« Dadis Show » : quand Moussa Dadis Camara régnait sur la Guinée

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« Dadis Show » : quand Moussa Dadis Camara régnait sur la Guinée
« Dadis Show » : quand Moussa Dadis Camara régnait sur la Guinée

Africa-PressGuinée. Après « Petit Go », le romancier David Delhommeau, fin connaisseur des arcanes de la Françafrique, brosse avec « Dadis Show » un portrait déjanté de l’éphémère président guinéen.

Quand un président devient une source d’inspiration pour un écrivain, ce n’est pas forcément bon signe. Idi Amin Dada, fantasque dictateur de l’Ouganda entre 1971 et 1979, a ainsi inspiré plusieurs auteurs, comme le journaliste Giles Foden pour Le dernier roi d’écosse et le romancier Donald Westlake pour Kahawa. Il semblerait que l’éphémère président de la République de Guinée, Moussa Dadis Camara, devenu Moïse Dadis Camara depuis sa conversion au catholicisme en 2010, suive le même chemin.

Dans son roman Les nuits avec Patience, l’ethnopsychiatre français Tobie Nathan avait réussi l’exploit de s’introduire dans la tête du militaire qui dirigea le pays pendant un peu plus d’un an après la mort de Lansana Conté. Lors de la sortie du livre, il confiait à Jeune Afrique : « Le président se levait vers 14 ou 15 heures. Il recevait les ambassadeurs la nuit et organisait des réunions où il prenait lui-même la plupart des décisions. Parfois, ses interventions étaient publiques et filmées, comme ce fameux “Dadis Show” au cours duquel le directeur des douanes fut renvoyé. Il souffrait à mon avis d’une vraie psychopathologie. La rumeur le disait malade et drogué, ses décisions étaient erratiques, incompréhensibles, parfois même aberrantes. »

Dadis Show (en attendant la démocratie)

, c’est le titre du livre que David Delhommeau consacre à la prise du pouvoir par Moussa Dadis Camara et sa gestion de la Guinée jusqu’au tristement célèbre massacre du 28 septembre 2009 dans le stade de Conakry.

Limousines, hôtels de luxe et domestiques

Proche de l’association Survie, fin connaisseur des arcanes de la Françafrique, Delhommeau a écrit un petit roman jubilatoire, très librement inspiré de l’histoire de la Guinée et bourré d’allusions plus ou moins cryptées à l’attention des connaisseurs.

Le style est vif, efficace, provocateur. Dès les premières pages, le ton est donné : « Dadis veut entrer dans la postérité. Pour ça, il fera mieux que le Père de la Nation. Il laissera des statues, des autoroutes, des hôtels cinq étoiles. Personne ne l’oubliera. Il lancera un programme de conquête de l’espace pour envoyer une fusée avec sa photo dessus dans le ciel. Dadis est ambitieux et ne fait rien comme les autres. Il aime les chiens de race husky. Il en a 35. Il aime les limousines américaines. Neuf chauffeurs travaillent pour lui. Il adore les chaussures baskets, qu’il importe d’Europe par caisses entières. »

Les Blancs soutiennent les dictateurs, mais ils apprécient quand il y a des opposants Caricature ? Évidemment. Quoique, parfois, on peut se demander : « Dadis aime les rues de Paris. Celles avec les vitrines qui brillent autant que les lèvres rouges des vendeuses. À l’hôtel le plus cher, il réserve un étage pour lui et tous ceux qui l’accompagnent. Domestiques, chauffeurs, femmes et conseillères s’éparpillent dans les chambres. La plus proche est réservée à sa conseillère aux affaires étrangères. »

Rire jaune

Conteur enjoué et sarcastique, Delhommeau n’oublie pas le marigot malodorant dans lequel évolue son personnage principal : diplomates et hommes d’affaires intéressés, journalistes veules et corrompus, intrigants en tous genres, naïfs épris de liberté, opposants rêvant de devenir calife à la place du calife.

« Un opposant, pour un Père de la Nation, c’est comme une garantie pour les pays occidentaux. Les Blancs soutiennent les dictateurs, mais ils apprécient quand il y a des opposants, écrit-il. Ça donne l’impression de pluralisme. Un peu comme si c’était une démocratie. » Ce roman est dédié aux Guinéens et en particulier à leur jeunesse

Roman à clés, Dadis Show offre aussi à son auteur l’occasion de tourner en dérision les grands discours creux, ambitieux ou remplis de fausses promesses qui marquèrent leur époque. Inutile de les caviarder, Delhommeau les cite tels quels – De Gaulle à Alger, Patrice Lumumba à Léopoldville, Thomas Sankara à NewYork, François Mitterrand à La Baule et à Ouagadougou, Nicolas Sarkozy à Dakar – et le décalage temporel fait le reste : le rire est jaune… mais le rire demeure, antidote au désespoir.

Dadis Show (en attendant la démocratie)

pourrait être sinistre, il reste jouissif malgré l’horreur des tirs à vue, porté par un humour à l’épreuve des balles et une tendresse infinie à l’égard de la jeunesse. « Ce roman est dédié aux Guinéens et en particulier à leur jeunesse, dont une partie traverse la Méditerranée pour fuir quand l’humour ne suffit plus pour tenir et résister », écrit l’auteur dans sa préface. Dadis show (en attendant la démocratie), de David Delhommeau, Éditions Thot, 174 pages, 15 euros.

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