élevées pour dénoncer les violences gynécologiques et obstétricales faites dans l’intimité des consultations et des accouchements. Autre méfiance suscitant en retour l’engouement pour les applis de suivi des règles, les récentes controverses sur la pilule contraceptive.
Contraignante, avec des effets secondaires, celle-ci a été délaissée au profit de méthodes dites “naturelles” et par méconnaissance d’autres moyens de contraceptions disponibles. Enfin, la crise sanitaire majeure qu’a été la pandémie de Covid-19 a normalisé les consultations à distance. Le recours aux applis est devenu une évidence pour beaucoup d’utilisatrices.
Des relations médecin/ patiente plus équilibrées grâce aux applis ?
Lucie Ronfaut, journaliste spécialisée dans les nouvelles technologies, souligne la démarche politique qui anime les conceptrices de ces applis, objets connectés et services en ligne dans son enquête pour la revue féministe La Déferlante. Ce ne serait pas seulement des simples produits de consommation mais une façon de redéfinir la relation patiente-médecin. De manière concrète, quand les patientes viennent consulter avec leur lot de données analysées par une appli, elles apporteraient un argument de poids à leur médecin, un moyen d’être prises au sérieux dans la description de leurs sensations et d’accélérer la pose du diagnostic
De nombreuses critiques autour des applis de suivi des règles
Les études menées par des chercheurs s’intéressent de près à la “menstrutech”, une portion conséquente de l’écosystème FemTech dévolue au suivi des règles et utilisées par plusieurs millions de femmes. La promesse est la maîtrise de leur fertilité, l’offre d’un mode de contraception et leur santé gynécologique par le biais d’une meilleure connaissance de leur cycle menstruel. Catherine Vidal et Jennifer Merchaut proposent plusieurs objections à ces applis dans leur rapport pour le Comité d’éthique de l’INSERM de 2022.
La première critique porte sur la promesse d’une contraception efficace. “Plus de la moitié de ces applications s’appuient sur des paramètres peu fiables pour prédire la période de fertilité et la date d’ovulation”, une espèce de “méthode Ogino” version numérique, ou méthode du calendrier des règles, conduisant à des erreurs de prédiction. Des critères physiologiques plus consistants (températures, , qualité de la glaire cervicale, concentration urinaire de l’hormone lutéinisante) sont ignorés lors de l’estimation des dates d’ovulation par les algorithmes, même lorsqu’ils sont demandés par l’appli. Et enfin, autre idée reçue: un cycle menstruel régulier chez une femme ne signifie pas nécessairement une ovulation à date identique.
Les données entrées par les utilisatrices sont monnayables. Elles sont anonymisées et fournies à des universités pour des études en santé féminine. Mais elles sont également partagées avec des annonceurs publicitaires. De quoi inviter sur son smartphone des offres commerciales paramétrées en fonction d’informations très intimes.
Que deviennent ces données si un Etat s’en sert par idéologie ? En 2022, la Cour suprême des Etats-Unis abroge une disposition constitutionnelle qui garantissait le droit à l’avortement. Dans les Etats où l’interruption de grossesse est à nouveau interdit, les données personnelles des applis de suivi peuvent dès lors être saisies par la justice car elles ne répondent pas au secret médical.
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