Différences de Rythmes: Attention À la Gueule de Bois

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Différences de Rythmes: Attention À la Gueule de Bois
Différences de Rythmes: Attention À la Gueule de Bois

Ndimby A., Patrick A.

Africa-Press – Madagascar. Le mouvement initié par les militaires du CAPSAT est en train de faire basculer la crise politique de 2025. Les choses restent floues à l’heure où nous écrivons ces lignes. Il y a une multiplicité de dynamiques qui se développent depuis le 25 septembre dernier, et chacune à ses propres acteurs ayant leurs propres objectifs, ainsi que des ressources différentes. Conséquence: les processus se déroulent suivant des rythmes différents, ce qui fait que les prévisions ne sont pas nécessairement en ligne avec ce qui surgit.

Qui dirige le pays et qui tire les ficelles?

Qui tient les clés du pays? Bien malin, ou peut-être trop malin au sens originel du terme, serait celui qui est aujourd’hui en mesure de répondre fermement à la question. Au 20ème siècle, la réponse à une telle question aurait été simple: le centre du pouvoir était le contrôle de la radio et la télévision nationale. Avec la multiplication des radios privées puis la montée en force des réseaux sociaux, les choses sont loin d’être aussi simples de nos jours. La primeur de toutes les déclarations « officielles » est désormais réservée à Facebook, ce qui en soi constitue un véritable problème de souveraineté nationale: s’ils le voulaient, un Mark Zuckerberg ou un Donald Trump disposeraient d’un énorme potentiel à influencer la politique à Madagascar. Sans compter les armées de robots.

Oui, l’expression « robots » fait sourire depuis qu’Andry Rajoelina a accusé une armée cybernétique d’être derrière la Gen Z. Cette accusation-là était à ce moment précis ridicule au vu de la dynamique qui était observée dans l’opinion des « vraies gens ». Il n’en demeure pas moins très étrange que la principale page Facebook du mouvement Gen Z Madagascar ait été bloquée par Meta quelques heures avant les événements d’hier, à la suite de centaines de signalements pour « appels à la haine » et « usurpation », et qu’elle demeure à l’heure où nous écrivons inaccessible. Qui est à l’origine de ce blocage et pourquoi? Là, du coup, on peut sérieusement suspecter la présence d’une armée de bots ou d’une usine à trolls.

Par la suite, l’on a vu vers 9 heures du matin les troupes du Capsat entourer le colonel Mickaël Randrianirina lisant une déclaration appelant l’armée, la police et la gendarmerie à « unir leurs forces » et à « refuser les ordres de tirer » sur les manifestants ou les troupes du Capsat. Cet appel initial demandait aux forces de l’ordre de revenir dans les camps et à en « fermer les portails ». La volonté affichée de rester dans les camps afin d’éviter les affrontements entre forces armées, de se poser en « dernier rempart » pour la population, et de ne pas se mettre à la tête d’un coup d’État avait été réaffirmée par le colonel Randrianirina en début d’après-midi après une visite au Capsat du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Jocelyn Rakotoson.

Relents de 2009

En fin d’après-midi pourtant, le contexte évoluait brutalement avec la sortie du Capsat de quelques véhicules blindés qui, suivis par une large foule, allaient affronter la gendarmerie et parvenir à la place du 13 mai. Aucun fait particulier n’a été évoqué comme étant la cause d’un tel changement d’attitude.

Deux morts et vingt-six blessés ont été recensés par le service des urgences de l’hôpital HJRA à l’issue des événements. Pour sa part, le général Rufin Zafisambo, Premier ministre nommé par Andry Rajoelina, appelait au calme dans une courte allocution vidéo faite dans la soirée et déclarait qu’il est inconcevable que les forces armées se tirent dessus. Quant à la page de la Présidence de la République, elle se contentait d’affirmer que le chef de l’État était toujours au pays alors que de fortes rumeurs affirmaient que celui-ci était parti au Mozambique.

La Gen Z risque fort de perdre la main. La rapidité avec laquelle des officiers militaires et des politiciens « de carrière » sont apparus sur la place du 13 mai montre que la récupération du mouvement est en marche. Ces derniers, alors qu’ils étaient depuis relativement discrets, laissant les jeunes affronter balles et grenades, s’apprêtent à se disputer les sièges lors d’une probable transition. Comme dans la course du lièvre et de la tortue, le premier arrivé ne sera pas nécessairement celui qui a mené la course en tête.

Autre point qui autorise les interrogations: on voit depuis quelques temps des personnes ayant agi activement pour renverser Marc Ravalomanana en 2009, s’agiter actuellement pour renverser Andry Rajoelina. Parmi elles, le général Lylison, actuel gouverneur de la Région Sofia, fortement applaudi sur la place du 13 mai par des manifestants qui ont manifestement oublié son rôle à l’époque. Sous prétexte de vouloir à tout prix le départ de Rajoelina, sommes-nous prêts à absoudre les opportunistes qui nous ont déjà démontré ce dont ils sont capables et nous jeter bêtement dans leurs bras en toute amnésie?

Présent et avenirs tout aussi incertains

La Gen Z risque donc de payer cher la façon dont elle a mené le mouvement, sans leader visible et crédible qui pouvait devenir un interlocuteur valable pour les institutions telles que l’armée, les partis, les syndicats, la communauté diplomatique ou le FFKM. C’est une chose de remplir les rues, c’en est une autre d’avoir une chaise légitime à la table des discussions. Malheureusement, l’on a vécu dans une ambiance où il était mal vu de critiquer publiquement la démarche de la Gen Z. On voit donc le résultat de l’approche idéaliste, alors qu’il aurait également fallu avoir eu les pieds sur terre.

Le présent est donc confus. On ne sait pas quelle tournure vont prendre les événements, car de nombreuses options sont sur la table autour du départ supposé de Rajoelina: démission en faveur du Président du Sénat, coup d’État, directoire militaire, ou bien convention issue d’une concertation nationale?

L’avenir est également incertain. L’objectif que la population veut devrait déterminer les actions à prendre. Si le but est de remettre Madagascar sur de bons rails, à travers une refonte des institutions, la définition d’un projet de société, et en définitive, offrir à la Gen Z et aux suivantes un avenir meilleur, il s’agit d’un travail sur le temps long. Il n’est pas évident que ce soient les récupérateurs apparus soudainement hier sur la Place du 13 mai, dont certains sont d’ailleurs des pro-Rajoelina défroqués, qui auront l’envie et la capacité de le faire. Une réflexion sur la démarche, les acteurs et les livrables d’un tel processus sont donc à établir dans la sérénité, car rebâtir Madagascar ne se fera ni à coups de discours opportunistes dans l’euphorie de la chute supposée de Rajoelina, ni à coups du « tout et tout de suite » dans la fougue de la jeunesse.

Afin d’abaisser la tension politique, les regards se tournent vers le FFKM, entité que plusieurs militaires ont appelé à agir en médiateur. Aura-t-il la capacité à tenir ce rôle au milieu de toutes ces dynamiques, en sachant que certains acteurs par l’odeur du pouvoir à proximité alléchés, ne se dessaisiront pas aussi facilement de ce qui est à portée de main? Cela est valable aussi bien pour les opportunistes du 13 mai que pour le général Richard Ravalomanana. Chacun va donc faire feu de tout bois pour garder son fromage, le bois ayant quelquefois l’odeur des gaz lacrymogènes et le goût des balles en caoutchouc.

Si l’on refuse de prendre les leçons de l’Histoire, on risque de refaire les mêmes erreurs qu’en 2009, aussi bien au niveau des acteurs que des procédures.

Source: Madagascar-Tribune.com

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