Africa-Press – Guinée. Très surpris !” Rémi Quirion, chef scientifique du Québec et président du Réseau international de conseils scientifiques gouvernementaux (INGSA) (lire encadré), avoue la surprise qu’il a éprouvée il y a quelques années, lors d’une première rencontre avec Paul Kagamé, président du Rwanda, quand ce dernier lui a affirmé “vouloir bâtir une expertise sur l’intelligence artificielle (IA), l’internet des objets (IOT) et le quantique”. Non sans ajouter que, dans un pays comme le sien, “sans ressources naturelles, la richesse, ce sont les cerveaux et leur matière grise”.
Et c’est ainsi qu’après la tenue, juste avant la pandémie de Covid, d’un premier atelier de formation au conseil scientifique, aura lieu du 30 avril au 3 mai 2024 la 5e conférence internationale du réseau, dans la capitale Kigali. Première du genre en Afrique. Intitulée “L’impératif de transformation”, INGSA 2024 doit réunir plus de 500 personnes venues du monde entier, d’Afrique évidemment (Nigeria, Afrique du Sud, Egypte, Burkina Faso, Cameroun, Zimbabwe…), mais aussi d’Australie, Canada, Mexique, Chili, Malaisie, Sri Lanka, d’Europe (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Suisse, France…), outre plusieurs responsables rwandais dont le ministre de l’Education.
Objectif: aborder les questions complexes que posent les innovations disruptives, l’intelligence artificielle, la transition écologique, les inégalités sociales, la formation… Et faire avancer le dialogue entre politiques et scientifiques pour affronter cette complexité. Interview.
“Au Rwanda, tout est numérisé, tout le monde paye avec son portable”
Sciences et Avenir: Le terme de “diplomatie scientifique” est de plus en plus employé ces derniers temps. En quoi consiste-t- elle ?
Rémi Quirion: A apprécier comment la science peut être utile pour diminuer les tensions entre sociétés et amener des experts de différents pays à travailler ensemble dans un même but. Par exemple, pour découvrir le boson de Higgs ou encore construire de très grands télescopes… Avec le Fonds de recherche du Québec, nous avons une approche diplomatique, par exemple avec la Palestine, avec qui nous avons signé un accord il y a plusieurs années.
Une dizaine de chercheurs palestiniens de toutes disciplines sont venus au Québec pendant une période de 6 mois, puis sont repartis chez eux et ont établi des ponts avec les chercheurs du Québec. Dans la période actuelle, si difficile, nous venons tout juste de signer à nouveau avec les académies palestiniennes – ça aide le moral !
Dans le même temps, nous avons des ententes avec Israël et nous demandons comment la science peut faire travailler ces deux mondes-là ensemble. Pensons aussi à la station spatiale où des Américains et des Russes ont cohabité dans ce tout petit espace pendant des mois…
Aujourd’hui, la diplomatique scientifique est plus importante que jamais, avec les guerres, le changement climatique, des crises comme la pandémie de Covid… L’intelligence artificielle est au menu du Forum. Quelle est son importance selon votre “Réseau international de conseils scientifiques gouvernementaux” ?
C’est un grand défi. Il faut trouver comment travailler avec les très puissantes industries qui dominent le domaine, les GAFAM dont les budgets de recherche dépassent ceux de plusieurs pays. S’assurer que cette IA ait des effets positifs dans les sociétés, qu’elle aide à l’éducation des jeunes, fasse comprendre comment l’intelligence humaine peut aller encore plus loin avec l’IA.
L’Afrique veut être présente sur ces questions (1), comme évoqué récemment lors d’une rencontre au Cameroun. Et il pourrait bien arriver en Afrique ce qui s’est passé avec le téléphone… où on l’a vue directement adopter le cellulaire, alors qu’au Nord (Amérique, Europe…) avaient été installés depuis des décennies de gros téléphones sur lesquels composer les numéros, ainsi que les réseaux nécessaires… Au Rwanda, aujourd’hui, tout est numérisé, tout le monde paye avec son portable.
Tout change très vite en IA…
C’est ce qui rend le défi d’autant plus difficile à relever, ce secteur se développant effectivement à très grande vitesse et les temps de réaction des gouvernements étant souvent trop lents. Le point critique, selon moi, sera de ne laisser personne en arrière. Voilà pourquoi il est crucial de former jeunes et moins jeunes à la « literacy numérique », à la véritable connaissance et compréhension du numérique.
Tout en prenant la précaution, dans le même temps, d’installer des balises en matière de données personnelles, afin d’éviter que les géants de ce monde ne s’approprient l’information des concitoyennes et concitoyens. La discussion dans le forum portera donc évidemment sur les règles d’éthique concernant l’utilisation de l’IA et sur la meilleure manière d’éviter de répéter les erreurs déjà commises dans le domaine.
“Il y a des investissements importants sur le quantique”
Que proposez-vous ?
Nous, du Nord, devons trouver des façons d’aider, peut-être par la formation, à ce qu’il y ait assez d’experts en IA dans les pays du Sud, pour qu’ils puissent s’organiser localement et sans dépendre des grands centres de recherche du Nord. La majorité des experts actuels se sont formés à l’extérieur du continent africain et, revenus dans leur pays, sont en train de bâtir une force de l’intérieur.
Les centres du grand réseau AIMS (African Institute for mathematical sciences) sur la recherche et les mathématiques, dont le siège social est basé au Rwanda, y aident beaucoup. Ils ont recruté nombre d’expatriés, conservant des liens forts avec les pays du Nord. Lors de la conférence, on se demandera aussi comment promouvoir un réseau sud-sud, notamment avec des experts d’Asie du Sud-Est.
Les découvertes « disruptives » sont au programme.
Est-ce que le fossé n’est pas déjà trop grand entre Nord et Sud pour être comblé ? Vont se développer en Afrique certains secteurs « niches », avec des infrastructures de qualité et où les chercheurs sont déjà très bons. On peut repenser à la pandémie de Covid, lors de laquelle des variants du virus ont été découverts en Afrique du Sud par des scientifiques ayant bâti leur expertise (génomique, recherche clinique…) sur les travaux en lien avec le sida.
Il y a aussi des investissements importants, notamment au Sénégal et au Rwanda, sur le quantique. IBM qui voudrait y développer un ordinateur, a lancé un Quantum Challenge pour développer la communauté quantique sur le continent.
En Afrique du Sud, se développe le projet de nouveau télescope Hirax (université de Kwazulu-Natal, Aims, Nrf-Sarao…) (2). C’est l’investissement financier qui jouera évidemment un rôle crucial, et donnera aux jeunes les moyens de travailler. S’ils les obtiennent, ce sera formidable pour ces pays où la moyenne d’âge n’a rien à voir avec les nôtres. Ces jeunes qui ont tous l’air d’avoir vingt ans et constituent une richesse extraordinaire ! Il faut qu’ils aient l’opportunité de se former.
C’est ce que promeut l’INGSA…
Oui, il nous faut augmenter les capacités en conseil scientifique, de façon que les dirigeants interagissent avec les scientifiques, afin de bâtir des capacités de recherche. Et notamment avec le Réseau international francophone en conseil scientifique dont le secrétariat est basé à l’université Laval (Québec) et possède des antennes au Sénégal, au Maroc… C’est très important pour l’avenir.
1) L’Afrique ne contribue aujourd’hui qu’à 3 % du PIB mondial.
2) Réseau interférométrique de 1024 radiotélescopes de 6 mètres de diamètre, qui doit être déployé sur le site du Square Kilometer Array (SKA) en Afrique du Sud, conçu pour mesurer l’émission de raies d’hydrogène cosmiques et contraindre les modèles d’énergie noire et de matière noire.
INGSA, 5500 membres dans 110 pays
Aider, au niveau mondial, à élaborer des politiques pouvant se fonder sur des données scientifiques probantes (« evidence-based policies »), telle est la mission du « Réseau international de conseils scientifiques gouvernementaux » (INGSA), affilié au Conseil international des sciences (ISC).
Pour renforcer les interfaces entre politiques et scientifiques, sont organisés des ateliers, conférences, forums (Bruxelles, Tokyo, Montréal…) où se rencontrent décideurs, universitaires et scientifiques qui y partagent leurs expériences.
Des bourses peuvent être également accordées à des scientifiques en début ou milieu de carrière dans des pays à faibles revenus. Fondé en 2014, le réseau de 5500 membres dans 110 pays, tenant à renforcer les capacités de conseil scientifique dans les économies en développement, a créé en 2016 une antenne africaine « INGSA-Afrique » lors d’un atelier à Hermanus (Afrique du Sud), suivi en 2017 d’un atelier francophone à Dakar (Sénégal).
Il entretient de nombreux liens avec « Future Africa » (entrepreneurs, investisseurs, opérateurs), dont les fonds doivent servir à résoudre les plus grands défis de l’Afrique. En septembre 2023, s’est tenu en France un premier atelier de type INGSA à l’université de Bourgogne Franche-Comté (collaboration de la région homonyme et du bureau du chef scientifique de Québec). La conférence INGSA2024 à Kigali (Rwanda), 30 avril – 3 mai doit permettre de consolider l’établissement de la nouvelle antenne INGSA-Africa Hub Rwanda.
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