Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Guinée. Alors que les bombardements russes en Ukraine se poursuivent depuis 2022, Moscou s’oriente avec assurance vers le renforcement de sa présence militaire directe en Afrique, abandonnant progressivement le modèle d’« influence par procuration » que les russes utilisaient auparavant par le biais de groupes de mercenaires.
Aujourd’hui, un nouvel aspect de la stratégie du Kremlin a déjà pris forme: une présence officielle directe, soutenue par l’armée et les services de renseignement russes, au cœur des zones de conflit en Afrique subsaharienne, particulièrement.
Des données et des rapports d’enquête ont révélé l’ampleur de ce changement.
• Implications du retrait des groupes Wagner russes
Il importe de noter que les autorités russes ont récemment annoncé le retrait du Mali des groupes appartenant à Wagner, les remplaçant par des membres du Corps africain « Africa Corps » du ministère russe de la Défense. Cette annonce intervient alors que les menaces sécuritaires dans le pays s’aggravent avec la multiplication des attaques des mouvements extrémistes armés et la complexité du paysage politique intérieur.
Dans ce contexte, nous avons relevé que, le dimanche 8 juin 2025, le Groupe Wagner russe a effectivement annoncé la fin de sa mission au Mali, après avoir « atteint tous ses objectifs en soutien aux efforts du gouvernement malien dans la lutte contre le terrorisme extrémiste ». Selon les médias, des unités du « Corps africain russe » ont commencé à remplacer les groupes Wagner au Mali, et à se déployer sur plusieurs bases militaires du nord et du centre du pays.
A ce propos, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a révélé que le rôle de la Russie en Afrique allait s’accroître dans un avenir proche, ce qui aura un impact positivement significatif sur la sécurité et la situation militaire du pays, sachant que Wagner avait entamé sa mission au Mali en 2021, après que le gouvernement militaire de transition de Bamako ait mis fin aux accords de coopération militaire avec la France et d’autres pays occidentaux.
Son remplaçant, l’Africa Corps, a été créé, quant à lui, en novembre 2023 pour remplacer le Groupe Wagner après le décès de son patron, Evgueni Prigojine, disparu dans le crash de son avion.
Il s’agit d’un corps armé directement rattaché au ministère russe de la Défense et qui est fortement présent sur plusieurs scènes africaines, notamment en Libye et en République centrafricaine, ainsi qu’au Niger et au Burkina Faso, avec une méthodologie opérationnelle différente de celle du Groupe Wagner, et une mission qui consiste principalement à fournir des conseils, des formations, des armes et des équipements, plutôt qu’à intervenir directement sur le terrain, comme c’était le cas pour le Groupe Wagner, une société de sécurité privée, qui a participé au conflit malien et joué un rôle crucial dans la prise de Kidal, le 14 novembre 2023, au nord du pays.
Cependant, les forces wagnériennes avaient tout de même subi des pertes importantes lors du conflit avec les groupes armés, notamment lors de la bataille de Tin Zaouatine, en juillet 2024, qui aurait coûté la vie à des dizaines de membres des troupes Wagner.
• Acheminement constaté d’équipements militaires et armement vers Bamako depuis le port de Conakry
Convois d’équipements militaires déchargés au port Conakry en direction de Bamako
Selon l’agence de presse « Associated press », un convoi de fret russe parti de la mer Baltique, et qui fût suivi pendant prés d’un mois, transportait des armes sophistiquées, notamment des obusiers, du matériel de brouillage, des chars et des véhicules blindés.
Ses mouvement auraient été confirmés par des images satellite et des signaux maritimes, a indiqué ladite agence de presse.
Les navires auraient accosté au port de Conakry, capitale de la Guinée, où la cargaison a été déchargée avant d’être transportée par voie terrestre en direction du Mali, et les images montraient des camions alignés sur le quai, puis des convois de véhicules blindés russes se dirigeant vers Bamako.
Probablement, pour acheminer discrètement du matériel militaire à l’Africa Coprs, le Kremlin aurait choisi d’utiliser le port de Conakry, situé à près de 990 km séparant le port de la capitale malienne, Bamako.
Ce type d’engagement sur le terrain représente un « changement qualitatif dans la manière dont la Russie gère désormais ses relations de sécurité en Afrique ».
Il semblerait qu’au lieu d’envoyer des mercenaires ou de soutenir des régimes alliés par le biais de réseaux informels, Moscou avait opté pour la création du « Corps africain », une unité militaire sous le contrôle du ministère de la Défense et liée aux services de renseignement militaires russes, qui mènent depuis longtemps des opérations secrètes en Europe.
Selon des responsables militaires européens, le matériel actuellement en circulation en Afrique n’est pas seulement destiné aux armées nationales, mais principalement à l’« Africa Corps ».
« Grâce à ce corps, la Russie cherche à construire un modèle d’influence durable sur le continent, dépassant les tactiques mercenaires à court terme. La présence de Moscou n’est plus une réaction au retrait occidental, mais plutôt un projet stratégique de repositionnement mondial », ont indiqué des experts des affaires africaines.
• Pour les Russes, Conakry représente la pierre angulaire du dispositif logistique
Le Patria (IMO 9159921)
Le Baltic Leader (IMO 9220639)
De nombreux bateaux russes qui défilent dans le golfe de Guinée, ont été utilisés par l’armée russe depuis le début du conflit en Ukraine pour acheminer des armes provenant d’Iran, de la Corée du Nord et de la Syrie, vers la Russie, d’après un membre du collectif « All Eyes On Wagner ».
Peu après, cette stratégie de l’armée russe fût réorientée en partie vers l’Afrique, avec comme idée probable de pallier le déficit logistique causé par le changement brutal de régime en Syrie.
Le port de Conakry offrant plusieurs avantages non négligeables pour le Kremlin, a permis à d’autres navires russes sous sanctions occidentales, pour suivre le même trajet quelques mois plus tôt. Il faut dire que
Les autorités militaires russes ont jugé, d’un point de vue géographique, que le port de Conakry est un point d’entrée parfait pour accéder au Sahel, et les navires russes peuvent rejoindre le port sans éveiller trop de soupçons, le tout dans un délai relativement réduit.
• Quand le Kremlin renforce la présence russe sur le Continent africain
Vladimir Poutine recevant à Moscou le président malien Assimi Goïta
À l’heure où la France et les États-Unis ont été contraints de réduire leur présence au Sahel, la Russie s’est présentée comme une alternative toute faite, offrant non seulement un soutien militaire, mais exigeant également des compensations économiques, sachant que pour renforcer cette présence, Moscou avait commencé à recruter des combattants en Russie, avec des contrats officiels, incluant des salaires pouvant atteindre 2,1 millions de roubles (environ 26.500 dollars par élément), ainsi que des concessions foncières et des primes.
Les experts en sécurité internationale estiment que ce changement marque « la sortie de l’ombre de la Russie en Afrique. Moscou ne nie plus son implication ni ne se cache derrière le mercenariat, mais expose ouvertement ses outils étatiques, des livraisons militaires aux services de renseignement et aux escortes navales. Cela crée de nouvelles réalités que les puissances occidentales ont du mal à ignorer ».
Grâce à ses relations sécuritaires, Moscou fait tout pour obtenir des concessions minières et énergétiques, assurant ainsi un financement durable à son expansion militaire, ce qu’un rapport de l’Union européenne a confirmé en indiquant que ces opérations sont souvent autofinancées par l’exploitation des ressources naturelles, plutôt que par le Trésor public russe.
La même source souligne que: « L’Africa Corps ne serait pas seulement une alternative à Wagner, mais plutôt une évolution du modèle. Il reflète la volonté du Kremlin de légaliser sa présence et de la subordonner à la hiérarchie officielle. Ainsi, le rôle de la Russie évolue, passant d’un simple soutien aux conflits africains à celui d’acteur majeur remodelant son influence et sa souveraineté ».
Dans la même optique, et suite aux voix internationales avertissant que ce nouveau modèle remodèle l’équilibre des pouvoirs sur le continent, l’ancien analyste de HRW pour le Sahel, Jean-Baptiste Gallopin, a tenu à assurer que: « La Russie se présente comme un partenaire fiable auprès des régimes militaires qui se sentent abandonnés par l’Occident. L’absence de conditions politiques et le respect des droits humains rendent l’offre russe attrayante pour les élites dirigeantes en quête d’un soutien sans diktat ».
« Le Kremlin reste maître du jeu », a indiqué le dimanche 8 juin une source diplomatique au Sahel, même si « le Mali n’a jamais reconnu formellement la présence de ces mercenaires, mais affirmait faire appel à des instructeurs russes ».
A noter également que l’essentiel du personnel de Wagner au Mali et originaire de Russie a réintégré les unités d’Africa Corps et maintenu dans les chefs-lieux de la région du Nord, et à Bamako.
C’est pourquoi, à la lumière de cette évolution, l’Afrique apparaît à nouveau comme une arène de compétition entre grandes puissances. Cependant, ce qui distingue la présence russe dans sa nouvelle version, c’est qu’il ne s’agit pas d’un simple retrait tactique face à l’Occident, mais plutôt d’une tentative stratégique d’établir une influence permanente, formelle et flexible, s’agissant entre-autres d’une refonte de la doctrine d’influence dans un contexte mondial en mutation.
• Plus jamais de rôle d’« acteur non officiel » pour la Russie
La Russie ne se contente plus de jouer le rôle d’« acteur non officiel » dans les zones fragiles. Elle utilise également les outils étatiques traditionnels pour établir une présence durable au cœur des conflits, qui est un engagement direct alliant puissance dure et ambitions géopolitiques, et place le continent africain au cœur des nouveaux équilibres internationaux.
Ainsi, avec le retrait des puissances occidentales, notamment la France et les États-Unis, les capitales africaines se trouvent confrontées à de nouvelles options pour leurs partenariats de sécurité, dont les conditions, les mécanismes et les objectifs diffèrent.
Les observateurs soulignent que cette trajectoire, si elle se poursuit, pourrait non seulement redessiner la carte des alliances en Afrique subsaharienne, mais aussi redéfinir le concept même d’influence dans un monde post-unipolaire, où les outils de guerre, de renseignement et de ressources naturelles sont étroitement liés pour façonner les contours de la géopolitique future, faisant désormais des pays comme le Mali une sorte de laboratoire d’un nouveau modèle russe de gestion des relations internationales, transcendant la logique d’intervention par procuration pour une présence directe liée à des intérêts économiques profonds.
• L’avenir de la situation politique et sécuritaire au Mali, entre effondrement et coup d’État
Compte tenu du retrait des groupes Wagner russes et de leur remplacement par des membres de l’Africa Corps, et compte tenu de l’escalade de la crise politique et sécuritaire interne, dans de vastes zones du nord et du centre du pays. Cette annonce s’est accompagnée d’une aggravation de la crise politique interne suite à la décision de dissoudre les partis politiques et de suspendre toutes leurs activités sur le terrain.
Groupes armés au nord du Mali
Dans cet ordre d’idées, il importe de noter que le groupe de « Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) » est passé avec succès d’une organisation terroriste marginalisée à un mouvement nationaliste représentant les tribus peules et de nombreux autres groupes du nord et du centre du Mali.
Parallèlement à ce qui est arrivé, Daech dans le Grand Sahara a décliné et reconnu qu’il n’était plus en mesure de mener des opérations d’envergure. L’impasse politique actuelle au Mali risque de s’aggraver, oscillant à court terme entre le chaos total et la désintégration du pays, ou un nouveau coup d’État militaire ouvrant la voie à la réconciliation nationale.
Deux scénarios principaux peuvent être envisagés pour analyser la situation au Mali.
-/- Scénario 1
Un scénario de tension et d’explosion, dont les signes et les indices se précisent. Des sources occidentales n’excluent pas l’éventualité d’une arrivée des forces d’Al-Nosra dans la capitale, Bamako, ce qui signifierait l’effondrement du régime militaire et la chute du pays dans un chaos total. Les données de terrain indiquent que le moral de l’armée malienne s’est complètement effondré et que ses capacités de combat ont considérablement diminué, la rendant incapable de soutenir une guerre de longue durée.
-/- Scénario 2
Ce scénario est celui d’un nouveau coup d’État militaire, qui paraît probable. Il pourrait survenir de l’intérieur ou de l’extérieur du conseil militaire au pouvoir, ou par le biais d’arrangements extérieurs. Cela ouvrirait la voie à une nouvelle équation politique intérieure qui conduirait à des négociations avec diverses forces politiques et militaires pour sortir le pays de sa situation difficile actuelle.
Bien que le premier scénario semble probable, il n’est pas incompatible avec le second. En fait, il pourrait en ouvrir la voie en cas d’effondrement du régime militaire actuel.
Par ailleurs, des sources maliennes locales auraient fait état de désaccords croissants au sein du Conseil militaire au pouvoir, notamment entre le colonel Assimi Goïta, chef de l’autorité de transition, et l’homme fort du conseil, le ministre de la Défense Sadio Camara, qui ne quitte plus le camp militaire de Kati (situé à cinq kilomètres du palais présidentiel), à Bamako, par crainte d’être destitué et arrêté.
Le colonel Camara aurait noué des relations politiques et militaires avec la Russie, tandis que Goïta dépendrait principalement des entreprises turques pour sa sécurité personnelle.
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