Africa-Press – Guinée. Souvent chez les animaux, dont l’Homme, l’âge des parents peut avoir des effets négatifs sur la descendance. Les individus issus de parents âgés voient en effet leur survie et leurs performances diminuées. Depuis plusieurs années, les scientifiques pensent que les télomères, les extrémités des chromosomes, intègrent d’une façon ou d’une autre l’âge des parents, se transmettent aux descendants et prédisent leur survie plus faible. “Les télomères sont des marqueurs du vieillissement et ils jouent aussi un rôle clé dans l’évolution des cancers”, souligne Andréaz Dupoué, chercheur en écophysiologie évolutive à l’Ifremer, lors d’une interview pour Sciences et Avenir.
Avec son équipe, il s’est intéressé au vieillissement reproductif des huîtres creuses, Magallana gigas, et à leur sensibilité à l’herpèsvirus. Leurs résultats révèlent que les huîtres issues de parents âgés sont plus sensibles à ce virus, OsHV1 de son nom scientifique. Au-delà de ce constat, les scientifiques ont fait une autre découverte: cette infection virale déclenche un mécanisme similaire à celui impliqué dans 90% des cancers. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Science Advances.
L’huître, un bivalve tout indiqué pour étudier le vieillissement reproductif
Dans un premier temps, les chercheurs se sont intéressés aux effets de l’âge des parents sur la survie des huîtres. Pour commencer, ils ont croisé 12 mâles et 12 femelles d’huîtres creuses, divisées en trois classes d’âge: “jeune”, entre 2 et 3 ans, “moyen”, 6 ans, et ” âgé” entre 8 et 10 ans. Les croisements ont donné naissance à 36 fratries. L’équipe d’Andreaz Dupoué a cherché ensuite à distinguer les caractéristiques des huîtres issues de parents âgés.
Taux de survie des larves, croissance, résistance à une infection virale… “Mais de nombreux facteurs autres que l’âge des parents peuvent influer sur le développement des jeunes”, remarque le biologiste. Alors comment discerner les effets de l’âge des parents, des répercussions liées à d’autres paramètres et dont les contours sont déjà difficiles à saisir ? “C’est justement pour pallier cette difficulté que nous avons choisi de travailler sur l’huître”, explique Andreaz Dupoué.
Un système de reproduction simple à étudier
En effet, le système de reproduction de l’huître est plutôt simple. La production de gamètes, c’est-à-dire de cellules reproductrices, se fait en temps réel, à chaque épisode de reproduction. “Ce qui veut dire que l’âge de l’huître a un effet immédiat sur la qualité des gamètes”, commente le chercheur. Un mécanisme tout à fait différent de celui des femelles mammifères puisque chez l’être humain par exemple, la réserve d’ovocytes des femmes est constituée dès la phase embryonnaire. En d’autres termes, un embryon femelle dispose déjà de la réserve d’ovocytes qu’il utilisera tout au long de sa vie jusqu’à la ménopause. Autre avantage de l’huître pour cette étude: sa fécondation est externe et ce bivalve ne fournit aucun soin parental à la descendance, “ce qui évite des biais expérimentaux d’une famille à l’autre”, précise Andreaz Dupoué.
Les résultats mis en évidence sont concluants: les huîtres âgées donnent naissance à des individus qui survivent et grandissent moins bien d’une part, et qui, d’autre part, sont plus sensibles à l’herpèsvirus de l’huître, auquel les scientifiques les ont exposées. Mais comment l’âge des parents influe-t-il sur leur descendance ? La réponse se trouve au niveau des télomères.
Les télomères, qu’est-ce que c’est ?
“Les télomères sont les séquences d’ADN situées aux extrémités des chromosomes. Ils servent à protéger l’ADN ‘codant’ qui détient les informations génétiques”, éclaire Andréaz Dupoué. A chaque division cellulaire, de manière inéluctable, les télomères sont raccourcis car la machinerie cellulaire ne va pas jusqu’au bout du chromosome. On parle d’érosion des télomères. Il s’agit d’un marqueur du vieillissement. Passé un certain seuil d’érosion, un signal déclenche la mort de la cellule. C’est l’apoptose. Une première partie des travaux révèle justement que cette érosion est plus rapide chez les huîtres issues de parents âgés, “ce qui pourrait expliquer leur sensibilité accrue à l’infection due au virus OsHV-1”, avance le scientifique.
Si pour le moment, le mécanisme responsable de cette érosion rapide n’est pas connu, une chose est sûre: la descendance n’hérite pas à proprement parler des vieux chromosomes érodés de ses parents. Car bien heureusement, dans les organes reproducteurs, un mécanisme essentiel s’opère afin de rallonger les télomères. “Cela permet d’éviter que les progénitures ne naissent avec le capital vieillesse de leurs parents”, simplifie Andréaz Dupoué.
Les stress environnementaux influent aussi sur l’érosion des télomères
“Ce qui est particulièrement intéressant c’est que cette érosion est accélérée par des stress environnementaux vécus par les animaux”, ajoute le scientifique. “Chez l’Homme par exemple, on sait que le tabac y contribue, ce qui aboutit à un vieillissement tissulaire précoce.” Chez certains animaux, il peut aussi s’agir de la hausse des températures, ou d’autres stress chroniques.
Ainsi, une enzyme, appelée télomérase, permet de rallonger les télomères. Essentiellement active dans les organes reproducteurs afin de rétablir la protection des chromosomes, elle s’inactive dès la formation de l’embryon. Après quoi, les cellules de la progéniture sont vouées à voir leurs chromosomes s’éroder perpétuellement, à chaque division cellulaire. La télomérase ne s’activera que dans ses organes reproducteurs ou dans les cellules cancéreuses.
Chez les huîtres âgées, une hypothèse avance que la télomérase présente dans les organes reproducteurs de ces mollusques reconstitue bien les télomères mais différemment, conduisant à l’érosion rapide ensuite observée chez la progéniture. Mais il faudra de nouvelles études pour valider ou non cette théorie.
Au-delà des effets de l’âge des parents sur la survie de la descendance, les chercheurs ont fait une autre découverte surprenante. En examinant de plus près les cellules des huîtres infectées à l’herpèsvirus, ils ont constaté que la télomérase y était activée… comme dans les cellules cancéreuses.
Herpèsvirus et cancer: le même mécanisme sous-jacent
Ce sont de précédents travaux, in vitro, qui ont montré que la télomérase est de nouveau active au sein des cellules cancéreuses. En rallongeant continuellement les télomères, cette protéine confère aux cellules défectueuses leur immortalité car le signal de mort de la cellule n’est jamais envoyé. Elle permet ainsi leur croissance. Jusqu’à présent, ce phénomène n’avait été observé qu’en laboratoire. Mais les derniers travaux d’Andréaz Dupoué ont révélé ce mécanisme d’emballement de la télomérase in vivo, sur l’huître infectée par l’herpèsvirus. Une première. Ces derniers résultats font de l’huître un modèle de choix pour étudier ce mécanisme et chercher à le modérer.
En réalité, les résultats de cette étude révèlent la complexité du rôle de la télomérase. D’après les chercheurs, son activation est nécessaire aux jeunes huîtres pour résister à l’infection virale, mais devient délétère quand elle est trop forte. Lorsque la télomérase s’emballe, elle produit des télomères trop longs, ce qui entraîne des désordres génétiques et qui aboutit à la mort de l’huître une fois adulte. “Notre démonstration in vivo de cette réaction ouvre la voie à de nouvelles pistes de recherche. On dispose désormais d’un modèle d’étude d’intérêt pour comprendre ce mécanisme”, se réjouit Andréaz Dupoué. Les chercheurs travaillent désormais sur des solutions pour essayer d’éteindre la télomérase, “d’abord chez l’huître, puis chez d’autres espèces dont l’Homme,” espère-t-il.
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