Africa-Press – Guinee Equatoriale. Le Bassin du Congo accueille une des plus grandes forêts tropicales au monde, la deuxième, juste après la forêt amazonienne. Au cœur de ces deux massifs, des rivières se distinguent par leur couleur atypique, un noir intense. Une équipe de chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Zurich (Suisse) a analysé les eaux de la rivière Ruki, un affluent du fleuve Congo.
Résultat ? Elles sont particulièrement concentrées en matière organique dissoute, des substances riches en carbone. Cette concentration en carbone dissous dépasse 1,5 fois celle du célèbre Rio Negro en Amazonie, et 4 fois celle du fleuve Congo. Leur étude est la première à analyser la composition chimique du Ruki. Elle a été publiée dans la revue Association for the Sciences of Limnology and Oceanography (ASLO).
Une infusion de matière organique
“L’eau de la rivière Ruki est un thé de forêt tropicale”, pointe Travis Drake, auteur de l’étude. D’une part, la pluie entraîne dans la rivière les composés organiques des végétaux en décomposition. D’autre part, entre septembre et décembre, pendant la saison des pluies, la rivière Ruki inonde la forêt tropicale qui reste en partie immergée pendant plusieurs semaines. C’est ce qui lui donne sa couleur. L’infusion des matières végétales en décomposition dans l’eau délivre du CO2 qui se dissout dans l’eau. Restait à quantifier la concentration de ce carbone dissous.
La rivière Ruki, une situation spéciale
Large d’un kilomètre, le Ruki draine un territoire de plus de 165.000 kilomètres carrés, soit 4 fois la taille de la Suisse. C’est ce qu’on appelle son bassin versant. Le Ruki s’écoule au sein d’une forêt tropicale primaire et est entouré de tourbières où s’accumulent de grandes quantités de matière végétale peu décomposée. “Un véritable puits de carbone”, indiquent les chercheurs.
En 2019, l’équipe de Travis Drake installe une station de mesure près de Mbandaka, une ville un peu en amont de la convergence entre le Ruki et le Congo. Elle y évalue le niveau d’eau et le débit de la rivière Ruki. S’ajoutent à ces mesures des prélèvements d’eau réguliers afin d’identifier la quantité et l’origine du carbone dissous : forêt tropicale ou bien tourbières ? Les échantillons contiennent en effet des signatures carbones de l’ensemble du bassin versant du Ruki. “Il suffit de collecter l’eau d’un seul site pour obtenir des informations sur une vaste zone, comme un médecin prélève un échantillon de sang pour déterminer l’état de santé global d’un patient”, explique Matti Barthel, co-auteur de l’étude.
Des émissions de CO2 dans l’air limitées
Comme l’avaient anticipé les chercheurs, l’analyse de l’eau du Ruki révèle une concentration exceptionnelle en composés organiques carbonés. “Il s’agit de l’un des systèmes fluviaux les plus riches en carbone organique dissous au monde”, confirme Matti Barthel. “Bien que le bassin versant du Ruki ne représente qu’un vingtième de l’ensemble du bassin du Congo, un cinquième du carbone organique dissous du fleuve Congo provient de ce seul affluent”, assurent les chercheurs.
Une fois dissous, le carbone peut prendre plusieurs formes. Généralement : un acide organique. Cette acidification des rivières favorise la libération de CO2 dans l’air. Mais contre toute attente, les émissions de CO2 dans la zone du Ruki sont similaires à celles des autres rivières tropicales. “Ruki est une rivière lente et calme, ce qui rend plus difficile la fuite du CO2 depuis l’eau vers l’air. Dans une rivière turbulente, nous constaterions des émissions plus élevées”, précise Travis Drake.
Des tourbières stables mais menacées
D’après l’analyse des échantillons, la majorité du carbone dissous serait issue de la forêt tropicale, et non des tourbières. Une bonne nouvelle pour les chercheurs : “Cela signifie que les tourbières sont stables”. Toutefois, la zone est convoitée pour ces ressources naturelles, et l’équipe craint que ces terres ne soient un jour exploitées et ne modifient le régime du fleuve. L’assèchement des tourbières conduirait alors à leur décomposition par des bactéries et à la libération d’énormes quantités de CO2. “Elles stockent quelque 29 milliards de tonnes de carbone…”, conclut Matti Barthel.
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