Des Mots et Débats: les « Amazones » en Mode Défense

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Des Mots et Débats: les « Amazones » en Mode Défense
Des Mots et Débats: les « Amazones » en Mode Défense

Ikala Paingotra

Africa-Press – Madagascar. Ces derniers jours, les dames de l’entourage du chef de l’État, souvent surnommées « les Amazones d’Andry Rajoelina », sortent de leur tour d’ivoire pour défendre le pouvoir face à la pandémie de critiques. La ministre des Affaires étrangères avait ouvert le bal il y a quelques semaines en demandant à ce que les moqueries contre les dirigeants cessent. Plus récemment, en s’attaquant au chef de l’opposition parlementaire, la directrice de la communication de la Présidence avait déclaré que les opposants « volaient bas ». La directrice de cabinet de la Présidence de la République a aussi évoqué la jalousie comme sources des critiques contre le pouvoir, reprenant un argumentaire de son patron.

Il est donc de bon ton que nous rappelions ici quelques fondamentaux des principes démocratiques afin d’éclairer ces respectables dames qui commencent malheureusement à perdre leur lucidité dans leurs efforts pour défendre bec et ongles manucurés le pouvoir actuel. Nous nous intéresserons toutefois à leurs idées et non à leurs personnes, afin de respecter le principe cher à Eleanor Roosevelt, « Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des événements ; les petits esprits discutent des gens.”

Principe de différenciation

Le premier point est le principe de différenciation, qui se fonde sur le concept suivant: les gens qui aspirent à nous diriger tirent leur légitimité du fait qu’ils sont (en principe) meilleurs que nous. C’est sur la base de leur conviction dans ce sens qu’ils sollicitent notre suffrage (lors d’élections) et notre soutien (lors d’un coup d’État). On se souvient tous de la fanfaronnade de Rajoelina en 2009: « je ne serai pas plus nul que le président Ravalomanana ». Seize ans après, chacun peut se faire une idée de l’état de la comparaison en observant les faits et les chiffres.

Par conséquent, parce qu’il a affirmé être le champion du progrès de Madagascar, il n’y a aucune raison d’être tolérant avec lui. Son coup d’État en 2009 et ses campagnes électorales en 2019 et 2023 ont toutes tendu vers un message: il était celui apte à transformer Madagascar. Il est donc salutaire de rappeler, souligner et mettre en valeur de façon systématique chaque erreur, dérapage, faute et mensonge des dirigeants pour les amener, au mieux à rectifier le tir, et au pire, à éclairer aux yeux des citoyens le grand écart entre leurs actes et leurs paroles. Nous réprouvons la méthode des insultes: l’énoncé des faits est déjà suffisant. Ils ont prétendu être pourvus des compétences, de l’intégrité, de la vision et du talent pour développer Madagascar. Ils ont cherché le pouvoir et l’ont obtenu. Ils ne sont pas là pour tenter ou essayer, mais pour agir efficacement. Il n’y a donc aucune raison de leur faire de cadeaux, et encore moins que l’opposition courbe l’échine et se taise.

Principe de légitimité de l’opposition

Le droit à la critique est inhérent aux libertés fondamentales qui sont garanties par la Constitution. De ceci découle le deuxième point de notre discussion: « La Constitution garantit le droit d’opposition démocratique » dixit son article 14. Ainsi, sauf si le pouvoir souhaite faire passer le message que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, il y a une ribambelle d’actes critiquables de la part des dirigeants. Peu importe qu’ils résultent de l’incompétence, de la mentalité werawera, du manque d’intégrité ou d’un niveau d’instruction.

La critique du pouvoir par les médias, la société civile et les simples citoyens est donc un exercice sain pour faire progresser la démocratie, de même que toutes les moqueries sur les réseaux sociaux: elles représentent une soupape de sécurité qui permet d’évacuer la violence. Sans ces quolibets, la mégalomanie narcissique inhérente à nos dirigeants risque de leur faire croire, à très grand tort, qu’ils sont infaillibles, parfaits, sans reproches et intouchables.

De ce principe de la légitimité et de la légalité constitutionnelle de l’opposition découle un troisième point: le côté ridicule de vouloir que tous les citoyens malgaches marchent d’un même pas pour soutenir Andry Rajoelina, sous prétexte que sa réussite équivaudrait à la réussite de Madagascar. Nous ne sommes pas en Corée du Nord. L’existence de pro-putschiste et de légalistes en 2009, puis de vainqueurs et vaincus en 2018 et 2023, illustre qu’il y a un désaccord fondamental au sujet de l’ancien DJ. Par conséquent, il relève d’une certaine mentalité primaire de vouloir gommer ces clivages et créer une union nationale artificielle au bénéfice du pouvoir. Le temps de son mandat, il appartient au président Rajoelina, au gouvernement et à leurs partisans de réaliser ce qu’ils ont prétendu être en mesure de faire. Les gouvernants ont le droit et le devoir d’agir en gouvernants, et les opposants ont le droit et le devoir d’agir en opposants. Il n’y a pas de raison de compatir aux pleurnicheries des Amazones de la République, et encore moins de valider les méthodes rhétoriques du régime: traiter de passéistes ceux qui parlent de 2009, utiliser le Covid-19 comme prétexte pour excuser les défaillances, et accuser les critiques d’être prisonniers de leur haine (fankahalana).

Droit à la critique et même à la haine

C’est une équation qui est de temps à autre véhiculée par les pro-régimes qui manquent d’arguments. Critiquer le pouvoir, c’est être aveuglé par la haine. D’ailleurs, la haine, si haine il y a, serait-elle déplacée quand on voit que le pays se dirige peu à peu sur la trajectoire d’Haïti? La haine serait-elle déplacée quand on se souvient de tout ce qui s’est passé en 2009? La haine serait-elle déplacée quand on voit de quelle manière les valeurs démocratiques et les principes de bonne gouvernance sont systématiquement foulés aux pieds, et que les citoyens ne peuvent rien faire face aux dérives et abus du clan politico-mafieux au pouvoir.

La haine est un sentiment humain tout à fait légitime, tant que la façon dont elle s’exprime est dans les limites de la légalité. Critiquer est légal. Se moquer est légal. Insulter est dans une certaine mesure légal, car comme disait Coluche, « quelquefois traiter quelqu’un de con n’est pas une injure mais un diagnostic médical ». Ce qui est illégal, c’est le comportement de voyous violents, menteurs et manipulateurs comme ceux qu’on a subi en 2009. Ce souvenir autorise, explique et cautionne la haine. À charge pour les auteurs du coup d’État de démontrer qu’il en valait la peine. Jusqu’à présent, les indicateurs attestent du contraire.

Que leurs paroles reflètent leur niveau !

On accordera aux Amazones de la République le bénéfice du doute quant aux raisons de leur engagement aux côtés de Rajoelina. Peut-être sont-elles réellement patriotes et ont envie de contribuer à l’essor de Madagascar. Mais au vu de leurs récentes déclarations, force est de constater qu’elles ont fait le choix de fermer les yeux et se boucher le nez sur les petites et grandes dérives. Sur quel principe de Droit le fait d’agiter un pouce renversé en signe de désapprobation mérite-t-il une arrestation? Sur quelles valeurs se fondent les arguties juridiques pour brimer l’opposition, interdire les manifestations et faire valser les requêtes pour fraudes électorales?

En tant que citoyennes libres, elles ont le droit d’avoir les orientations et combats politiques de leurs choix. Certes, elles doivent faire front avec la main qui les nourrit, et sont obligées de brider leur lucidité pour ne pas apparaître dans la section abrogation des communiqués du Conseil des ministres. « Paris vaut bien une messe » aurait dit Henri IV, et traîner ses guêtres à Iavoloha vaut bien un peu de solelakisme. Toutefois, leur niveau d’étude et leur parcours flatteur dans le secteur privé autorisent à penser qu’elles ne sont pas du même calibre intellectuel que Tatandraza, Raholdine, Rasoamaromaka, Rakotondrazafy ou Rakotomanga. Elles devraient donc être capables de deux choses. D’une part, avoir une réthorique du niveau qui est le leur au lieu de s’abaisser à des arguments de militants de la Place du 13 mai. D’autre part, éclairer véritablement le chemin du chef de l’État au lieu de le laisser en roue libre dans ses enfantillages, par exemple en l’aidant à bâtir des ponts avec les opposants modérés, la société civile et le milieu intellectuel. En effet, à force de fréquenter les préposés aux distributions de koveta et leur récipiendaires, les arguments des défenseurs du pouvoir ne volent pas haut, raison peut-être pour laquelle l’opposition descend à leur niveau.

Source: Madagascar-Tribune.com

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