Ikala Paingotra
Africa-Press – Madagascar. Le pouvoir a commencé à lancer les ballons-sondes quant à un troisième mandat de Rajoelina. La chorégraphie bien huilée est cousue de fil orange: on envoie quelques solelakistes discourir publiquement pour solliciter la candidature de quelqu’un, qui répond positivement “à la demande du peuple”. Les députés de Fianarantsoa se sont donc récemment pliés à la manœuvre, et le député Raholdina leur a fait écho, affirmant qu’il est tout à fait possible de changer la Constitution “si le peuple le souhaite”. Quand une telle chorégraphie s’amorce, ça sent mauvais pour l’État de Droit.
Rajoelina va probablement se donner quelques mois pour étudier les réactions à ces premiers ballons-sondes, qui seront probablement suivis dans d’autres régions pour leur donner l’illusion d’une envergure nationale. Quelle sera donc la force des partisans du pouvoir, prêts à soutenir n’importe quelle idée émanant du pouvoir, y compris les plus farfelues? En face, quelle sera la capacité de résistance de l’opposition, des juristes, de la société civile et des citoyens devant cette volonté manifeste de violer la Constitution actuelle pour satisfaire la mégalomanie narcissique de Rajoelina?
On se souvient que c’est Rajoelina lui-même qui avait initié le changement de Constitution en 2010, afin de justifier son coup d’État. Ses engagements de l’époque pour une véritable démocratie ont été vite rattrapés par son appétit du pouvoir et ses corollaires économiques. En Afrique, tout dictateur apprenti ou confirmé considère que nul autre que lui n’est capable de mener son pays vers de meilleurs lendemains, malgré une performance calamiteuse à la tête de l’État. De là nait le désir bien Africain d’outrepasser la limite de deux mandats dans laquelle les autocrates commencent à se sentir à l’étroit quand ladite limite s’approche. C’est cette perpétuelle incapacité à respecter la Loi et à considérer normal de tailler la Constitution aux désirs et lubies du dirigeant en place qui explique l’instabilité politique et institutionnelle dans le continent noir. Si Rajoelina persiste dans cette voie scabreuse, il ne fera donc que démontrer qu’il est bien un chef d’État africain du mauvais côté. Et pourtant, l’Afrique regorge depuis quelques années d’exemples positifs (Malawi, Zambie, Bénin etc.): pourquoi alors Rajoelina se sentirait-il plus inspiré par les Kagamé, Nkurunziza, Sassou Ngesso, Gnassimbé ou Museveni?
Pour Rajoelina, les opinions contraires se méprisent et se maîtrisent
En fait, Rajoelina compte sur trois réalités. Primo, la culture politique Malgache fait que tout référendum a des résultats favorables au pouvoir. Secundo, douze ans de pouvoir ont appris à Rajoelina que les opinions contraires se méprisent et se maîtrisent par l’intimidation, la corruption et la coercition. Un redressement fiscal, un emprisonnement ou quelques grenades lacrymogènes suffisent pour calmer les esprits récalcitrants. Jusqu’à ce que. Tertio, l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire fait que la Haute cour constitutionnelle sera comme d’habitude au garde-à-vous devant la volonté de Mavoloha.
En fait, il n’y a aucune surprise dans cette volonté latente de violer la Constitution en vigueur. Le profil de Rajoelina a démontré depuis 2009 qu’il n’avait ni le profil ni le tempérament pour accepter que les valeurs démocratiques, les principes de l’État de Droit, ou même l’opinion publique ne se mettent en travers de ses envies. Quand on se permet le crime suprême contre la Nation qu’est un coup d’État, ce n’est pas un petit article constitutionnel qui va le déranger. Rajoelina serait capable de traiter la Constitution de feuilles A4, comme il a traité sa carte d’identité française de bout de papier de huit centimètres, après avoir quémandé la nationalité de l’ancien pays colonisateur.
C’est ce manque de scrupules mais également la capacité de Rajoelina à obtenir ce qu’il veut par divers moyens qui lui a permis de faire adouber son coup d’État de 2009 par les communautés nationale et internationale, de faire valider son élection en 2018 et sa réélection en 2023 dans des circonstances discutables et discutées, d’obtenir un grade de 6ème dan de karate, de bâtir un Colisée sacrilège dans l’enceinte du Rova d’Antananarivo, et de recevoir des awards et prix tous aussi bidon les uns que les autres.
À chaque fois, les Malgaches ont laissé faire. Il est donc normal qu’il finisse par se comporter comme un enfant gâté qui n’accepte aucun obstacle à ses caprices. Face à ces velléités de modifier la Constitution pour un troisième mandat, l’opposition, la société civile et les citoyens devront trouver des stratégies plus efficaces que des marches de choux-fleurs, des conférences de presse et des imprécations sur Facebook. Tant que l’opposition n’aura pas la capacité de s’opposer de façon crédible et efficace de manière à mobiliser les citoyens, le citoyen français Rajoelina sera toujours en pays conquis, comme son compatriote Gallieni. On peut même imaginer que s’il décidait un jour de modifier la Constitution pour transformer la République en Monarchie héréditaire, on risquera toujours de trouver quelques andriana félons, des parlementaires niais et des récipiendaires de koveta pour soutenir cette ignominie. Attention: la limite entre rêve et réalité est souvent étroite. Surtout quand il s’agit d’un cauchemar.
Devant le choix qui se pose à lui et ses partisans entre la satisfaction de sa mégalomanie d’une part, et le respect de ses engagements du bout des lèvres envers la démocratie et l’État de Droit, Rajoelina saura-t-il enfin faire preuve de maturité et de dignité?
Source: Madagascar-Tribune.com
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